États-Unis : la vague de licenciements se poursuit

Le 18 août dernier, la licorne de télésanté Thirty Madison révélait qu’elle allait se séparer de 10% de ses effectifs. Cette annonce, la dernière en date, vient s’ajouter à la longue série d’entreprises américaines en santé numérique qui, depuis le mois de juin, ont décidé de se passer d’une partie de leur personnel. Successivement, avons-nous relevé dans mind Health, Carbon Health, Ro, Cedar, Forward Health, Olive, Included Health et Pear Therapeutics ont annoncé des licenciements. À cette liste, le site d’information américain Fierce Healthcare ajoute également la start-up de pharmacie numérique Capsule, Signify Health (qui fait actuellement l’objet d’une offre de rachat par Amazon et UnitedHealth), le géant de la base de données Oracle (qui a acquis cette année Cerner en juin dernier et qui, selon plusieurs médias, aurait prévu des milliers de suppressions d’emplois pour son effectif mondial de 140 000 personnes, principalement dans ses divisions marketing et expérience client) et la licorne Buzzy Whoop. Selon le directeur produits de cette dernière, “de nombreuses entreprises en phase de croissance qui s’appuyaient sur des flux infinis de capital-risque doivent immédiatement rétrograder pour gérer la combustion et étendre leur piste”. Cet avertissement, aux allures de sombre prémonition, nous permet d’en savoir plus sur la nature des entreprises aujourd’hui en difficulté.  

Les anciens “meilleurs élèves” sont les plus impactés

Plus que le nombre des entreprises de la santé numérique qui ont licencié ces derniers mois, c’est la taille et la valorisation de ces dernières qui surprend et inquiète. Majoritairement, il s’agit de licornes (d’entreprises valorisées plus d’1 milliard de dollars) à l’image de Forward Health, de Buzzy Whoop, de Ro (qui a atteint une valorisation de 7 Mds $ en février dernier et a levé 500 M$ en 2021), de Carbon Health (valorisée 3,3 Mds $ en juillet 2021 juste après sa levée de fonds de 350 M$). Eren Bali, cofondateur et CEO de Carbon Health a, dans sa déclaration officielle du 2 juin dernier, expliqué en partie les effets de la conjoncture économique sur les jeunes et florissantes start-up en santé numérique. Justifiant les licenciements dans sa société par “la volatilité des marchés des capitaux” et “des inquiétudes concernant les résultats de l’entreprise”, il ajoute : “l’environnement macro avec des marchés de capitaux plus volatils signifie qu’il est vital que nous nous concentrions moins sur la croissance et plus sur la rentabilité.”

Aussi, au travers du profil des différentes entreprises impactées par la vague de licenciements outre-Atlantique, un scénario se dessine : une jeune entreprise américaine lève des fonds importants pour pouvoir assurer sa croissance. Confiante en l’avenir, elle investit de nouveaux marchés, renforce ses équipes (et les charges afférentes..) puis se retrouve confrontée à une conjoncture économique exceptionnelle (inflation, tensions sur les matières premières, marché chinois atone…).  Dès lors, pour espérer survivre, elle n’a plus d’autres choix que celui de faire machine arrière.

La télésanté particulièrement exposée

À noter également qu’une large part des entreprises de la santé numérique concernées par la vague de licenciements, proposait des solutions de téléconsultation. C’est le cas de Thirty Madison, de Carbon Health, de Ro et d’Included Health. Pour la responsable de la gestion du portefeuille de start-up e-santé à la MACSF, Maud-Kelly Crapeau, interrogée par mind Health, “il y a eu un emballement pendant la crise du Covid sur les solutions de téléconsultation, ce sont des business qui ont très bien fonctionné sur ces deux dernières années. Actuellement, ce n’est pas forcément à court terme un secteur sur lequel nous souhaitons réinvestir et nous nous concentrons surtout sur les start-up avec un fort contenu tech, celles notamment intégrant de l’IA”, confie-t-elle. 

La France et l’Europe encore préservées  

Jusqu’à maintenant, aucune start-up française ou européenne de la e-santé n’a annoncé de licenciement lié à la situation économique actuelle. Dans l’ensemble les investisseurs hexagonaux restent confiants sur la situation française et européenne. Même si Pierre Moustial, le président et fondateur de Lauxera Capital Parners (qui a récemment clôturé un fonds de 260 M€) confie à mind Health que “la grande stratégie de tous les fonds et de toutes les sociétés est de réduire la voilure pour avoir plus de cash et disposer de plus de temps entre deux levées”, Valery Huot, Managing Partner of Innovation Capital chez LBO France nous fait remarquer que “la santé est un business résilient qui sera vraisemblablement peu touché par la récession que nous allons vivre”. Comme l’a expliqué à mind Health Chahra Louafi, la directrice du Fonds Patient Autonome de Bpifrance, le marché français du numérique en santé est beaucoup plus jeune et encore en pleine expansion. Pour preuve, note-t-elle, “il y a encore très peu de séries C en France”. En somme, les phases de maturité de nos économies respectives étant différentes, dans la e-santé tout du moins, la crise outre-Atlantique pourrait ne pas nous impacter…ou nous atteindre beaucoup plus tard.