Accueil > Financement et politiques publiques > Philippe Gesnouin (Inria) : “Monter des feuilles de route stratégiques avec des acteurs de la santé numérique est un de nos objectifs” Philippe Gesnouin (Inria) : “Monter des feuilles de route stratégiques avec des acteurs de la santé numérique est un de nos objectifs” Membre fondateur de PariSanté Campus, Inria multiplie les collaborations dans la santé ces dernières années. Philippe Gesnouin, directeur du Programme Santé numérique d’Inria et copilote du PEPR santé numérique nous dévoile les ambitions de l’Institut. Par Coralie Baumard. Publié le 19 septembre 2023 à 23h00 - Mis à jour le 20 septembre 2023 à 11h56 Ressources Comment est né le Programme Santé numérique d’Inria ? En 2009-2010, il a été décidé d’avoir une réflexion par secteur, c’est à cette occasion que j’ai été recruté pour voir comment favoriser l’impact des travaux des équipes de recherche en ayant cette réflexion. La santé est un secteur majeur pour l’Inria : entre 20 et 25% des équipes de recherche sont dédiées à ces sujets santé et sciences de la vie et les possibilités sont très vastes concernant l’application du numérique. Cette organisation en programme est apparue en 2018, lors du premier mandat de notre PDG Bruno Sportisse, mais j’ai été officiellement nommé responsable du Programme Santé numérique en 2021, date à laquelle il a démarré dans sa forme actuelle. La crise du Covid-19 a-t-elle été un accélérateur ? Le Covid-19 a permis à cette évolution de prendre un tour beaucoup plus important. J’ai été chargé, avec un autre collègue, de l’animation de la mission Inria Covid-19. Nous avions un nombre important de chercheurs et d’ingénieurs qui ne pouvaient plus continuer leurs travaux habituels, nous avons donc mis collectivement en place tout un ensemble de projets, notamment, pour travailler avec les hôpitaux. Une grande communauté de chercheurs a travaillé comme data scientist auprès de l’AP-HP pour analyser l’ensemble des données. Des collègues ont développé en trois ou quatre jours des applications pour permettre de communiquer entre les services de réa et les familles. Cela nous a permis d’accélérer. En juin 2022, nous avons mis en place un laboratoire commun avec l’AP-HP, le laboratoire Daniel Bernoulli (Bernoulli Lab), qui a pour mission d’accélérer la recherche et l’innovation en santé numérique. Nous avions déjà réalisé plusieurs collaborations et nous réfléchissions depuis plusieurs années à mettre en place un accord-cadre, nous en avons donc acté un relativement global. Quels sont les objectifs du Programme Santé numérique ? Le programme a parmi ses objectifs d’encadrer et de favoriser des partenariats structurants avec des établissements de santé, essentiellement les CHU. Ainsi, nous avons également créé en 2022, un laboratoire commun avec les Hospices Civils de Lyon (HCL) dédié à l’intelligence artificielle et aux modélisations dans le médical. Ce partenariat est d’autant plus intéressant qu’il est tripartite, l’entreprise Theranexus (une société biopharmaceutique issue du CEA, ndlr) y collabore également. De plus, nous sommes impliqués dans trois IHU de la première vague (Strasbourg, l’Institut du Cerveau, Liryc) et nous sommes soit fondateurs, soit partenaires de plusieurs IHU de la seconde vague. Cela fait partie de notre volonté de travailler avec le monde de la santé et d’avoir une vision d’ensemble par rapport aux instruments se mettant en place. Votre implication dans PariSanté Campus découle-t-elle également de cette volonté ? Les autorités ont décidé de créer un lieu dédié à la santé numérique et il était tout naturel qu’Inria y participe. Aux dernières nouvelles, la remise des clés de l’hôpital du Val-de-Grâce choisi pour accueillir le lieu définitif de PariSanté Campus devrait intervenir en décembre 2029. En attendant, nous faisons vivre cette initiative dans le 15e arrondissement de Paris. C’est intéressant d’être dans un lieu où nous pouvons croiser d’autres compétences de recherche, des institutions clés comme l’Agence du Numérique en Santé, le Health Data Hub, l’Université Paris Sciences et Lettres, l’Inserm, et d’être également au contact d’un ensemble d’entreprises. Cela commence à être un vrai lieu de rencontres et d’échanges, nous pensons que cela va continuer à croître. Il est important d’y associer des grands partenaires industriels stratégiques français ou ayant une forte implantation en France. Je pense que sur ce plan, il y a encore du travail. Quelques grands partenaires sont associés à PariSanté Campus, mais ils ont plutôt pour le moment une activité de mécènes. Les partenariats industriels sont-ils un enjeu majeur aujourd’hui ? L’une des composantes du programme est de monter des partenariats stratégiques avec des industriels de la santé. Cela reste compliqué de travailler avec les entreprises pharma, car elles sont de plus en plus éclatées au niveau international, avec des centres de décision très souvent de l’autre côté de l’Atlantique. Néanmoins, il existe toujours des collaborations point à point. Arriver à monter des feuilles de route stratégiques avec des acteurs de la pharma reste un de nos objectifs, mais ce qui me semble plus atteignable et peut-être plus structurant encore est de travailler avec de nouveaux acteurs de la santé, en particulier de la santé numérique. Par exemple, il serait intéressant de collaborer avec Air Liquide, qui déploie des solutions numériques à domicile et récolte énormément de données. Nous travaillons déjà avec le groupe La Poste sur les questions de coffre-fort numérique, j’ai espoir qu’à un moment nous puissions mettre en place un partenariat dédié aux aspects santé. Sa filiale Docaposte est désormais très implantée dans le secteur, notamment grâce à certains rachats comme celui de Maincare. Nous sommes déjà partenaires de Dassault Systèmes, nous espérons pouvoir annoncer prochainement un nouveau projet d’envergure sur le jumeau numérique avec eux. Sur les sujets avancés dans le numérique, Inria a pour mission d’aider les entreprises françaises ou à base française à gagner en compétitivité grâce à des partenariats structurants, allant parfois jusqu’à la création d’équipes communes. Nous l’avons déjà fait dans d’autres domaines comme la défense. Quels sont vos liens avec les institutions spécialisées en santé numérique ? Une des missions importantes d’Inria, inscrite dans nos statuts, est de faire bénéficier les instances publiques de nos expertises. Cela fait partie des ambitions du programme santé numérique et c’est pour cela que j’échange beaucoup avec l’Agence du Numérique en Santé. Je pense que nous pouvons collaborer sur certains sujets assez pointus comme les questions de traitement automatique du langage. L’Agence du Numérique en Santé se penche également sur le sujet car il y a beaucoup de choses à normaliser : comment faire le lien entre les terminologies, extrêmement importantes dans le domaine de la santé, et l’analyse des comptes-rendus médicaux ? Il y a d’autres opportunités qui pourraient justifier des partenariats avec de telles institutions. Nous avons des collègues qui participent, par ailleurs, aux travaux de la HAS et nous avons aussi des collaborations avec l’Anssi sur des sujets de cybersécurité. Je souhaite également avancer sur le sujet des entrepôts de données de santé (EDS). J’ai eu des discussions avec des interlocuteurs du ministère de la Santé, ils verraient d’un bon œil qu’Inria contribue à un échange de méthodologie, de bonnes pratiques entre les différents entrepôts de données de santé. L’obtention de données pose plusieurs questions : A-t-on moyen de les faire travailler ensemble, de les échanger, de les croiser ? Sur certains sujets, comme l’apprentissage fédéré, nous sommes bien avancés. La collaboration avec les EDS eux-mêmes et surtout les projets qui peuvent être montés entre ces différents entrepôts est un axe sur lequel j’aimerais bien travailler. Vous gérez également le copilotage du PEPR santé numérique lancé en juin dernier, comment cela s’est-il organisé ? Le PEPR santé numérique était constitutif de la stratégie France 2030. Probablement sur la base de la collaboration historique très riche entre Inria et l’Inserm, l’État nous en a confié le copilotage. Il fallait au départ définir des objectifs scientifiques globaux. Ce budget de 60 millions d’euros peut sembler une somme importante mais ce ne sont que 60 millions quand plus de 600 millions sont attribués à la stratégie d’accélération du numérique en santé ou des milliards consacrés au Ségur. L’idée dans le montage du PEPR n’a pas été de travailler en cercle fermé mais de solliciter de grands organismes de recherche, à commencer par le CNRS, le CEA, les universités, les CHU, et de demander à ces institutions des correspondants, qui eux-mêmes, nous ont permis d’accéder à tout un ensemble d’experts. Nous avons ensuite créé des groupes de travail pendant l’été 2021. Au départ, nous avons eu une approche top down pour définir les priorités, puis nous avons invité les chercheurs à faire ensemble des propositions, ce qu’ils ont apprécié. Quels thèmes avez-vous retenus ? Avec notre partenaire l’Inserm, nous avons fait le choix d’identifier les verrous importants à lever en santé numérique, là où il demeure des défis scientifiques, où nous avons de bonnes publications et où il y a encore une carte à jouer. La réflexion commune a été de travailler sur la modélisation multi-échelle et multimodale. Nous avons arrêté quatre grands programmes. Le premier est extrêmement méthodologique et mathématique, le deuxième axé sur les usages avec des spécialistes des sciences humaines et sociales. Les deux autres programmes sont plus applicatifs : un sur le domaine cardiovasculaire et le second sur les neurosciences. Nous avons mis de côté le cancer, beaucoup d’efforts sont aujourd’hui concentrés sur cette pathologie, et, même s’il existe beaucoup de données, cela ne correspondait pas à notre souhait de travailler sur les données longitudinales. Par exemple, dans les maladies cardiovasculaires, il est possible d’avoir un suivi de certains patients quasiment tout au long de la vie. On peut obtenir des données de très forte intensité à la seconde, voire à la milliseconde près, quand les patients sont en réanimation, en anesthésie. Elles sont très intéressantes pour comprendre les mécanismes du cœur. À côté, on va avoir des examens réguliers qui s’échelonnent sur différentes années et des décennies. Le défi est de pouvoir combiner ces échelles de temps, d’élaborer les méthodes pour pouvoir modéliser, faire du profilage de patients, mettre en place des parcours patients et apporter les briques pour développer les jumeaux numériques. Ce sont les outils dont nous avons besoin pour rendre réelle la médecine 4P, 5P ou 6P, mais ils sont souvent efficaces à une seule échelle. Cet aspect multi-échelle est présent dans les dix-sept projets sélectionnés et c’est un critère qui explique pourquoi certaines équipes très pointues n’ont pas été retenues. Les 17 projets retenus pour le PEPR santé numérique M4DI – Méthodes et modèles pour l’intégration de données multimodales et multi-échelles (Université Aix-Marseille) AI4scMed – IA multi-échelle pour une médecine de précision en cellules uniques (CNRS) REWIND – Médecine de précision avec données longitudinales (Inria) DIGPHAT – Modélisation longitudinale et multi-échelle en pharmacologie : vers la conception de jumeaux numériques pharmacologiques (Inserm) SMATCH – Méthodes Statistiques et d’IA pour les Défis des Essais Cliniques Modernes en Santé Numérique (Inria) Sanso – Santé numérique en société (Université Paris Sciences & Lettres) SafePAW – Déterminants sociétaux pour une e-santé à l’appui de parcours de soins du patient (CNRS) TracIA – Traçabilité pour des données multi-échelles de confiance et la lutte contre les fuites d’informations dans les systèmes d’intelligence en santé (Inserm) SSFMLDH – Apprentissage automatique sécurisé, sûr et équitable pour les applications en santé (Université Paris Sciences & Lettres) ShareFAIR – Partager des protocoles fiables pour transformer des jeux de données en gold standards : application aux pathologies neurovasculaires (Université Paris-Saclay) Diip-Heart – Analyse digitale intégrative péri-opératoire des signaux chez les patients en défaillance cardiaque et vasculaire (Inserm) ChroniCardio – Climatologie de la cardiomyopathie non-ischémique chronique prédiction à long terme avec des données et modèles multi-échelles (Inria) NEUROVASC – Vers la médecine 5P pour réduire l’impact de l’anévrisme intracrânien et de l’AVC (Inserm) AUTONOM-HEALTH – Santé, comportements et technologies digitales autonomes (Université de Bordeaux) StratifyAging – Interopérabilité des études cliniques et du soin courant pour l’avènement d’une médecine stratifiée du vieillissement utilisant les données cliniques, d’imagerie et omiques (CEA) BrainDeepPhenotyping – Données d’imagerie in vivo à haute résolution avec des systèmes instrumentaux exceptionnels issus de l’innovation technologique menée par les acteurs de la recherche académique et industrielle (IRM à champ extrême 11,7 Tesla chez l’homme, imagerie fonctionnelle par ultrasons 3D, etc.) (CEA) BHT – Trajectoires de la santé du cerveau (Inserm) Une partie du budget du PEPR sera consacrée à des appels à projets et/ou des appels à manifestation d’intérêt, quand seront-ils lancés ? En effet, 28 millions restent à attribuer sous différentes formes. Nous lancerons les appels à manifestation d’intérêt d’ici 2025. Il faut pour cela tenir compte de l’avancée de l’état de l’art et de l’émergence de nouveaux sujets. Par exemple, on a beaucoup parlé de ChatGPT et des modèles de langage. Ce ne sont pas des choses complètement nouvelles, c’est le résultat de travaux menés depuis des années mais la mise à disposition de cet outil au grand public a éveillé l’attention sur les possibilités que cela pouvait ouvrir dans le domaine de la santé, par exemple. Il est vrai qu’au moment où nous avons lancé la réflexion sur le PEPR, ce sujet là n’était pas présent mais typiquement, il pourrait l’être dans les appels à venir ainsi que d’autres technologies qui vont émerger d’ici là. Il est raisonnable de mettre des moyens de côté pour voir comment on pourra prendre en compte ces avancées par la suite. Prendre en compte l’évolution technologique va-t-il être un défi du PEPR ? Il y a le rythme habituel de la recherche et puis il y a des percées technologiques que l’on ne peut pas ignorer. Dans le cadre du PEPR, un des défis va être l’accompagnement de projets et comment enclencher les nouvelles étapes avec les autres institutions. Certains projets pourront peut-être déboucher rapidement sur des possibilités d’application. Même si nous sommes dans des TRL (technology readiness level : échelles évaluant le niveau de maturité d’une technologie, ndlr) assez bas, dans le domaine du logiciel cela peut avancer extrêmement rapidement. Il va falloir prêter une attention particulière aux travaux pouvant faire l’objet d’une création de start-up. Il est probable que beaucoup de projets n’arrivent pas encore à ce stade, c’est pourquoi nous allons regarder avec attention les possibilités offertes par les projets européens. Nous allons devoir faire ce travail de manière concertée entre instituts et également veiller à communiquer vers les entreprises afin de voir quelles sont les opportunités de collaboration. Philippe Gesnouin Depuis juillet 2021 : directeur du Programme Santé numérique d’Inria Depuis mai 2021 : Copilote du PEPR santé numérique Depuis mai 2021 : responsable de mission Inria pour la contribution et la participation à PariSanté Campus Janvier 2009 – mai 2021 : responsable du transfert technologique dans les sciences de la vie et la santé à Inria Février 2001- mars 2008 : directeur des opérations et cofondateur d’Integrage Coralie Baumard Données de santéHôpitalIntelligence Artificiellestart-up Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind