Acquisition d’Imactis : GE HealthCare se renforce sur la médecine de précision

Pourquoi avoir conclu un accord d’acquisition ?

Jean-Luc Proccacini : La médecine de précision, avec la théranostique en cancérologie mais aussi l’essor important des procédures peu invasives, nous amènent à réfléchir à notre développement. L’enjeu est clairement de fournir aux médecins des outils leur permettant d’individualiser les traitements et d’être plus efficaces dans le parcours de soin du patient afin de délivrer le meilleur traitement et au bon moment. Imactis est spécialisée en radiologie interventionnelle assistée par ordinateur, c’est un domaine important dans le monde de la médecine de précision. Son acquisition nous permet de renforcer notre stratégie en médecine de précision. 

Pierre Olivier : Imactis a été créé en 2009 par Ivan Bricault, un médecin, et deux ingénieurs, Lionel Carrat, qui est notre CTO, et Stéphane Lavallée, un multi-entrepreneur. La connaissance clinique d’Ivan et l’expertise du logiciel d’imagerie de Lionel et Stéphane ont permis de développer la solution de navigation d’Imactis. Quand vous lancez une medtech, il y a deux possibilités :  soit vous pouvez devenir un gros business indépendant, soit vous êtes ce que j’appelle une brique technologique. Imactis est une brique technologique, c’est ainsi que les hôpitaux nous voient et que nous accédons au marché. Nous avons démontré que notre produit est viable, en réalisant un chiffre d’affaires de près de 2 millions d’euros mais aussi qu’il peut devenir une référence du soin. En France, nous sommes présents dans 42% des CHU. Une douzaine d’études cliniques indépendantes démontrent qu’il y a un vrai bénéfice patient, mais Imactis n’a pas l’accès au marché. Il est aujourd’hui assez logique d’organiser un rachat pour entrer dans une deuxième phase de développement. Il y a une seconde logique, pour nous, à rejoindre GE : nous avons poussé la solution à son maximum en termes de workflow integration pour que cela soit facile et rapide pour le médecin, maintenant, nous avons tout un champ d’opportunités en termes d’intégration du produit dans les scanners et dans les softwares de GE. Le timing est parfait pour cela et c’est ce qui a conduit à cette acquisition. 

Quelle est la valeur ajoutée d’Imactis ?

Jean-Luc Proccacini : Imactis a développé un modèle permettant de faire de la radiologie interventionnelle à très faible dose. La radiologie interventionnelle permet de réaliser des gestes très précis que ce soit pour les tumeurs ou pour les infiltrations à l’intérieur du rachis. Imactis nous apporte une vraie plus value dans la médecine de précision. L’inconvénient de la radiologie interventionnelle est que le patient et le praticien sont soumis à une dose de rayons X qui peut être variable en fonction des gestes. Imactis nous apporte une solution qui va nous permettre de faire des gestes à très faible dose. Ce sont les deux points fondamentaux pour cette acquisition. 

Pierre Olivier : L’exposition réduite aux radiations est un facteur important. Je m’occupe de développer Imactis aux États-Unis et j’ai un hôpital où le produit est présenté comme un safety device pour les médecins. Pour minimiser les radiations avec les technologies actuelles, les médecins sont obligés de sortir de la salle. C’est une perte de temps phénoménale et le temps est essentiel dans une intervention. Plus le temps d’intervention est court, plus faible est le risque de complications, cela a été démontré cliniquement. Pour l’hôpital, le temps gagné c’est de la valeur : de l’argent économisé et plus d’interventions. Le gain de temps varie en fonction du type d’organe, mais nous parlons d’une amélioration radicale de 40% à 50%. De plus, grâce à Imactis, vous naviguez dans les images en temps réel, vous visualisez les organes et cela permet traiter de manière simple des cas compliqués ainsi que la standardisation du soin : que vous soyez un médecin débutant ou chevronné, vous avez les mêmes capacités et le même niveau de performance.  

Quelles perspectives offrent le marché de la radiologie interventionnelle ?

Jean-Luc Proccacini : La radiologie interventionnelle – et plus particulièrement le scanner interventionnel – joue un rôle clé dans le diagnostic et le traitement des maladies. C’est un marché en pleine croissance car elle est utilisée dans de nombreux domaines thérapeutiques, notamment l’oncologie, la cardiologie, l’urologie, la néphrologie et la gastro-entérologie. Aujourd’hui, la solution innovante se concentre uniquement sur les applications scanner, mais GE HealthCare prévoit d’étendre la technologie à son activité de thérapie guidée par l’image dans un proche avenir, ce qui fera encore progresser son application clinique et sa portée.

Quel est le déploiement actuel d’Imactis ?

Jean-Luc Proccacini : Le système CT-Navigation est actuellement approuvé en Europe et aux États-Unis. Aujourd’hui la solution d’Imactis est déployée auprès d’une centaine de sites clients. En tant que leader mondial de la tomodensitométrie (scanner), cette acquisition nous offre une opportunité d’expansion importante pour cette modalité d’imagerie. Par ailleurs, cela ouvre la possibilité d’étendre l’accès à cette technologie innovante à notre large base installée dans le monde.

Pierre Olivier : Nous sommes présents sur le marché américain, bien présents sur le marché français mais aussi dans les pays nordiques, en Espagne, au UK et en Italie. Notre plus gros marché est encore aujourd’hui la France et c’est aussi une des raisons pour laquelle rejoindre GE est fantastique pour nous en termes d’accès au marché. Aux États-Unis, par exemple, Imactis s’est concentré uniquement sur la côte Est car je travaille avec un vendeur et deux technical sales. En Europe, nous travaillons avec des distributeurs mais nous n’avons qu’un directeur pour les ventes européennes. Grâce à GE, nous ouvrons un accès beaucoup plus important sur le marché américain et le marché européen. 

Quelle est votre stratégie de développement  ?

Jean-Luc Proccacini : Il y a plusieurs objectifs, premièrement rendre le produit disponible au niveau mondial. La Chine, notamment, n’y a pas accès. Or, la taille et l’échelle du marché chinois du scanner et de la radiologie interventionnelle en font un marché attractif et important pour étendre le déploiement de la solution CT-Navigation d’Imactis. Nous allons donc utiliser nos ressources d’affaires réglementaires pour enregistrer Imactis dans le monde entier. Deuxièmement, nous allons intégrer l’offre Imactis dans notre offre scanner et faire en sorte que tous nos commerciaux soient capables de promouvoir Imactis. C’est un changement de dimension, puisqu’aujourd’hui vous avez moins de cinq commerciaux chez Imactis, cela va multiplier par cent les commerciaux qui vont parler de la solution. En outre, il y a un savoir-faire et des capacités industrielles à Grenoble, nous pensons, dans un premier temps, recruter une dizaine de personnes pour qu’ils intègrent le siège de Grenoble et accélèrent le développement mondial du produit. 

Quels sont vos objectifs chiffrés en matière de déploiement ?

Jean-Luc Proccacini : Imactis est une société qui vend une dizaine de solutions par an, un objectif ambitieux serait d’en vendre plus de 200. Nous avons une base installée de 36 000 scanners et nous vendons 4500 scanners par an. Un bon nombre de ces scanners est aujourd’hui équipé d’une solution interventionnelle fonctionnelle mais qui génère des rayons X pour le patient et le praticien. Notre idée est de développer Imactis via deux offres, la première en conservant cette solution séparée du scanner et la seconde en intégrant Imactis à l’intérieur de nos scanners, mais cela prendra plusieurs années pour que nous le fassions. Imactis est un moyen de renforcer notre leadership dans le monde du scanner interventionnel.

Que va apporter cette future intégration sur les scanners GE ?

Pierre Olivier : Quand on parle d’intégration sur les scanners GE, il faut revenir au niveau de l’utilisateur. Il y a deux utilisateurs, le médecin qui fait son intervention, et puis le technicien qui prépare le patient et aide à l’intervention. Nous pouvons aller plus loin, notamment en fusionnant les images faites avant et après le diagnostic ainsi qu’en améliorant le workflow en préopératoire et durant l’opération pour que les médecins et les techniciens soient plus productifs. Il y a peu d’évolutions sur le hardware, il s’agit principalement de sofware et de software integration. Cela tombe bien puisque fondamentalement Imactis est une société de software et que nous avons une vraie compétence sur le software et l’imagerie. Je pense que nous allons beaucoup apporter à GE dans ce domaine.

Nous l’avons constaté lors du congrès HIMSS 2023, la cybersécurité est une préoccupation importante du secteur de l’imagerie. Comment la gérez-vous ?

Jean-Luc Proccacini : La cybersécurité est un enjeu majeur dans deux dimensions. Tous les appareils qui sont vendus aujourd’hui doivent être protégés pour faire en sorte que les données patients soient protégées et nous investissons énormément d’argent sur les nouveaux produits. Je dirais que l’enjeu qui est encore plus important c’est s’assurer de la cybersécurité sur les machines qui sont déjà installées. Il y a des machines qui ont été construites, il y a une vingtaine d’années pour certaines, moins d’une dizaine d’années pour une grande partie d’entre elles. Comment fait-on évoluer nos hardware et nos software pour protéger les données patients, cela fait partie des enjeux que nous traitons au quotidien.

Pierre Olivier : C’est un sujet essentiel, je l’ai vu aux États-Unis, les demandes des hôpitaux en termes de cybersécurité ont radicalement évolué, elles sont devenues très strictes. Quand on rentre dans un hôpital, il est obligatoire de remplir des questionnaires et notre système est analysé pour démontrer justement qu’on se protège. La beauté du système Imactis, c’est qu’aucune donnée ne sort de l’hôpital. Les images du scanner sont envoyées dans la station Imactis de manière purement locale, donc le risque d’intrusion et d’attaque cyber qu’Imactis représente est quasiment nul. Le seul risque, c’est le jour où l’on amène la station dans l’hôpital si des malwares avaient été préalablement installés lors de la production de notre machine. C’est à cet endroit que nous avons concentré nos actions de cybersécurité. C’est un sujet extrêmement important qui fait partie de notre roadmap. L’avantage d’Imactis c’est que nous avons une solution totalement sécurisée, car toutes les informations restent en local, elles sont anonymisées à la fin du cas et il n’y a pas d’échange d’informations via le cloud entre l’hôpital et nous.