Accueil > Industrie > Alexis Génin (Institut du Cerveau) : “Nous poussons le développement plus loin, jusqu’au stade pré-industriel” Alexis Génin (Institut du Cerveau) : “Nous poussons le développement plus loin, jusqu’au stade pré-industriel” L'Institut du Cerveau est un institut de recherche en neurosciences situé au sein de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, qui regroupe près de 700 chercheurs, ingénieurs et cliniciens faisant le pont entre le monde de la recherche et celui de l'industrie. Le directeur de l'innovation, Alexis Génin, explique à mind Health pourquoi cette posture à la croisée des chemins est un atout pour innover et soutenir des start-up ancrées dans le réel. Par Clarisse Treilles. Publié le 18 juillet 2023 à 23h00 - Mis à jour le 04 septembre 2023 à 10h42 Ressources Comment la direction de l’innovation de l’Institut du Cerveau, anciennement direction des applications de la recherche, a-t-elle évolué au fil des années ? La direction des applications de la recherche était à l’époque chargée assez classiquement du transfert de technologie et de l’incubateur de start-up interne, iPEPS. Nous avons, par la suite, beaucoup amplifié nos actions dans le développement de produits et nous sommes désormais en capacité de pousser le développement plus loin, jusqu’à un stade pré-industriel pour faciliter la création de start-up notamment. L’équipe comprend dorénavant 25 personnes, avec une balance R&D beaucoup plus poussée. Typiquement, nous intégrons une équipe de thérapie génique, avec chercheurs et ingénieurs, et nous avons renforcé un pôle d’ingénierie déjà existant. L’Institut du Cerveau se définit comme un endroit à la croisée de compétences académiques, cliniques et industrielles. Comment ce modèle se matérialise-t-il au sein de la direction de l’innovation, tant du point de vue de son organisation que de sa philosophie ? Cela se manifeste par une volonté d’avoir des outils qui permettent de mieux lier le monde de la recherche et le monde de l’industrie. Nous avions initialement des outils plutôt méthodologiques, pour raccourcir les temps entre la découverte et la mise en place des partenariats industriels. Nous avons commencé il y a des années avec le mandat unique qui nous a permis de contractualiser très vite. Cela se traduit maintenant par une capacité à investir financièrement, en interne, sur des projets et à les accompagner sur le volet industriel, afin qu’ils sortent d’une logique de recherche académique et qu’ils soient dans une logique de développement de produits. L’implication d’investisseurs et de développeurs industriels illustre aussi cette croisée des chemins. Elle est devenue plus forte aujourd’hui dans notre quotidien qu’elle ne l’était auparavant, quand elle était cantonnée à des rencontres plus épisodiques. Les objectifs de l’équipe de recherche sont très appliqués, qu’il s’agisse du développement technologique de nouvelles solutions, de la création de start-up sur la base de la recherche ou de la livraison de produits prêts à entrer en clinique. Quelles sont les principales actions que vous menez en ce moment au sein de l’IHU, qui traduisent les grandes tendances et transformations observées du secteur ? Les grandes tendances vont vers l’intégration multi-échelles dans la recherche et multi-outils dans le développement de produits. Nous retrouvons également le dispositif médical intégré avec l’utilisation du médicament, les approches de prévention et de parcours de soin. Nous avons récemment créé une première unité d’innovation, appelée “TIDU” (Technology Innovation Development Unit, ndlr), dont l’ADN est assez unique dans la recherche publique classique. Les objectifs de l’équipe de recherche sont très appliqués, qu’il s’agisse du développement technologique de nouvelles solutions, de la création de start-up sur la base de la recherche ou de la livraison de produits prêts à entrer en clinique. La première TIDU a été créée dans le domaine des thérapies cellulaires et géniques. Elle capitalise sur l’équipe de recherche qui a donné naissance au projet BrainVectis, depuis racheté par AskBio et Bayer. Nous avons voulu relancer une dynamique en thérapie génique et cellulaire, qui soit très portée sur la data science et l’IA pour optimiser les futures thérapies géniques. En quoi consiste l’optimisation des thérapies géniques ? Il y a différents challenges dans les thérapies géniques appliquées au système nerveux central. Il y a bien sûr l’accès à la bonne région du cerveau et le passage de la barrière hémato-encéphalique. L’idéal serait d’avoir une thérapie génique que l’on puisse appliquer à l’intraveineux, qui sache aller vers le cerveau, sans toucher aux autres organes, et qui sache, une fois dans le cerveau, cibler la bonne zone. Cela nécessite plusieurs leviers de contrôle. Parmi les autres difficultés rencontrées, il y a aussi la capacité à contrôler l’inflammation qui est générée par un vecteur dérivé d’un virus et la capacité à contrôler l’expression du gène thérapeutique. Ce sont autant de grands domaines sur lesquels nous travaillons. Dans le domaine de la modélisation computationnelle, où en êtes-vous aujourd’hui ? À quoi ressemblent les cas d’usages concrets ? Des avancées très importantes ont été réalisées dans ce domaine, en commençant par les techniques d’imagerie et l’analyse d’images IRM. C’est en particulier une équipe conjointe avec l’Inria (l’équipe ARAMIS, ndlr) qui a préfiguré ce travail de data science. Ce chantier a également été poursuivi pour la modélisation des circuits de la motivation par les équipes de recherche en science cognitive. Nous arrivons au stade où cette science des données, auparavant appliquée à une modalité unique, à savoir l’imagerie ou la cognition, s’applique désormais de manière multimodale en croisant l’imagerie, la génétique, les marqueurs circulants, la cognition et bientôt le comportement. Les solutions, qui étaient auparavant basées sur des informations purement hospitalières pour classer des groupes de patients par groupes statistiques, sortent maintenant de l’hôpital pour capter des données de vie réelle. Elles ne sont déjà plus prédictives à un niveau statistique mais à un niveau individuel, afin de prédire le parcours d’évolution d’un malade dans sa pathologie. Ce chantier a donné, par exemple, naissance à la start-up Qairnel (cofondée par les chercheurs Igor Koval et Stanley Durrleman, ndlr), dont le prochain défi va être de faire de la modélisation multimodale. La notion de jumeau numérique est une technologie également très intéressante. Les applications des jumeaux numériques sont vastes : cela peut aller du jumeau numérique d’imagerie d’un patient atteint d’une maladie neurodégénérative, jusqu’au jumeau numérique d’un patient épileptique en attente de chirurgie, afin d’accéder à la modélisation en 3D de l’organe, des lieux d’implantation des électrodes de repérage de l’endroit où va se faire la chirurgie, avec l’intégration des données et avis des multiples cliniciens qui s’occupent de ce patient. Cette notion de jumeau numérique va permettre de mieux planifier à l’avenir les opérations avec de la modélisation 3D et d’anticiper le parcours d’évolution d’un patient. La direction de l’innovation a lancé en mars dernier le programme NeurAL (Neuroscience Acceleration Launchpad). Quelles sont les particularités de ce programme d’investissement et à quels besoins répond-il ? NeurAL entend diminuer l’écart qui existe entre le résultat de laboratoire et la levée de fonds industrielle, un écart qui, bien souvent, reste encore assez béant dans le domaine des neurosciences. Il faut pouvoir garantir qu’une technologie remplisse bien son objectif thérapeutique. Or, les outils de maturation académique, même s’ils sont très riches et très complets, permettent trop peu souvent de convaincre l’investisseur. Pour aborder ce sujet, nous avons rassemblé nos compétences techniques dans le domaine des neurosciences et l’expertise des investisseurs pour en faire bénéficier les projets en neurosciences. À l’issue d’un premier appel à projets que nous avons lancé, deux projets lauréats thérapeutiques ont été sélectionnés (dont les noms n’ont pas encore été rendus publics, ndlr). Ces deux start-up vont recevoir un financement, respectivement d’une valeur de 250 000 euros et de 100 000 euros. Ces sommes vont leur permettre de réaliser un petit nombre d’expériences nécessaires pour convaincre les investisseurs de la solidité du projet, qui décident d’y investir ou non. C’est une sorte de rampe de lancement entrepreneuriale. L’essentiel de l’effort réside sur la maturation technologique, mais ce programme comprend aussi du coaching entrepreneurial. Si ces expérimentations fonctionnent, les investisseurs qui nous suivent devraient investir dans ces projets. Ce type d’initiative existait déjà aux États-Unis, au MIT ou à Harvard par exemple. Nous avons appris de leurs expériences pour reproduire cela en France. La volonté est de pérenniser ce type d’outil et d’apprendre des premières saisons pour améliorer encore les suivantes. Quelles sont les actualités autour de l’incubateur iPEPS ? Nous disposons actuellement de trois sites, un premier site dédié aux biotech, un deuxième en partenariat avec la Station F pour le pôle digital, et un troisième bâtiment que l’Institut a acquis, dans lequel se développent les entreprises en technologie médicale. Ce dernier bâtiment va entrer en travaux pour doubler de taille, et permettre d’y faire entrer des plateformes technologiques qui seront mises à disposition des start-up, ainsi qu’un centre de formation dédié à l’entrepreneuriat en neurosciences, mixant des formations sur les technologies utilisées dans le domaine des neurosciences et des formations à l’entrepreneuriat. Il risque d’y avoir une pénurie de talents en France, les ingénieurs sont indispensables au développement des technologies de demain. À date, nous avons accompagné 90 à 100 entreprises. Les entreprises que nous avons suivies cumulent environ 700 M€ de levées de fonds. Actuellement, nous incubons 25 entreprises, parmi lesquelles on retrouve un tiers de biotech, un tiers de medtech et un tiers de digital. En biotech, il y a par exemple 3 entreprises qui développent des thérapies géniques ou des technologies pour les thérapies géniques ; en medtech,on retrouve des développeurs de solutions de réalité virtuelle appliquée à la gestion de l’anxiété en condition pré-opératoire, et nous avons une batterie de solutions qui permettent de mesurer finement le profil émotionnel des patients et la façon dont celui-ci évolue avec le traitement. Au sein du programme iPEPS, l’une des premières choses que nous faisons est d’emmener les start-up à l’hôpital, pour leur faire rencontrer l’équipe médicale, paramédicale et les patients, et pour requalifier le véritable besoin et la façon dont la solution peut s’intégrer dans un parcours. Quel est le profil type des start-up que vous accompagnez ? Le profil typique d’une entreprise qui arrive chez nous est une start-up qui a entre 10 et 12 mois d’âge, qui vient donc de se créer et n’a pas encore levé de fonds, avec deux ou trois personnes en son sein. Elle doit solidifier son business plan, valider sa technologie et être soutenue pour trouver des financements. Après 18 mois d’accompagnement, les statistiques montrent que ces entreprises ont en moyenne recruté entre 15 et 20 employés et ont généralement levé entre 3 et 10 M€. Lorsque nous sélectionnons une start-up, nous regardons attentivement la bonne capacité d’écoute des fondateurs et leur motivation pour travailler avec nous et avec nos chercheurs, afin de nous assurer que leur solution répond aux besoins. Parce que le système de santé et le domaine médical sont des sujets complexes, les entrepreneurs ont rarement une vision globale du terrain. Il est donc très fréquent qu’une approche du terrain bouleverse ce qu’ils avaient imaginé au départ. Nous essayons de permettre que ce bouleversement se fasse avant que beaucoup de temps et d’efforts aient été dépensés dans la mauvaise direction. En quoi consiste concrètement l’accompagnement qui est dispensé aux start-up qui entrent en phase précoce de développement ? Au sein du programme iPEPS, nous aidons les entrepreneurs à construire un projet qui va leur permettre de lever des fonds et rencontrer le succès commercial. L’une des premières choses que nous faisons est d’emmener ces start-up à l’hôpital, de leur faire rencontrer l’équipe médicale, paramédicale et les patients, pour requalifier le véritable besoin et la façon dont la solution peut s’intégrer dans un parcours. Une fois cette étape passée, vient ensuite une réflexion sur le design et les fonctionnalités de la solution, susceptible de faire évoluer le projet initial de l’entreprise pour s’assurer que les utilisateurs finaux l’utilisent. Enfin, notre unité de développement clinique va réaliser le plan de développement de la première étude de validation clinique, en anticipant les obstacles réglementaires, en réalisant les calculs de puissance, et en analysant le profil des patients mobilisés, etc. Une fois que toutes ces étapes sont passées, nous disposons du package nécessaire pour soutenir l’entreprise et aller lever des fonds. Avant l’étape de la présentation devant les investisseurs, des sessions de “crash test” sont organisées, au cours desquelles nous rassemblons plusieurs anciens investisseurs pour imaginer tous les scénarios possibles. Cet entraînement permet aux entrepreneurs d’arriver bien préparés devant les investisseurs. Quelle est la part des DTx parmi les start-up du numérique que vous suivez ? Les DTx, dans notre domaine, ont un très bon potentiel, à la fois en neurologie et en psychiatrie. C’est un sujet en croissance chez nous. Nous observons parfois des DTx seules, ou bien des DTx accompagnées par du device. Nous avons accueilli dernièrement des solutions de rééducation fonctionnelle après AVC, mais aussi des thérapies dédiées au suivi des patients atteints de sclérose en plaque. Historiquement, nous avons également accompagné des solutions de serious games, mais ce type de solution est un peu plus ancien. Comment se déroule la mise en place du biocluster Brain&Mind, dans lequel l’Institut du Cerveau est partie prenante ? Le projet de biocluster reprend tous les sujets que nous venons d’évoquer, mais se place à une échelle plus large. Accompagnés par des spécialistes de l’ophtalmologie, des spécialistes de l’audition et des psychiatres, nous constatons que la frontière qui a existé entre neurologie, psychiatrie et déficience sensorielle est une frontière artificielle. Nous traitons tous en effet du même organe, avec des pathologies différentes. Le simple fait de partager nos méthodologies au sein d’un biocluster commun est source d’innovations. L’idée derrière Brain&Mind, c’est de travailler sur l’organe, sans prendre en considération nos domaines respectifs, afin de créer des innovations au service de tous. Pour ce faire, nous avons ciblé des zones où il y a des failles majeures aujourd’hui, qui doivent être comblées pour revenir dans la compétition mondiale et être en capacité de livrer des solutions efficaces. Le premier pilier sur lequel repose Brain&Mind est la capacité de “dérisquage” précoce des solutions, que ce soit pour les médicaments, les DTx, la technologie ou la prévention. Dans cette optique, la feuille de route de développement pré-industriel de chaque projet soutenu sera faite conjointement avec des industriels et des investisseurs. Le deuxième pilier de Brain&Mind se concentre sur la standardisation des méthodes et des essais cliniques. Aujourd’hui, la recherche clinique bénéficie de médecins d’excellence qui fonctionnent trop peu dans des réseaux suffisamment bien organisés pour que, très rapidement, une technologie ou un médicament puisse être testé dans 20 hôpitaux différents, avec les mêmes SOP (Standard Operating Procedures) et les mêmes critères qualité. Enfin, le troisième pilier de Brain&Mind correspond aux phases en aval et en amont, c’est-à-dire à la fois la capacité d’expérimenter de nouvelles technologies sur les territoires, mais aussi la capacité de traduire l’arrivée de ces solutions sur le marché par du développement économique. Pour ce faire, nous déployons nos efforts sur deux stratégies essentielles avec d’un côté la formation, via des formats nouveaux et plus incitatifs pour attirer les entrepreneurs de demain, et de l’autre côté une approche d’inclusion de l’ensemble des acteurs qui participent à l’arrivée d’une solution sur le marché. Nous allons proposer à tous ces acteurs d’être autour de la table dès les phases précoces de développement de solutions pour recueillir leurs conseils et réfléchir à la façon dont les solutions qui ont prouvé leur efficacité peuvent s’intégrer dans des parcours. Quel calendrier anticipez-vous pour ces trois piliers ? Nous n’allons pas lancer ces trois stratégies en même temps. Toute la communauté qui souhaite s’impliquer va pouvoir faire remonter des propositions, à condition que ces propositions soient en adéquation avec les besoins industriels. Nous devrions contractualiser prochainement avec l’État et nous allons très probablement décider d’ici la fin de l’année des priorités à lancer en 2024. Le démarrage administratif de la structure qui porte le biocluster est également prévu pour le second semestre 2023, tandis que les premiers investissements devraient avoir lieu dès la fin de l’année. Alexis Génin Depuis 2010 : directeur de l’innovation (ex-applications de la recherche) à l’Institut du Cerveau 2006-2010 : a participé au démarrage d’Inserm-Transfert, la filiale privée de l’Inserm en charge de la valorisation et de l’investissement dans les start-up 2003-2006 : en charge du développement des activités internationales de C.B.S, une PME du secteur du diagnostic Titulaire d’un doctorat en neurosciences Clarisse Treilles Fonds d'investissementIncubateursIndustrieInnovationNeurologieSanté mentalestart-upThérapie digitale Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind