Accueil > Industrie > Biomarqueurs vocaux, la détection à portée de voix Biomarqueurs vocaux, la détection à portée de voix Avec le développement de l’intelligence artificielle, les biomarqueurs vocaux prennent leur essor. Ces caractéristiques ou combinaisons de caractéristiques de la voix associées à un résultat clinique deviennent des outils pour le diagnostic ou le suivi de pathologies et l’évaluation de l’efficacité d’un traitement. Par Coralie Baumard. Publié le 01 avril 2025 à 12h22 - Mis à jour le 02 avril 2025 à 11h10 Ressources Le marché mondial des biomarqueurs vocaux se chiffrera à 3,37 milliards de dollars en 2025, contre 2,84 milliards en 2024, selon un rapport de la société d’études de marché, The Business Research Company, publié en janvier 2025. Il connaîtra un taux annuel de croissance composé de 18,6% et devrait atteindre 6,66 milliards de dollars en 2029. Un biomarqueur vocal est une caractéristique ou une combinaison de caractéristiques du signal audio de la voix associée à un résultat clinique. “La recherche sur les biomarqueurs vocaux a vraiment explosé pendant la pandémie du Covid-19, explique le Dr Guy Fagherazzi, directeur du département Santé de précision au Luxembourg Institute of Health et spécialiste de la question. Mais nous savons depuis une trentaine d’années que les pathologies ont des conséquences sur la manière de produire la voix et impactent la voix des patients. Par exemple, pour les neurologues, la voix des personnes atteintes de Parkinson est un indicateur de progression de la maladie.” Un accès généralisé aux smartphones ainsi qu’à des micros de bonne qualité et le développement de l’intelligence artificielle permet désormais leur essor. Dr Guy Fagherazzi, directeur du département Santé de précision au Luxembourg Institute of Health “Le potentiel des biomarqueurs vocaux est multiple. En premier lieu, ils peuvent constituer des digital clinical endpoints, des informations, des marqueurs suivis pour démontrer l’efficacité d’un traitement ou d’une intervention dans un essai clinique, précise le Dr Guy Fagherazzi. Ils peuvent également permettre la tenue de consultations augmentées, qu’il s’agisse de consultations face-à-face ou de téléconsultation, avec une analyse de la voix en temps réel ou quasi en temps réel. À partir d’enregistrements, nous pouvons recueillir de nombreux indicateurs sur différents paramètres de santé.” La santé mentale, point d’entrée des start-up Pour le Dr Guy Fagherazzi, les grands domaines d’application des biomarqueurs vocaux sont les maladies neurodégénératives comme Parkinson et Alzheimer, la santé mentale (symptômes dépressifs, dépression, troubles bipolaires, stress, anxiété) ainsi que les maladies respiratoires (asthme, BPCO). La santé mentale est la spécialité la plus explorée par les start-up. La start-up Virtuosis AI, spin-off de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, a bénéficié de l’intérêt grandissant des entreprises pour la santé mentale de leurs salariés dans la période post-Covid. Fondée en 2022 par Lara Gervaise et Edoardo Giudice, elle s’appuie sur les recherches de cette dernière axées sur l’utilisation de l’intelligence artificielle pour améliorer la communication. Approchée par Microsoft, la start-up a développé une solution de détection du burn-out en entreprise, basée sur des modèles d’intelligence artificielle propriétaires, en se fondant sur l’analyse du stress, de l’anxiété et de la fatigue via la voix. Intégrée à Teams, l’application de visioconférence du géant américain, la solution est officiellement lancée en janvier 2023 au Consumer Electronic Show de Las Vegas. “Nous avons eu beaucoup de demandes de personnes souhaitant tester leur état mental, nous avons donc ouvert au grand public une application à la mi-mars 2025”, confie la cofondatrice de Virtuosis AI à mind Health. Aperçu de l’interface de la solution de Virtuosis AI dédiée à la maladie de Parkinson. L’entreprise a également entamé des collaborations avec des hôpitaux, notamment les Hôpitaux universitaires de Genève et l’hôpital d’Ottawa afin d’obtenir des données pour valider ses solutions sur la santé mentale et cognitive (Alzheimer, Parkinson, trouble cognitif léger) et développer la technologie sur de nouvelles pathologies. Lara Gervaise, cofondatrice de Virtuosis AI. “En 2025, nous mettons en place des projets d’études en France, notamment avec la fondation Fondamentale, l’AP-HP et des CHU en régions ainsi que la médecine de ville sur la thématique de la santé mentale (stress, anxiété, dépression) afin d’obtenir des validations cliniques et médico-économiques nécessaires au remboursement de notre solution”, annonce Lara Gervaise. La start-up, basée à Lausanne, a ouvert des bureaux en France en janvier 2025. Pour sa solution, Virtuosis AI dispose d’un marquage CE de classe I et prépare son passage en classe IIa. Développer un modèle de fondation basé sur la voix La start-up française Callyope explore également le potentiel de la voix dans le domaine de la santé mentale. L’entreprise, qui a levé 2,2 millions d’euros en 2023, a élaboré une plateforme permettant à des patients atteints de troubles bipolaires, de dépression sévère ou de schizophrénie de suivre leurs symptômes et d’envoyer des alertes à leur psychiatre en cas de rechute. La start-up a besoin d’un échantillon d’une minute de conversation spontanée pour réaliser son analyse. “La voix est le médium d’analyse le plus riche en psychiatrie. Pour diagnostiquer une schizophrénie, l’un des symptômes est le désordre du discours. Pour les troubles bipolaires, le psychiatre s’appuie, notamment sur l’accélération du débit de parole dans les phases maniaques”, indique Martin Denais, CEO de Callyope. La start-up développe un modèle de fondation basée sur la voix. “Nous l’entraînons à reconnaître plusieurs symptômes à travers différentes maladies, explique Martin Denais. En analysant la voix, notre algorithme est capable de reconnaître des signes de psychose dans la schizophrénie, car il y a été confronté par de nombreux exemples. Mais il va également pouvoir transposer ce symptôme à la dépression, alors que peu, voire aucun exemple, n’était présent dans le jeu des données d’entraînement.” Une approche qui permet de gagner en robustesse, selon Martin Denais, car “historiquement, lorsque l’on lançait une étude sur la dépression, les dépressions psychotiques étaient supprimées. Aujourd’hui, nous obtenons des taux de détection de 80 % de sensibilité et spécificité pour la dépression légère en population générale et 95 % pour la dépression sévère”, ajoute-t-il. Autre avantage du modèle de fondation, selon le CEO de Callyope, la prise en compte du patient dans sa globalité. Outre les échantillons audio, le raisonnement du modèle peut, en effet, inclure des facteurs comme son sommeil, son activité physique ou son contexte médical. Afin d’obtenir les jeux de données nécessaires à l’entraînement de son modèle, la start-up a entamé plusieurs collaborations avec des hôpitaux. Elle a, notamment, signé un accord-cadre avec le GHU Paris, le groupe hospitalier spécialisé en psychiatrie et neurosciences. Sept études cliniques sont en cours, dont quatre réalisées avec le GHU. Martin Denais, CEO de Callyope. “Aujourd’hui, nous avons les échantillons de voix de plus de 10 000 participants associés à un état clinique et à d’autres facteurs. Il existe peu de données open source de qualité, il faut donc signer des partenariats avec des établissements de santé et lancer des études cliniques observationnelles afin de collecter la donnée”, souligne le CEO de Callyope. Une première version du modèle de fondation sortira au début de l’été, mais sera réservé au suivi à distance de patients atteints de troubles modérés ou à l’évaluation de patients souffrant de troubles plus sévères, mais étant hospitalisés à temps plein. “Notre objectif est d’être certifié en tant que plateforme de surveillance, tout d’abord en tant que dispositif de classe I, nous visons l’obtention de la classe IIa pour début 2027”, annonce Martin Denais. La start-up souhaite également obtenir un remboursement via la prise en charge anticipée. Des biomarqueurs vocaux pour identifier le diabète de type 2 Si la santé mentale représente un part importante de la recherche sur les biomarqueurs vocaux, la technologie permet également de s’intéresser à d’autres pathologies. Une équipe de chercheurs du LIH, dirigée par Abir Elbeji et le Dr Guy Fagherazzi, a travaillé sur des biomarqueurs vocaux permettant d’identifier le diabète de type 2. “Si nous remarquons qu’avec la progression de la maladie, les patients développent une fatigue respiratoire générale qui rend leur voix plus rauque ou hachée que celle de la population générale, nous ne pouvons pas isoler un paramètre de la voix très différent. Quand nous extrayons de l’information dans un enregistrement vocal, nous extrayons des milliers et des milliers de variables d’informations, de signaux dans la voix que nous intégrons dans nos modèles d’intelligence artificielle. C’est la combinaison de toutes ces changements qui nous permet de détecter la maladie”, explique-t-il. L’étude a été publiée en décembre 2024 dans la revue PLOS Digital Health. Les chercheurs ont analysé les enregistrements vocaux de plus de 600 participants américains. Les échantillons ont été recueillis via la plateforme Colive, mise en place par le LIH, qui intègre des données (enregistrements vocaux et questionnaires de santé détaillés) de participants du monde entier en plusieurs langues. “À ce jour, nous avons plus de 10 000 participants, cela constitue le matériel de base pour entraîner nos algorithmes et développer nos biomarqueurs”, précise le le Dr Guy Fagherazzi. ComPaRe, la Communauté de Patients pour la Recherche portée par l’AP-HP et Université Paris Cité, fait partie de ces participants. En utilisant des algorithmes d’intelligence artificielle, l’équipe a obtenu une précision prédictive comparable au score de risque utilisé par l’American Diabetes Association. De plus, selon le communiqué du LIH, les taux de détection étaient encore meilleurs dans des groupes démographiques clés, notamment les femmes de plus de 60 ans et les personnes souffrant d’hypertension. “Nous sommes en train de travailler à la transférabilité des biomarqueurs vocaux dans d’autres populations et d’autres langues afin de vérifier que cela fonctionne. Il faut faire très attention aux biais quand on entraîne des modèles d’intelligence artificielle, cela est souvent négligé. Les langues, l’âge, la distribution de sexe ou de genre, l’environnement socio-démographique, etc. sont des paramètres qui peuvent jouer dans les résultats et les influencer. C’est pour cela que les confirmations doivent être faites à chaque fois dans d’autres populations. À terme, nous pouvons imaginer des outils de dépistage pour faciliter le repérage des personnes vivant avec un diabète de type 2 ou étant à risque de le développer”, souligne le Dr Guy Fagherazzi. Le LIH n’est pas le seul à étendre son exploration de l’application des biomarqueurs à d’autres pathologies, Virtuosis AI, par exemple, développe actuellement des solutions ciblant la santé hormonale et la santé des femmes. Une spin-off du LIH lancée d’ici la fin 2025 En mars 2024, le LIH a obtenu un financement de 499 000 € du Luxembourg National Research Fund visant à développer une plateforme de services pour le développement de biomarqueurs vocaux. Ce financement de démarrage a permis de convertir le pipeline de recherche en un produit. Pour déployer cette plateforme, le LIH va créer d’ici la fin d’année une start-up. “Nous visons les laboratoires pharmaceutiques ainsi que les CRO. Grâce à cette technologie, le pari est de numériser de plus en plus les essais cliniques et de les décentraliser en facilitant les analyses et le suivi au domicile des patients ou à distance, indique le Dr Guy Fagherazzi. Outre ses biomarqueurs liés aux pathologies de santé mentale ou respiratoires, le LIH a notamment développé des marqueurs sur la fatigue, un élément intéressant à suivre dans les essais cliniques pour analyser l’effet positif d’un nouveau traitement. “La plateforme est générique, c’est-à-dire qu’elle peut s’appliquer à tous les types d’enregistrement et à toutes les pathologies, précise le Dr Guy Fagherazzi. Outre, un accès aux biomarqueurs vocaux candidats que nous avons développé, notre plateforme pourra permettre d’améliorer la qualité des enregistrements et des performances des algorithmes développés par d’autres sociétés.” De nouveaux biomarqueurs sont en développement, le LIH travaille, notamment, sur la détresse liée au diabète. Le lancement de la spin-off à la fin 2025 sera accompagnée d’une levée de fonds. Coralie Baumard AlgorithmesBiomarqueurs digitauxDiabèteIntelligence ArtificiellePsychiatrie Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Entretien Dr Stéphane Mouchabac (ICM) : “Les outils numériques offrent l'opportunité d'augmenter la qualité et l'efficience de la prise en charge en psychiatrie" TENDANCES 2025 - Biomarqueurs digitaux : les nouvelles voies du diagnostic