Accueil > Financement et politiques publiques > Financement de l'innovation > Blockchain : Quelques clés pour mener un projet pilote Blockchain : Quelques clés pour mener un projet pilote Alors que la technologie blockchain fait parler d’elle dans le secteur bancaire autour des cryptomonnaies et des ICO, de premiers projets pilotes indiquent un intérêt du secteur de la santé. Tant pour la sécurisation de la supply chain que pour les échanges de données dans les essais cliniques, en passant par les dossiers médicaux, les applications potentielles semblent aujourd’hui balbutiantes. Si la phase d’industrialisation paraît encore lointaine, des premiers POC ou projets de pilotes émergent. Par Aurélie Dureuil. Publié le 18 mars 2018 à 14h27 - Mis à jour le 18 mars 2018 à 14h27 Ressources Un marché oscillant entre 700 et 950 millions de dollars en 2017 et qui pourrait atteindre 2,1 Mds $ en 2018, 9,2 Mds en 2021 voire plus de 60 Mds $ en 2024. Les études de International Data Corporation et Market Reports Center prévoient des croissances exponentielles pour le secteur de la blockchain. Si les premières applications concernent le secteur de la finance autour des cryptomonnaies et ICO (Initial coin offering), d’autres domaines commencent à s’intéresser à cette technologie. “Le bitcoin, première blockchain, a émergé en 2009. D’abord développé et promu par des cercles restreints, sa réelle notoriété a débuté en 2013. Il s’agit d’une blockchain d’usage principalement monétaire ce qui explique que le premier secteur à s’emparer du concept a été la finance. Avec l’apparition en 2015 de la blockchain Ethereum, permettant de déployer en son sein des programmes informatiques, les “smart contracts”, les cas d’applications potentiels se sont multipliés. Cela a donc suscité un intérêt fort de l’ensemble des secteurs économiques. Les premiers POC (Proof of concept) et expérimentations ont émergé en 2016-2017. Dans la santé, on en parle réellement depuis fin 2016”, rappelle Xavier de Boissieu, directeur du Lab Innovation et associé EY à Paris. Une étude d’IBM de 2016 prévoit l’adoption de la blockchain dans la santé entre 2018 et 2020 pour 56 % des 200 acteurs interrogés. Les acteurs du secteur témoignent par ailleurs de l’intérêt des industriels. “Quelques projets de start-up commencent à poindre dans ce domaine en France, mais cela reste anecdotique. Deux ou trois projets de grandes compagnies sont également en cours mais restent confidentiels”, indique Laurent Leloup, cofondateur de la start-up Blocknews et de l’association France blocktech. La confidentialité autour des projets des laboratoires pharmaceutiques est de mise mais Xavier de Boissieu constate deux types de motivation pour des projets blockchain : “Soit nos clients cherchent à identifier si la technologie blockchain peut leur apporter des solutions efficaces face à leurs problématiques actuelles, soit une prise de conscience de la révolution en marche les pousse à avoir une compréhension extrêmement fine des opportunités et menaces pour leurs activités”. Des applications potentielles dans la recherche clinique Dans ce secteur, la blockchain est citée pour répondre à trois types d’enjeux. Le premier concerne la recherche de nouveaux médicaments. “La véracité des travaux de recherches et d’essais cliniques menés est régulièrement remise en cause (…). La blockchain offrirait ainsi un espace de partage de données d’essais cliniques et de recherche collaboratif plus transparent et plus efficient, le tout dans le respect de la vie privée”, estimait Blockchain Partner dans une étude en juin 2017. Xavier de Boissieu constate également l’intérêt des acteurs des essais cliniques pour “la lutte contre la fraude dans les essais cliniques”. Il précise : “la blockchain permet de recueillir le consentement des patients inclus dans une étude avec une sécurité très forte”. De premiers pilotes voient le jour. Notamment My Health My Data, projet ayant obtenu un financement de l’Europe dans le cadre du programme H2020. Il consiste à créer un réseau avec d’un côté des centres collecteurs de données (centres hospitaliers, centres de recherche collecteurs de données) et de l’autre les laboratoires pharmaceutiques et leurs sous-traitants pour la recherche clinique (CRO). “Chaque hôpital fait partie d’un réseau et dispose d’un noeud où il dépose les données pseudonymisées. La CRO ou le laboratoire navigue ensuite dans ce catalogue et sélectionne les données qui l’intéressent pour l’édition de smart contract. La donnée est mobilisée par le smart contract et mise à disposition sur une sorte de cloud privé avec un nouveau niveau de pseudonymisation. A aucun moment, il n’y a besoin de savoir de qui il s’agit et d’où viennent les données”, assure David Manset, P-DG de Be Studys, coordinateur du livre blanc Blockchain for better care du Healthcare Data Institute et participant au projet My Health My Data. Sur l’accès aux données de recherche, l’Agence américaine du médicament (FDA) s’est associée avec IBM Watson Health début 2017 pour un projet de 2 ans. La blockchain permet de notarier toutes ces informations, indique Xavier de Boissieu (EY) La supply chain, deuxième axe d’applications La seconde application envisagée concerne la traçabilité dans la supply chain. “Pour améliorer la traçabilité des médicaments, et le respect des conditions de transport avec notamment le suivi des températures pour les produits thermosensibles, la blockchain permet de notarier toutes ces informations”, indique Xavier de Boissieu. Dans ce domaine, le transporteur DHL a établi un POC avec Accenture sur la sérialisation des médicaments. Un projet détaillé dans une étude publiée le 12 mars 2018. Le prototype de track-and-trace de sérialisation repose sur “une chaîne de blocs comprenant un réseau mondial de noeuds répartis sur six zones géographiques. Le système documente de manière complète chaque étape du trajet du produit pharmaceutique jusqu’au magasin voire au consommateur”, précisent les deux partenaires. La sécurisation des dossiers médicaux des patients La dernière application concernerait les données patients. Le cas de l’Estonie est souvent cité en exemple.Les autorités estoniennes travaillent avec la société Guardtime pour utiliser la blockchain pour leurs dossiers patients. “Ils ont déjà un système qui date d’une dizaine d’années, construit dans un esprit blockchain”, observe Sajida Zouarhi, architecte blockchain de ConsenSys, cofondatrice de projet Kidner et du think tank français EBTT (eHealth & Blockchain think tank). En France, Orange Labs a réalisé un prototype de gestion des consentements appliqué au dossier médical, signale Philippe Genestier, chef de projet et responsable du projet de recherche Santé d’Orange Labs et participant à la rédaction du livre blanc du Healthcare Data Institute. Une première étape d’évangélisation des équipes Ces premiers POC ou pilotes permettent de dégager plusieurs éléments à prendre en compte pour leur réalisation autour de solutions blockchain. La première étape repose sur la sensibilisation et la formation des membres de l’entreprise sur la technologie blockchain. “Il faut constituer un groupe de 20 à 30 personnes dans l’entreprise qui s’intéressent à la technologie. Et se donner les moyens à travers des formations, des Mooc, des conférences… afin de bien comprendre les tenants et les aboutissants de la blockchain”, suggère Chloé Dru, responsable projet chez Blockchain Partner. Citons notamment le Mooc de Blockchain Partner et LearnAssembly. Xavier de Boissieu renchérit : “C’est une technologie complexe, donc difficile à appréhender. Pour en apprécier pleinement l’impact, il faut une compréhension minimale des enjeux technologiques et scientifiques sous-jacents”. EY intervient ainsi pour deux demi-journées “disjointes” de formation aux divisions métiers des entreprises pour les sensibiliser. Cette étape permet également d’identifier des cas d’usage qui peuvent alors faire l’objet de POC. “Nous intervenons pour accompagner les entreprises à analyser le système actuel, les pain points, ce que la blockchain pourrait résoudre…”, indique Sajida Zouarhi. Un POC vise à montrer comment la solution cible fonctionnerait d’un point de vue technique, Chloé Dru (Blockchain Partner) Des délais et coûts variables “Un POC a pour vocation d’être réalisé relativement rapidement. Généralement dans un délai de 6 à 12 semaines”, conseille Xavier de Boissieu. De son côté, Chloé Dru estime qu’un POC s’effectue en 4 à 6 semaines. “Il sert à montrer l’intérêt d’un concept. On ne passe pas beaucoup de temps sur le design des interfaces, des couleurs… Il vise à montrer comment la solution cible fonctionnerait d’un point de vue technique”, précise-t-elle. La réalisation du prototype d’Orange Labs a pris quelques mois. “Nous avons essuyé pas mal de plâtres. Maintenant nous irions beaucoup plus vite”, confie Philippe Genestier sans préciser les difficultés rencontrées. Outre l’aspect délai, la question du budget et des ressources humaines allouées au projet semblent très variables. “Un POC blockchain coûte entre 40 000 et 70 000 euros en fonction du cas d’usage qu’on expérimente”, signale Chloé Dru. Si il ne donne pas de chiffre sur le budget du prototype, Philippe Genestier d’Orange Labs indique que les ressources allouées au projet étaient de l’ordre de “quelques hommes/mois de travail avec une assistance d’IBM pour quelques jours d’expertise”. Les questions techniques à résoudre D’un point de vue technique, plusieurs points sont à prendre en compte. “La première étape est de choisir entre un réseau public ou privé”, explique Sean Khozin de la FDA. Dans le cadre de la première, “n’importe qui peut implémenter un noeud de transaction ou de validation”, tandis que la seconde repose sur “un validateur unique”, selon Healthcare Data institute. Philippe Genestier d’Orange Labs cite également la blockchain de consortium dans laquelle seuls les acteurs sélectionnés peuvent interagir. Il faut ensuite choisir la solution technique. Orange Labs a par exemple travaillé avec Hyperledger, “une plateforme opensource de type consortium, car elle offre la possibilité d’inclure nos propres fonctions. Son principal contributeur est IBM qui nous fournit un soutien technique et une assistance”, précise le chef de projet. Pour le projet européen My Health My Data, le choix s’est également porté sur Hyperledger. “Nous combinons trois techniques cryptographiques pour garantir la pseudonymisation des personnes, de l’étude et des institutions participantes”, indique David Manset. Prendre en compte les limites réglementaires A la question des freins au développement de ces projets, le RGPD est cité. “Dans une blockchain, on met des informations qui ne sont jamais effacées. La blockchain est un outil pour stocker des signatures. On peut ainsi vérifier que l’information à laquelle on accède de manière classique n’a pas été transformée”, indique Philippe Genestier. Un constat fait également par Chloé Dru : “Ce qui est mis dans la blockchain ne peut pas être supprimé. On ne peut donc pas y stocker des données personnelles”. Pour le projet My Health My Data, David Manset mise sur la pseudonymisation pour permettre d’inclure des informations venant de patient qui ne pourront pas être ré-identifiés. “Nous avons lancé le projet alors que le RGPD était en cours de rédaction et avons dès le départ pris en compte la compatibilité avec ce texte. L’objectif est de permettre aux patients de faire respecter le droit à l’oubli”, ajoute-t-il. Avant de préciser : “Nous sommes en train de défricher la partie juridique et technique, notamment pour définir la responsabilité de la blockchain”. Avec la prise en compte des différents éléments, les projets POC semblent ainsi se développer dans le secteur. Reste à les suivre leur industrialisation. Xavier de Boissieu signale néanmoins que “pour le moment, 95 % des POC réalisés dans le secteur ne sont pas passés en production”. Définition de la blockchain La technologie blockchain est présentée comme une technologie de stockage et de transmission d’informations. Elle repose sur une base de données décentralisée permettant d’échanger de la valeur sans tiers de confiance, de façon sécurisée. Les informations sont regroupées dans des noeuds ou blocs et horodatées. Elles sont ajoutées à une chaîne de blocs. Aurélie Dureuil base de donnéesblockchainDonnées de santéEssais cliniquesInnovation Besoin d’informations complémentaires ? 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