Comment Implicity améliore le suivi des patients cardiaques

La genèse

Depuis 2007, Arnaud Rosier travaillait sur la manière d’utiliser l’intelligence artificielle (IA) symbolique (explicable et auditable) sur l’automatisation du raisonnement médical dans les modèles d’information. En 2015, il recroise David Perlmutter, ingénieur télécom de formation qui avait toujours eu envie de travailler dans la santé. Ils se lancent alors dans un projet d’aide à la décision médicale qu’ils baptisent “Implicity”, reflet de leur souhait d’utiliser les connaissances implicites dans des modèles d’information de connaissances. Ils adressent le cas d’usage que le cardiologue connaît le mieux : l’électrophysiologie cardiaque. Il existe à cette époque une problématique importante non résolue : les 500 000 patients français équipés de prothèses rythmiques, c’est-à-dire de pacemakers (dispositif stimulant le cœur des patients quand celui-ci bat trop lentement) ou de défibrillateurs implantables (appareil de prévention de la mort subite) sont désormais connectés. Le patient et son cœur peuvent donc être suivis à distance. Pourtant, le taux d’adoption du télésuivi en France est de l’ordre de 10 à 15 %. “Alors même que c’est une recommandation des sociétés savantes depuis 2015 : tous ces malades doivent être télésuivis car cela baisse la mortalité des patients”, explique le rythmologue.

Le fondateur et les effectifs

Spécialiste des troubles du rythme cardiaque, cardiologue interventionnel, Arnaud Rosier se définit comme un “électricien du cœur”. Il est titulaire d’une thèse en IA (Inserm, Rennes I) informatique (computer science en IA symbolique, en ingénierie des connaissances). Il est ainsi capable de créer des modèles de connaissances reflétant la manière dont les humains ont des connaissances en santé. “Comme par exemple recréer un modèle pour la machine expliquant ce qu’est une maladie, un infarctus, un trouble du rythme, de telle sorte que la machine soit capable d’utiliser ce modèle informatique pour faire du raisonnement automatique, sans que ce soit de l’IA type machine learning”, explique Arnaud Rosier. Les deux fondateurs de la start-up qui compte aujourd’hui 50 employés ont été rejoints par Thomas Habib, ancien de Shop Apotheke, au poste de COO, et Louay Gargoum (ex Kyriba), comme CTO. “Nous accordons un temps plein à la qualité (privacy et RGPD), précise le CEO. “Nous disposons d’une équipe technique pour la plateforme, une équipe de R&D datascience qui crée des algorithmes (déjà 4 étant marqués CE) et une équipe réglementaire.

La technologie

Les patients équipés d’implants cardiaques connectés génèrent de très nombreuses données pouvant être utilisées pour leur suivi à distance. Mais selon Arnaud Rosier, il existe un manque de ressources hospitalières : les établissements réalisant l’implantation de ce dispositif et son suivi nécessitent de disposer d’une importante organisation pour parvenir à “écoper toutes ces données, c’est un nouveau paradigme : le patient n’est pas physiquement là mais des données proviennent quotidiennement de milliers de patients”.

Les données sont envoyées par 5 fabricants différents, aux soignants d’établir si elles sont pertinentes. “L’alerte ne peut pas être contextualisée à l’échelle du fabricant car les données cliniques sont nécessaires. Il faut donc que les soignants gèrent toute l’information. Au final, il y a généralement 15 à 20 % des patients qui ont une alerte nécessitant une action”, souligne le cardiologue. Il s’agit pour les praticiens de les trier. C’est ce que permet de faire la plateforme développée par Implicity, qui joue le rôle de tour de contrôle de ce déluge de données. “Les données brutes sont toutes rassemblées au même endroit, ce qui permet d’utiliser des algorithmes de productivité et d’efficacité afin de distinguer les alertes. L’objectif étant de prédire les aggravations, faire gagner du temps aux soignants en extrayant des signaux faibles à forte valeur ajoutée. C’est un outil organisationnel à bénéfice individuel indirect pour le patient”. Les données proviennent des clouds des fabricants et remontent dans celui d’Implicity.

L’aspect règlementaire

En tant que dispositif médical logiciel embarquant de l’IA, Implicity relève de la catégorie IIa et dispose du marquage CE. Certifiée ISO 27001 et HDS (Hébergement Données de Santé), la plateforme respecte les réglementations française, européenne et mondiale. D’un point de vue opérationnel, cet outil est interopérable et transparent, que ce soit pour l’utilisateur ou l’hôpital. Les données proviennent de plusieurs bases et sont ensuite centralisées au sein d’Implicity.

Des bénéfices nets

Le télésuivi d’un patient plutôt que sa venue en consultation à l’hôpital tous les 3 à 6 mois permet de diminuer la mortalité de 40 % à un an (Hindricks & al., Daily remote monitoring of implantable cardioverter-defibrillators: insights from the pooled patient-level data from three randomized controlled trials (IN-TIME, ECOST, TRUST), European Heart Journal, 2017).

En présentiel, le clinicien peut parfois uniquement constater avec un certain délai d’éventuels problèmes. Par ailleurs l’utilisation de ce type de dispositif permet de réaliser des économies pour le système de santé, de 500 à 4 000 € par an par patient (Guédon-Moreau & al., Costs of remote monitoring vs. ambulatory follow-ups of implanted cardioverter defibrillators in the randomized ECOST study, Europace, 2014)

Le modèle économique

Du point de vue de la prise en charge, il s’agit d’un remboursement -pour le professionnel de santé ou l’hôpital- de l’activité de télésurveillance. “Cette dernière est rémunérée pour le soignant exerçant à l’hôpital, par an et par patient. Notre modèle est également d’établir un prix par an et par patient qui dépend du produit de surveillance continue. Nous vendons une licence logicielle aux hôpitaux ou acteurs américains qui peuvent être des sociétés tierces réalisant du télésuivi. C’est un modèle récurrent basé sur le volume de patients”, explique Arnaud Rosier. Il précise que “même s’il existe une volonté de se développer à l’international, la R&D demeure ancrée en France”.

Les financements

La création et le développement de la start-up ont été permis par de l’investissement privé, des subventions et de l’avance remboursable de bpifrance. Implicity a été financée essentiellement par des fonds de capitaux risques qui ont investi 5 M€ depuis sa création. “Nos revenus proviennent également de nos clients, essentiellement les hôpitaux. En France, on aide à suivre 30 000 patients. Au sein du programme ÉTAPES, 90 000 patients sont télésuivis, nous en sommes le premier acteur en volume. Deux ans après le lancement de notre produit, on représente en France 30 à 40 % des patients télésuivis porteurs d’un pacemaker ou d’un défibrillateur connecté. “Dans le cadre de la fin du programme, avec le passage en droit commun de la télésurveillance, il y a un vrai sujet de relais de financement en France car nous sommes aujourd’hui paradoxalement la seule solution non prise en charge”, note le Dr Rosier. L’Institut Mutualiste Montsouris, un des plus gros centres français, est passé de 200 à 2 500 patients équipés et télésuivis par Implicity en deux ans. Plus de 45 000 patients sont suivis grâce à Implicity, dont une partie significative aux États-Unis.

Les partenaires / fabricants

“Les fabricants de dispositifs (notamment Abbott, Biotronik, Boston, Medtronic, Microport) sont de loin nos premiers partenaires, car nous essayons d’améliorer le taux de suivi des patients pour lesquels ils ont fourni le dispositif et la télétransmission.” Implicity demeure toutefois totalement indépendante de ces fabricants. “On travaille également avec beaucoup de médecins en France et aux États-Unis car ils sont nos utilisateurs. Nous pouvons potentiellement les aider à faciliter l’analyse des données de leurs patients. L’objectif est de créer de la connaissance et répondre à des problématiques médicales non résolues. Pour cela, on développe conjointement des algorithmes d’IA”. Implicity est également partenaire de Withings dont la balance connectée peut-être reliée à la plateforme. Cela permet notamment de surveiller le passage d’un patient en insuffisance cardiaque, “auquel cas, il accumulera eau et sel, son poids augmentera brutalement, ce qui sera détecté par la balance”, explique le cardiologue.

Le marché

Selon Arnaud Rosier, le marché est mondial. Il estime qu’Implicity est déjà leader en Europe et commence à se développer aux États-Unis. Avant de se lancer sur le marché asiatique, il souhaite consolider ses premiers marchés (USA et Europe). Il espère par ailleurs être reconnu comme acteur apportant de la valeur via le programme ÉTAPES. Sans compter qu’une partie des données issues de tous les fabricants centralisées et agrégées par la plateforme pourrait être accessible aux cardiologues de ville pour faciliter la coordination du parcours de soins et l’échange d’information. Voire aux médecins traitants, et à encore plus long terme les ehpad. “On travaille à rendre les données disponibles à l’ensemble des acteurs concernés par cette prise en charge”, confirme le CEO. En Europe, 5 millions de patients portent une prothèse cardiaque, de même aux États-Unis. Globalement, la solution d’Implicity a été adoptée par 80 centres médicaux, en France, aux USA, en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Finlande. En France, il s’agit des hôpitaux de l’AP-HP -Hôpital européen Georges-Pompidou, la Pitié-Salpêtrière, Henri-Mondor, Bichat, Claude Bernard, Bicêtre, Antoine-Béclère, Paul-Brousse, Necker-Enfants malades, la clinique Pasteur et le CHU Grenoble Alpes pour ne citer qu’eux.