Accueil > Parcours de soins > Gestion de la data > Data : les stratégies des assureurs santé pour mieux les exploiter Data : les stratégies des assureurs santé pour mieux les exploiter Sujet délicat à aborder pour les assureurs santé, l’utilisation de données pour améliorer un produit ou son ciblage, lutter contre la fraude ou mieux calculer les risques, est une réalité. Plusieurs start-up se positionnent d’ailleurs sur ce segment pour fournir encore plus d’informations aux assureurs, qui ne veulent plus être de simples “payeurs aveugles”. Comment les assureurs santé récoltent-ils les données ? À quelles fins ? Malakoff Médéric, Deloitte Consulting, l’avocate Cécile Théard-Jallu et les start-up spécialisées Addon ACS et Apidata livrent leurs observations et analyses. Par . Publié le 12 novembre 2018 à 11h42 - Mis à jour le 12 novembre 2018 à 11h42 Ressources Les assureurs santé sont très rares à accepter de dévoiler leur stratégie en termes de récolte et d’exploitation de données. “L’acceptation sociétale n’est pas là et l’exploitation de données de santé n’est pas conforme à nos valeurs”, répond ainsi Thomas Perrin, directeur général adjoint aux métiers santé et prévoyance chez Apicil, lorsqu’il est interrogé sur le sujet. Car même si la loi française interdit aux assureurs santé de pratiquer des tarifs individuels, les études témoignent de la crainte des Français sur l’utilisation de leurs données : en juillet dernier, une étude commandée par Quadient auprès de NextContent sur la digitalisation de l’assurance révélait que près de 70 % des Français ne seraient pas prêts à porter un équipement connecté et à partager avec leur assureur des informations santé, dont 31 % parce qu’ils pensent que la mutuelle s’en servirait pour revoir les conditions du contrat. Cela se constate par exemple dans la tentative de Generali de proposer une option offrant des réductions en échange d’un bon comportement mesuré à travers des objets connectés, via le programme Vitality. L’offre n’a pas trouvé son public : elle n’a attiré que 2 000 utilisateurs, sur 30 000 visés. Traditionnellement “payeurs aveugles”, les assureurs santé ont un accès de départ assez limité aux informations sur les actes et traitements qu’ils remboursent. “Les informations reçues par l’assureur pour le remboursement des prestations en complément de l’assurance maladie sont des codes actes regroupés qui ne permettent pas de remonter à l’acte médical ou au traitement prescrit. Il n’a pas accès à des données fines comme l’objet de la pathologie, le nom du médicament ou la spécialité du médecin”, indique Jean-François Poletti, associé chez Deloitte en charge des activités assurance de personnes. Cela découle du principe de minimisation : “En tant que responsable de traitement des données personnelles des assurés, la sécurité sociale doit répondre à certaines obligations visant à protéger ces données, dont la minimisation de leur traitement. Cela comprend notamment l’obligation de ne les communiquer qu’aux tiers habilités à les recevoir et dans la limite des seules données strictement nécessaires à la finalité du traitement réalisé par ces tiers”, explique Cécile Théard-Jallu, avocate au cabinet De Gaulle Fleurance & Associés. Des investissements significatifs dans des infrastructures d’exploitation de données Pour autant, la réglementation n’interdit pas de manière absolue aux assureurs santé d’accéder à d’autres données, notamment de santé : “Le principe d’interdiction des données de santé posé par le RGPD est assorti d’une série d’exceptions dont certaines peuvent s’appliquer aux assureurs. Une analyse de chaque type de traitement est alors nécessaire en tenant compte des garde-fous exigés par la réglementation, notamment l’obtention du consentement libre et éclairé de la personne dont les données sont traitées – lorsque ce consentement est le fondement juridique utilisable et utilisé -, la fourniture à la personne des informations nécessaires, l’adoption de mesures techniques et organisationnelles adéquates pour la protection des données etc,” liste Cécile Théard-Jallu. Et la mise en conformité avec les exigences réglementaires, notamment celles imposées par le RGPD, en matière de signalement, de réclamation ou de droit à l’oubli par exemple, les conduit à investir dans des infrastructures et à clarifier leurs différentes sources de collecte de données. Dans ce secteur ultra-compétitif et réglementé, où la valeur ajoutée ne se situe plus dans les niveaux de remboursements proposés, “les assureurs doivent profiter de ces évolutions pour aller au-delà de la simple satisfaction des exigences réglementaires et proposer des parcours clients facilités, des services différenciants et optimiser la valeur client perçue”, affirme Jean-François Poletti, qui accompagne plusieurs assureurs santé et prévoyance sur l’innovation dans le domaine des services. En interne, les sources sont déjà très nombreuses, car les assureurs santé bénéficient d’un atout de taille : la très grande régularité des contacts avec le client. “Les événements liés au contrat sont très fréquents, les volumes de données transmis sont énormes”, indique Xavier Garcia, président d’Apidata, qui propose aux assureurs, notamment santé, d’externaliser la collecte de l’ensemble des données liées aux contrats pour les rendre exploitables. Des sources de données variées Le premier travail consiste d’abord à mieux exploiter les sources de données internes. “Dans nos projets data, l’aspect algorithmique ne représente que 20 % du travail. Le reste porte sur l’accès aux données : garantir leur qualité, leur complétude, leur accès puis faire en sorte que les métiers intègrent les algorithmes dans leurs fonctionnement, processus et outils”, explique David Giblas, directeur innovation digital et data de Malakoff Médéric, qui met en place depuis deux ans une stratégie active dans l’exploitation de la data. “En tant qu’acteur de la santé, de la prévoyance collective et de la retraite complémentaire, nous récoltons les données sujettes aux remboursements, donc l’ordre d’acte de médecin généraliste, de l’hôpital de la pharmacie… Et toutes celles relatives à la prévoyance : l’absentéisme en cas d’arrêt de travail, les accidents de travail… Et ce autour des six millions de personnes que l’on protège.” détaille-t-il. Cette activité de récolte et d’exploitation des data peut aussi être externalisée, comme le propose Apidata, qui a conçu une plateforme, standardisée ou sur-mesure, à destination des assureurs santé. “Nous récupérons les données relatives au contrat ou à la personne assurée, comme les primes, les cotisations, le niveau de garantie, les prestations, les commissions versées au courtier… Ce sont les gestionnaires du contrat, donc soit les courtiers gérant la relation commerciale, soit les gestionnaires pour compte de tiers, qui nous les fournissent”, explique Xavier Garcia. Ces données portent sur 3,5 millions de personnes. Une fois récupérées, elles sont mises au format de l’assureur et alimentent des outils de big data, comme ceux utilisés pour le CRM, la lutte contre la fraude ou pour répondre à des obligations réglementaires. Les données externes À cela s’ajoutent des sources de données extérieures, dont se rapprochent les assureurs. Malakoff Médéric se positionne ainsi pour faire partie des premiers utilisateurs test du Health data hub, qui doit devenir en 2019 le guichet unique pour faciliter l’accès aux données de santé publiques. “Nous sommes convaincus que se rapprocher de ces bases nous permettra d’optimiser les parcours de soins et améliorer nos modèles de prédiction, par exemple en détectant des signaux faibles pour orienter des personnes vers des programmes de prévention ou encore pour travailler sur l’optimisation de l’articulation entre soins de ville et hôpital”, explique David Giblas. Quelques start-up se positionnent également pour proposer des services d’enrichissement de bases de données aux assureurs santé, même si elles sont encore rares et “plutôt dans le domaine de la gestion de la fraude”, indique Jean-François Poletti de Deloitte Consulting. C’est le cas d’Addon ACS, qui propose d’optimiser les outils de prévention et de lutte contre la fraude ainsi que les réseaux de soins grâce à la data. Sa plateforme collecte en temps réel des données comportementales grâce à un plug-in installé sur les applications mobiles à destination des assurés. Ces données brutes sont interprétées grâce à des algorithmes d’intelligence artificielle, capable de détecter un événement et de déclencher une alerte auprès d’un assureur. “L’idée est de permettre à l’assureur d’être présent sur tout le parcours de soins, pas seulement lorsqu’il faut payer la facture. Cela peut consister par exemple à repérer lorsqu’un assuré prend un rendez-vous chez l’ophtalmologue, et lui pousser en conséquence le service de réseaux de soins”, explique Thibault Allouard, directeur général d’Addon ACS. La société créée en 2016 travaille également sur le rapprochement de ces données avec celles issues d’autres partenaires : “nous discutons avec des fournisseurs de solutions externes, comme des fabricants d’objets connectés”, indique Thibault Allouard. Elle a également noué un partenariat avec IBM pour chercher des informations exploitables sur les réseaux sociaux et réfléchit à proposer des outils facilitant le parcours des patients, permettant de récolter des données, comme des bornes physiques dans les pharmacies. Addon ACS démarrera deux premiers POC, avec une filiale de mutuelle et un courtier, autour du parcours optique pour l’un et du parcours maternité pour l’autre. Développer des services complémentaires L’enjeu est ensuite de se doter d’outils pour tirer de ces données des informations exploitables, dans la lutte contre la fraude, le ciblage marketing, l’évaluation des risques ou l’élaboration de nouveaux services. Selon Jean-François Poletti, les assureurs consacrent depuis deux à trois ans des budgets significatifs dans la digitalisation et l’utilisation de la donnée. “Ils disposent de beaucoup de données mais tout l’enjeu est de la transformer, en mettant en place des entrepôts de données afin de créer l’accès à de nouvelles informations. Les investissements s’élèvent à plusieurs dizaines, voire centaines, de millions d’euros sur plusieurs années”, affirme-t-il. Selon lui, tous les assureurs ne sont pas au même niveau d’avancement sur ces sujets mais tous l’étudient. Selon Thibault Allouard, les assureurs qu’il rencontre “cherchent avant tout à développer des services complémentaires pour faire la différence auprès de leurs assurés et à mieux les cibler”. A l’exemple du groupe Vyv, qui a participé via la MGEN à l’expérimentation “Mes données, ma santé”. Ce programme a permis de travailler avec trente individus pour faire émerger des idées de services à partir de la restititution de leurs données. C’est également le cas de Malakoff Médéric, qui aimerait perfectionner une partie de ses services, comme les ceux proposés avant et après l’hospitalisation, indique David Giblas, qui a mis en place il y a un an et demi un datalake, qui a permis de livrer six cas d’usage depuis sa création (lire encadré). Le CDO se se méfie toutefois de la trop grande personnalisation : “Nous ne voulons pas faire de push personnalisés, nous restons dans des actions à destination des entreprises en général, et non des employés”, explique-t-il. C’est un des paradoxes : “Le métier d’assureur en tant que payeur repose sur des principes de mutualisation totale, tandis que le service médical demande une très grande segmentation et une offre ultra-personnalisée pour être bien adressée, à laquelle doit répondre la data”, analyse Jean-François Poletti. Selon lui, la clé réside dans les partenariats avec des acteurs légitimes pour pousser des services santé lors de moments de vie précis, notamment dans le corps médico-social. Des premiers résultats pour le datalake de Malakoff Médéric Malakoff Médéric a mis en place il y a un an et demi un data lake, piloté par une direction data composée d’une vingtaine de personnes, afin de regrouper ces données et en tirer des cas d’usage. Quatre domaines de cas d’usage ont été identifiés : le marketing et le commercial, afin de prévenir les résiliations de contrat, mieux cibler les prospects et gérer le multi-équipements ; la personnalisation des approches aux entreprises pour mieux prendre en compte leurs spécificités, grâce à des scoring d’appétence en fonction des services disponibles ; la lutte contre la fraude ; enfin les activités de provision, afin de se servir de de la “data science” pour mieux projeter les futurs coûts liés aux risques. Six cas d’usages ont été livrés, en deux vagues de trois cas, réalisés en six à huit mois. Deux concernaient la fraude et ont permis de doubler le taux de détection . Un concernait des algorithmes de génération de prospects. “Selon les segments de clients, le taux de conversion a été multiplié par 1,8 à 2,4 pour les contrats collectifs”, affirme David Giblas. Malakoff Médéric se fixe désormais pour objectif de multiplier les cas d’usage en production et de réduire par deux leur temps de développement. Assurancebase de donnéesDonnées de santéMutuelleStratégie Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind