Accueil > Industrie > Human Organ Atlas : améliorer l’imagerie grâce aux données synchrotron Human Organ Atlas : améliorer l’imagerie grâce aux données synchrotron En 2020 débute le projet Human Organ Atlas, porté par un consortium international, notamment constitué de l’University College London et du Synchrotron européen (ESRF). Son objectif ? Réaliser, grâce à une nouvelle technique d’imagerie, des scans en 3D d’organes humains, en très haute résolution. Les applications en pathologie et en anatomie sont nombreuses et les scientifiques visent également à améliorer les données de l’imagerie médicale traditionnelle. Par Coralie Baumard. Publié le 25 février 2025 à 23h30 - Mis à jour le 26 février 2025 à 14h47 Ressources Obtenir une vue 3D complète d’un organe à la résolution du micron, soit cinquante fois plus petit qu’un cheveu humain, c’est la promesse réalisée par le projet Human Organ Atlas. Débuté en 2020, il vise à créer une base de données d’images scientifiques de tous les organes (Human Organ Atlas Hub) accessibles à des équipes internationales de chercheurs. Le projet voit le jour grâce à Maximilian Ackermann et Danny Jonigk, deux médecins anatomopathologistes allemands, qui s’interrogent sur les lésions pulmonaires liées au Covid-19. “Pour comprendre ces lésions, leur idée était de comparer ce qu’ils observaient au microscope électronique à balayage et sur les scanners médicaux de personnes atteintes du Covid. Faire le lien entre les échelles est impossible car si le scanner médical permet d’obtenir une image en 3D, sa résolution est équivalente à un demi-millimètre, tandis que le microscope est beaucoup plus précis mais ne permet pas d’obtenir une image en 3D”, explique Paul Tafforeau, paléontologue de formation, responsable de la ligne de lumière BM18 (un des laboratoires spécialisés, ndlr) à l’Installation Européenne de Rayonnement Synchrotron (ESRF) de Grenoble et coproposeur du projet Human Organ Atlas. Afin de permettre l’imagerie à haute résolution de ces poumons, les deux médecins contactent Peter Lee et Claire Walsh de l’University College London. L’ESRF ainsi que le Laboratoire d’Anatomie des Alpes Françaises (LADAF) de l’Université Grenoble Alpes complètent, notamment, ce consortium international. Le LADAF, habilité à recevoir des dons de corps pour la science, fournit les organes contrôles ou pathologiques nécessaires au projet. ESRF : les possibilités d’un synchrotron de quatrième génération L’European Synchrotron Radiation Facility (ESRF) ou Installation Européenne de Rayonnement Synchrotron est un accélérateur circulaire de particules basé à Grenoble. Les synchrotrons sont des infrastructures qui permettent l’utilisation d’électrons ou de positrons afin de générer un rayonnement synchrotron. Pour produire des rayons X extrêmement puissants, des électrons sont accélérés dans l’anneau de stockage de l’ESRF, un tunnel circulaire de 844 mètres de circonférence. Lorsqu’ils atteignent une vitesse proche de celle de la lumière, soit près de 300 000 kilomètres par seconde, les électrons émettent un rayonnement électromagnétique : le rayonnement synchrotron. Ce dernier est ensuite redirigé vers les lignes de lumière, des laboratoires d’analyse disposés en périphérie de l’anneau de stockage et dotés d’appareils permettant de l’exploiter. Ce rayonnement est utilisé pour étudier la matière à des échelles inédites. Les domaines d’application sont nombreux comme la chimie, la physique des matériaux, l’archéologie ou encore les nanotechnologies. Créé en 1988, l’ESRF a été construit grâce à la collaboration de onze pays européens. Mis en fonctionnement en 1994, il est désormais doté de 44 lignes de lumière et compte 650 salariés. En 2020, vingt-deux pays partenaires ont investi 150 M€ afin de concrétiser le projet ESRF – EBS (Source de lumière Extrêmement Brillante). La construction de ce nouvel anneau de stockage a permis à l’ESRF de devenir le premier synchrotron de quatrième génération au monde. Grâce à la construction de ce nouvel anneau de stockage, les performances sont multipliées par 100 en termes de brillance et de cohérence du faisceau de rayons X. Une vue 3D complète d’un organe à l’échelle du micron Grâce à une nouvelle technique d’imagerie à rayons X synchrotron, également appelée tomographie à contraste de phase hiérarchique (HiP-CT) et développée initialement à l’ESRF par Paul Tafforeau pour la paléontologie, les scientifiques ont réussi à scanner des organes humains entiers avec un nouveau niveau de détail. L’utilisation de cette technique a été facilitée par le développement de la source extrêmement brillante en 2020 à l’ESRF (EBS), un nouveau type d’accélérateur circulaire de particules, dont les rayons X sont 100 milliards de fois plus brillants que ceux utilisés à l’hôpital. “La précision obtenue atteint celle d’un microscope, mais avec une structure 3D. Grâce à cette technique, nous scannons un organe complet et nous zoomons au fur et à mesure. Nous avons débuté à 30 microns (soit environ vingt fois la résolution d’un scanner CT clinique, ndlr) et nous avons réussi à monter jusqu’à 0,7 micron sur certains organes. Dans le cervelet, nous commençons à voir la microvascularisation et même certaines cellules”, souligne Paul Tafforeau. Scans de poumon réalisé dans le cadre du projet Human Organ Atlas avec l’HiP-CT. Crédits : Human Organ Atlas Hub/ESRF/UCL. Ce haut niveau de résolution a permis aux médecins d’identifier les causes de la détérioration rapide de l’état des patients atteints de Covid-19. “Grâce à l’imagerie à rayons X synchrotron, nous avons démontré qu’au-delà des atteintes pulmonaires, le Covid provoquait des atteintes vasculaires. Nous avons mis en évidence une dilatation des vaisseaux autour des bronches, ainsi qu’une apparition anarchique de vaisseaux thrombosés, expliquant en partie cette dégradation”, a indiqué, lors d’une visite de presse en novembre dernier, Alexandre Bellier, médecin et enseignant chercheur en anatomie à l’Université Grenoble Alpes. Un scan de corps complet prévu en 2027 Le succès de ce premier cas d’usage a amené le consortium à travailler sur d’autres organes comme le cerveau, les reins ou le cœur. Dix-sept organes sont désormais téléchargeables sur le Human Organ Atlas Hub, mais il faut compter entre 5 et 6 téraoctets de données pour un seul organe. “Les applications sont nombreuses pour la pathologie, l’anatomie, l’apprentissage des futurs professionnels de santé. Sur le volet anatomique, nous nous intéressons, notamment, à l’orientation des fibres du myocarde dont la connaissance est utile pour implanter au mieux les simulateurs cardiaques et guider la main du chirurgien. Nous modélisons également le réseau artériel de l’hippocampe”, détaille Alexandre Bellier. Paul Tafforeau, responsable de la ligne de lumière BM18 et du projet Human Organ Atlas à l’ESRF. Crédits : ESRF/Stef Candé. L’ESRF est désormais équipé depuis novembre dernier d’un tomographe permettant de scanner un corps humain complet. “Le premier scan de corps humain complet est prévu en 2027 après l’installation du nouveau laboratoire. Cela nous permettra de scanner un corps à une résolution de 25 microns contre 350 microns pour un scanner médical actuel. Ces scans de corps humain complets participent également à notre objectif d’améliorer les données d’imagerie médicale conventionnelle grâce aux données synchrotron, pour cela nous avons besoin d’avoir un corps avec les os et les muscles, des organes isolés ne sont pas suffisants”, souligne le chercheur. Améliorer l’imagerie médicale traditionnelle Le projet Human Organ Atlas pourrait également permettre d’améliorer l’imagerie médicale traditionnelle. “À mesure que nous avons réussi à avoir des données de meilleure qualité et à réaliser des scans de plusieurs organes, nous avons commencé à les comparer avec des scanners médicaux et des IRM. En superposant les données, notamment celles d’un des premiers cerveaux que nous avons imagés, nous nous sommes rendu compte que nous arrivions à obtenir des contrastes très proches du mode T2 de l’IRM (mode dans lequel l’eau apparaît hyperintense et la graisse plus sombre, ndrl). L’idée est donc d’entraîner des algorithmes de super résolution par deep learning afin d’améliorer les données des machines traditionnelles. Pour cela, nous avons besoin d’énormément de données, nous allons donc faire du scan systématique d’organes via scanner médical, IRM et synchrotron”, explique à mind Health Paul Tafforeau. L’objectif est de créer, pour une pièce anatomique donnée, quatre jeux de données. Les deux premiers jeux sont récupérés après son passage au scanner médical et à l’IRM. Un autre jeu correspond au scan par HiP-CT de l’échantillon préparé dans du formol pour un contraste équivalent au scanner. Le dernier jeu est le scan par HiP-CT de l’échantillon dans du formol, équivalent au mode T2 de l’IRM. “Avec les quatre jeux de ces pièces réalignées précisément, nous pouvons espérer améliorer à la fois le scanner médical et l’IRM. Pour l’instant, nous en sommes encore à la preuve de concept. Il nous faut un grand nombre de données pour réaliser cette approche statistique, mais nous avons fait de grands progrès en termes de réduction de temps de scan. Auparavant, il nous fallait 24h pour scanner un cerveau, aujourd’hui nous y arrivons en près d’une heure et demie avec une meilleure qualité. Nous pouvons donc envisager de faire des approches avec de grands nombres d’organes. Nous avons commencé sur le rein et avons scanné en une journée une quinzaine de reins. Cette approche va encore prendre quelques années à se mettre en place”, précise Paul Tafforeau. Au préalable, le but premier des chercheurs est d’améliorer la qualité des données synchrotron grâce au développement d’algorithmes de débruitage dédiés. “Quand nous faisons de l’imagerie par HiP-CT, nous utilisons des doses de rayons X extrêmement élevées. Nous sommes souvent à la limite de la résistance des organes. De plus, nous travaillons dans un milieu liquide, nous avons une sorte de seuil de dose à ne pas dépasser, sinon des bulles apparaissent durant le scan et les données sont perdues. Si nous arrivons à augmenter la qualité de la reconstruction tomographique elle-même, via ces algorithmes, nous pouvons diminuer la dose, faire des hautes résolutions sur des champs de plus en plus grands ou gagner encore en résolution”, détaille le responsable de la ligne de lumière BM18. La production des données d’entraînement dépend également de la stabilisation du système. “Pour l’instant, nous sommes sur une courbe très élevée d’amélioration, nous atteindrons l’année prochaine une sorte de plateau en imagerie d’organes complet, nous pourrons alors débuter les scans systématiques. D’ici un à deux ans, nous mènerons les premiers essais sur l’entraînement des algorithmes. Cela pourrait arriver sur de l’IRM expérimentale dans les deux à quatre ans, mais du point de vue de l’implémentation réelle cela pourrait être beaucoup plus long en raison des contraintes industrielles, éthiques, etc.”, estime Paul Tafforeau. L’ESRF a déjà entamé une collaboration scientifique avec Siemens Healthineers pour travailler sur cette question. Un projet soutenu par la Chan Zuckerberg Initiative Si chaque membre du consortium a investi pour développer le Hub, le projet a également été soutenu par la Chan Zuckerberg Initiative (CZI), l’entreprise philanthropique créée par Mark Zuckerberg, le fondateur et PDG de Meta, et son épouse Priscilla Chan. “Nous avons reçu à la mi-2020 un premier financement de 1 M$, un deuxième de 1,75 M$ à la mi-2021 puis un troisième de 5 M$ à la mi-2022. Nous espérons recevoir un renouvellement de financement de 5 M$ en milieu d’année. Ces financements sont dédiés au développement de l’imagerie synchrotron et du Hub. Un tiers est consacré au financement de matériel, comme le nouveau laboratoire de préparation des organes dont nous allons disposer, les deux tiers restants sont réservés au financement du personnel”, indique Paul Tafforeau. Coralie Baumard AlgorithmesCOVID-19Imagerie médicaleIntelligence Artificielle Besoin d’informations complémentaires ? 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