Accueil > Industrie > Nicolas Eiferman (InterSystems) : “C’est sur l’adoption des solutions que tout se joue” Nicolas Eiferman (InterSystems) : “C’est sur l’adoption des solutions que tout se joue” Fin 2022, Nicolas Eiferman a pris le poste de directeur général France et Belgique d’InterSystems, un des principaux acteurs mondiaux des dossiers patients informatisés (DPI) et des systèmes de gestion, d’interopérabilité et d’analyse des bases de données de santé. Avant de partir à Chicago pour le congrès de la Healthcare Information and Management Systems Society (HIMSS, auquel mind Health participe), il est revenu sur les tendances, nouveautés et spécificités des marchés français et américains en matière de systèmes d’information. Par Romain Bonfillon. Publié le 18 avril 2023 à 22h40 - Mis à jour le 19 avril 2023 à 10h19 Ressources Vous représentez cette semaine InterSystems France et Belgique au congrès HIMSS…En quoi le marché américain des DPI diffère-t-il des marchés européens ? Les hôpitaux français consacrent entre 1,5% et 2% de leur chiffre d’affaires à leur budget informatique, cette proportion est bien en dessous des 4 à 5% que l’on retrouve chez certains pays en Europe ou aux Etats-Unis. Aujourd’hui, les gros projets en Europe pèsent plus de 100 M€. En Belgique il m’arrive de voir des budgets 4 à 5 fois plus importants qu’en France, pour un même nombre de lits. Mais c’est aussi parce que la solution que l’on va proposer là-bas inclut toutes les spécialités (labo, pharmacie, urgences, etc.) avec un véritable accompagnement dans la durée. Pourquoi les sommes investies en France sont-elles plus faibles ? Ce sont de plus petits marchés, car les périmètres sont plus morcelés. Les hôpitaux fonctionnent souvent en silo. Certains secteurs tels que la pharmacie, le laboratoire, la maternité, les urgences, la réanimation et l’anesthésie utilisent des logiciels métiers. Cela se justifie par leur spécialisation mais entraîne de nombreuses difficultés d’interopérabilité pour les faire communiquer entre elles. La philosophie de notre DPI unifié TrakCare est de soutenir nativement tous les workflows pour garantir la continuité des données, de A à Z au sein de l’hôpital, tout en permettant l’intégration de logiciels pour les besoins de niche. Cette organisation n’est pas toujours en adéquation avec la demande du marché français aujourd’hui, mais nous parions sur cette tendance. Certaines structures en France, comme l’Hôpital Américain de Paris, nous font confiance pour matérialiser cette vision. Quelles sont vos solutions fortement présentes sur le marché français ? Il faut distinguer notre plateforme de gestion de données InterSystems IRIS pour le développement d’applications et nos solutions métiers telles que le dossier patient unifié TrakCare pour la gestion clinique et administrative du patient à l’hôpital ou la plateforme de coordination de soins territoriale HealthShare. Cette dernière est une solution collaborative qui connaît un fort potentiel de développement. Auriez-vous un exemple d’application de cette solution ? Nous venons de signer un GHT, qui comprend 7 hôpitaux. Ce GHT voulait ouvrir un canal avec la médecine de ville. HealthShare sera déployé pour agréger les données et les harmoniser indépendamment de leurs sources. L’objectif est de créer un dossier médical unifié permettant l’usage de logiciels tiers, notamment la prise de rendez-vous et la téléexpertise, pour collaborer avec la médecine de ville. Êtes-vous présent sur le marché des entrepôts de données de santé (EDS) ? Notre technologie InterSystems IRIS permet de le faire et nous avons plusieurs projets en cours. Notre proposition de valeur se fait ici sur le stockage, l’interopérabilité et les fonctionnalités comme le FHIR, le NLP et le Machine Learning. Les premiers lauréats de l’appel à projet sur les EDS hospitaliers ont été dévoilés le 3 avril dernier. Cette initiative étatique est-elle à même de vous ouvrir de nouveaux marchés ? Ce dispositif est doté de 50 M€ sur 3 ans (+25 M€ récemment annoncé), ce ne sont pas des budgets considérables, mais cela fait avancer les choses dans le bon sens. Il est dommage par contre que l’État n’ait pas profité de cette opportunité pour définir des critères structurants, comme des modèles de données, des formats d’interopérabilité. Même si cela permet de faire émerger des pistes de travail, c’est encore un peu la jungle… À quoi ressemble cette jungle ? Le paysage des EDS est constitué de solutions développées par des start-up et de plus gros projets dont certains portés par des CHU. La question posée est aujourd’hui celle de l’agnosticisme et de la reproductibilité de ces différentes initiatives. Ceci posera problème quand il s’agira de consolider ces données. Qui sont vos clients en France, en dehors des hôpitaux ? Nos solutions sont aussi présentes chez les industriels qui fournissent ces hôpitaux. Guerbet, par exemple, un des leaders des produits de contraste en imagerie lourde, a fait le choix du socle IRIS Data Platform pour sa solution de gestion des injections de produits de contraste. Que ce soit avec les acteurs de la pharma, les medtech, les biotech, les assurances, les enjeux de gestion de base de données, d’interopérabilité et d’analyse sont les mêmes. Nous entendons beaucoup dire “nous sommes assis sur un tas d’or, mais nous ne savons pas comment l’exploiter”. Hors santé, différentes entreprises privées ou publiques sont utilisatrices de nos technologies ; c’est le cas par exemple de Mondial Tissus, Les Voies Navigables de France, CFAO,… Quelle part représente la santé dans votre chiffre d’affaires ? En France, cela représente environ 80% de notre chiffre d’affaires. Sur les deux pays que je gère, la France et la Belgique, cette part est située entre 60 et 70%. Quelle analyse faites-vous du marché actuel des SIH ? Grâce au programme HOP’EN, le marché a été assez actif ces dernières années, des éditeurs ont gagné de gros marchés, mais nous sommes plutôt sur la fin d’une vague. Il reste cependant beaucoup de GHT qui n’ont pas encore modernisé leur DPI et qui fonctionnent avec des solutions anciennes et/ou faites maison. Des programmes de financement vont arriver qui vont, je crois, redynamiser tout cela. Quelle va être, face à ce marché, la stratégie d’InterSystems ? Pour les solutions métiers, nous allons surtout chercher à nous positionner auprès d’établissements qui ont la volonté d’utiliser les outils numériques comme véritables leviers de transformation à l’hôpital, au-delà des critères annoncés par la HAS. Concernant les plateformes de collaboration, les trois principaux sujets sont les EDS, le lien ville-hôpital et l’analyse populationnelle. Il existe sur ces trois sujets des opportunités, mais encore beaucoup de questions concernant le financement. Et croyez-vous en la possibilité d’une approche populationnelle en France ? C’est un sujet sur lequel la FHF investit beaucoup. Je pense qu’on va pouvoir voir une transition des PoC (preuves de concept, ndlr) vers des projets plus gros, plus régionaux. Nous suivons tout cela de très près. À travers le monde, HealthShare connecte plus de 200 millions de dossiers médicaux. Le fait d’avoir vu tout cela en production chez Northwell, dans le cadre de la délégation française lors du dernier voyage HIMSS, prouve que c’est possible. HIMSS 2022 : les tendances et les innovations à retenir À moindre échelle, comment penser aujourd’hui un hôpital piloté par la donnée ? Une des réponses à cela est le DPI unifié – qui couvre tous les services – à l’intérieur duquel il y a des outils de pilotage, d’algorithmie, de recommandation. L’autre approche est d’unifier les données du SIH via un EDS. L’EDS est agnostique des usages : il permet de faire de la recherche, du pilotage, de l’aide à la décision, etc. Piloter l’hôpital par la donnée Quels arguments faites-vous valoir par rapport à vos principaux concurrents ? La proposition de valeur d’IRIS, en tant que socle technologique, est la productivité au sens large. Soit la productivité technique (scalabilité, besoin de moins d’infrastructures), soit la productivité de développement, car c’est un socle technologique qui répond à la fois aux enjeux d’interopérabilité, de stockage, de machine learning, de NLP,… Nous nous démarquons de l’open source ou des technologies génériques par notre performance et notre spécialisation – par exemple le serveur FHIR et les services de transformation de IRIS for Health. Quel calendrier pour le déploiement des API de Mon espace santé ? Quel regard portez-vous sur le développement rapide de Docaposte, qui a récemment racheté Maincare ? Sur ce marché des DPI et des plateformes, il y a des vagues. Certains éditeurs à un moment font plus surface que d’autres et puis cela change… Maincare a un gros parc installé et Docaposte bénéficie d’atouts sur le côté souverain, tiers de confiance, qui est un vrai sujet en France. Compte tenu de notre positionnement, nous avons des opportunités de complémentarité avec ces acteurs. Tous ont besoin d’interopérabilité, de stockage, de gestion de données – ces mêmes technologies sur lesquelles nous avons prouvé notre valeur (InterSystems n’est pas hébergeur de données de santé, contrairement à Docaposte, ndlr). Quelle stratégie derrière le futur rachat de Maincare par Docaposte ? Qu’est-ce qui permet aujourd’hui à un DPI de gagner un marché hospitalier ? On ne parle pas assez de l’adoption des solutions alors que sans elle il n’y a pas de création de valeur. Je pense que nous avons tous des progrès à faire sur ce plan. Sur nos installations TrakCare, nous allons par exemple analyser les usages un an après l’installation. Le premier constat n’est généralement pas optimal et ce n’est pas anormal : rentrer des données structurées dans un formulaire prend un temps que les professionnels de santé pourraient consacrer aux patients. Il nous faut donc proposer de la conduite du changement et souvent optimiser l’UX (pour User Experience, ndlr) pour adapter la solution et valoriser les bénéfices d’usage auprès des utilisateurs. Car c’est sur l’adoption des solutions que tout se joue. Nicolas Eiferman Depuis décembre 2022 : Directeur Général France & Belgique InterSystems Depuis mars 2022 : Directeur Général France InterSystems 2021 – 2022 : EMEA General Manager for Clinical Information System chez GE Healthcare 2018- 2021 : Europe Leader for Clinical Information Systems chez GE Healthcare 2005 – 2009 : Bachelor of Commerce – BCom, Finance and Mathematics – in McGill University InterSystems, une exception américaine Née en 1978 et basée à Boston, la société InterSystems dispose de 35 bureaux dans le monde et ses solutions sont utilisées dans plus de 80 pays. Plus d’un milliard de dossiers médicaux dans le monde sont gérés grâce à sa technologie (IRIS Data Platform). InterSystems fonctionne pourtant toujours, selon les confidences de l’un de ses anciens salariés, comme une “start–up de 40 ans”. Son fondateur, Terry Ragon, détient en effet 100% du capital de l’entreprise, et n’a jamais jugé utile d’ouvrir le capital de sa société à des investisseurs extérieurs. À ce jour, l’entreprise dont le chiffre d’affaires frôle le milliard de dollars, n’a donc réalisé aucune levée de fonds, n’est pas cotée en bourse…et n’envisage pas de changer de modèle. (Source : InterSystems) Romain Bonfillon base de donnéesDonnées de santédossier patient informatiséEntrepôt de données de santéGHTHôpitalInteropérabilitéLogicielPlateformesStratégieSystème d'information Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind