Thomas Le Ludec (CHU de Montpellier) : “L’interopérabilité, un enjeu pour le déploiement de la santé numérique entre la ville et l’hôpital”

Pourquoi un établissement comme le CHU de Montpellier porte-t-il une politique spécifique en e-santé ?

Les potentialités qu’offre la transition numérique de l’hôpital et plus largement du monde de la santé sont importantes. L’hôpital ne peut pas ne pas se saisir de cette opportunité. Nous avons choisi comme axe de travail de favoriser le lien ville-hôpital afin d’améliorer la prise en charge du patient. C’est un projet ambitieux qui nécessite que l’ensemble des acteurs se mobilisent pour résoudre les nouveaux problèmes posés, par exemple la question de l’interopérabilité.

Comment appréhendez-vous la transition numérique du secteur de la santé ?

Nous essayons de mettre en oeuvre une politique pragmatique et qualitative centrée sur l’usage et l’écoute des besoins. L’outil numérique ne sera efficace que si usagers et personnels adhérent à l’idée et l’utilisent. Pour cela, nous mettons en place des formations destinées aux personnels tant soignants qu’administratifs. Nous devons devenir un hôpital apprenant. Cette exigence se retrouve aussi dans la conception des outils. Ils doivent être “user friendly”.

Notre pragmatisme se traduit aussi dans le calendrier de déploiement. Nous travaillons par paliers lors de phases de tests en condition réelle, pendant lesquelles nous mesurons l’usage, listons les pistes d’améliorations… Nous nous assurons ainsi de la fiabilité technique et du service rendu par le nouvel outil.

Cette dynamique a été suivie par exemple pour l’installation de bornes d’accueil et d’admission. Le but était de faciliter les démarches des usagers et favoriser le recouvrement des créances. Après une phase de concertation avec le personnel d’accueil et gestionnaire des bureaux des entrées et la commission des usagers, le cahier des charges a été rédigé en 2016. En avril 2018, les premières bornes ont été installées, elles permettent la gestion des flux et sont couplées à des bornes intelligentes qui communiquent entre elles. En juin 2018, nous mesurerons l’usage et les impacts tant positifs que négatifs pour apprécier l’opportunité de sa généralisation.

Quel budget consacre l’établissement à cette activité ?

En 2017, les recettes du CHU s’élèvent à environ 908 millions d’euros. Nous mobilisons chaque année quasiment 1,5 % du budget d’investissement de l’établissement. En 2016 (dernier chiffre publié, ndlr), ce budget s’élevait à 32,9 millions d’euros. Ce taux d’investissement se situe dans la moyenne des établissements de santé.

Quels sont les objectifs à court terme des projets portés par la CHU de Montpellier ?

La stratégie numérique de l’établissement poursuit trois objectifs. Favoriser le partage des données entre professionnels de santé pour améliorer la prise en charge du patient, en documentant ses passages tant dans des établissements de soins publics qu’auprès des professionnels de santé de ville. En pratique, il s’agit d’un véritable défi nécessitant une mobilisation des compétences, des envies et des technologies. Plus nous disposerons de données connectées entre elles, quel que soit le prestataire de soins, plus nous pourrons mettre en place une data analyse pour remonter des indicateurs de qualité. Cette action permettra de réaliser le deuxième objectif que nous nous sommes fixé : améliorer la relation de confiance entre la ville et l’hôpital. La messagerie de santé sécurisée peut concourir à cela. Enfin, nous souhaitons sortir du tout papier en mettant en place l’accès numérique au CHU. Il permettra aux équipes et aux patients d’accéder aux outils nécessaires en ligne.

La prise de RDV en ligne est-elle un outil pour favoriser l’accès au soin ?

Depuis peu, nous avons décidé de tester deux solutions de plateforme pour la prise de rendez-vous auprès des spécialités volontaires, entre autres, l’urologie, la gynécologie et l’orthopédie. Bien que l’hôpital n’ait pas vocation à rechercher une patientèle, cet outil est intéressant pour optimiser notre gestion interne et améliorer la relation avec les patients. À la fin de l’année 2018, nous évaluerons l’appropriation des deux outils et la pertinence de la solution technique.

Le CHU de Montpellier est l’établissement support du GHT de l’est Hérault et du sud Aveyron. Quels sont les projets prioritaires pour vous ?

Fin 2017, le GHT de l’est Hérault et du sud Aveyron a adopté son schéma directeur. Le projet que nous portons en tant qu’établissement support est de permettre un partage de l’information entre tous les établissements autour de cinq axes : l’information, la formation, l’attractivité médicale, la recherche médicale et paramédicale, ainsi que la coordination des plans de formation continue et le développement professionnel continu (DPC) des personnels.

Un partage opérationnel de l’information au sein du territoire va garantir au patient un même accès aux soins. Dans un monde où le diagnostic repose, entre autres, sur des analyses biologiques et des examens d’imageries, le choix d’un système d’information doit être fait avec soins, pour éviter une perte de chance pour le patient. L’un des défis va être de concrétiser le projet d’identifiant unique pour le patient. Cette brique est essentielle pour avancer vers un partage des informations entre la ville et l’hôpital. Le projet a obtenu un financement de l’ARS.

La formation est également un axe prioritaire pour notre GHT. Nous avons pour projet de modéliser un logiciel d’e-learning adaptable aux divers profils de l’hôpital. L’outil pourra ainsi s’adapter aux besoins des apprenants pour l’usage des différents logiciels d’appui au soin.

Enfin, au sein du GHT, nous réfléchissons à une nouvelle idée de prise en charge des patients chroniques en territorialisant les soins.

Le CHU a créé un fonds de mécénat, pourquoi cette démarche ?

Le fonds Guilhem est un fonds de dotation régi par la loi de modernisation de l’économie. Il a été créé en 2017 pour contribuer aux actions du CHU de Montpellier en matière d’innovation et de santé publique. Le mécénat prend deux formes : la constitution d’un réseau d’ambassadeurs et la collecte de fonds autour de projets innovants, technologiques ou non. Les ambassadeurs sont des acteurs de la vie économique et sociale du secteur de Montpellier. Régulièrement, nous organisons des petits-déjeuners débat dans les services avec les leaders d’opinion, des soirées de gala. Le fonds a permis de doter les enfants hospitalisés d’un cartable numérique. Ainsi, ils peuvent être connectés à leur établissement scolaire via l’espace numérique mis en place par l’académie.