Accueil > Parcours de soins > Alexandre Malouvier (ICON plc) : “Nous pouvons désormais parler de chercheur augmenté” Alexandre Malouvier (ICON plc) : “Nous pouvons désormais parler de chercheur augmenté” L’utilisation massive des données - au travers notamment des bras synthétiques, des endpoints digitaux et des eCOA - transforme peu à peu le visage de la recherche clinique. Alexandre Malouvier, directeur scientifique, de l’innovation digitale et du développement de l’e-clinique chez ICON, l’une des principales CRO mondiales, revient pour mind Health sur ces métamorphoses, capables de réduire le temps et le coût des essais. Par Romain Bonfillon. Publié le 05 mars 2024 à 14h37 - Mis à jour le 04 juin 2024 à 14h31 Ressources L’un des principaux freins actuels à la recherche clinique concerne le recrutement des patients. Le manque de données patients est-il le principal problème ? Pour accélérer la recherche, trouver des patients via les données secondaires ne suffit pas. Il faut également être très innovant pour arriver à identifier les bons patients et faire en sorte qu’ils acceptent de signer un consentement pour entrer dans une étude. J’ai travaillé aux Etats-Unis avec de gigantesques réseaux de pharmacie, comme Walgreens et CVS, qui détiennent les données de centaines de millions de patients. Sur une maladie comme la MASH (ou cirrhose non alcoolique, ndlr) ils sont capables de trouver des dizaines de millions de patients et aucun d’entre eux n’aura signé un consentement éclairé. Comment imaginez-vous le futur de la recherche clinique ? L’avenir de la recherche clinique repose en particulier sur les endpoints digitaux (les paramètres recueillis au travers des objets connectés, ndlr) et les eCOA (en anglais “Clinical Outcome Assessement” souvent traduit en français par “questionnaire patient”, ndlr). Ces outils vont être transposés dans la vie réelle de chacun d’entre nous. Je pense qu’en France, c’est Mon Espace Santé qui servira de solution de portabilité des données. L’une des clefs de réussite est la standardisation des formats dans les dossiers électroniques patients. C’est ce que disent l’HIPAA aux Etats-Unis, le RGPD et le projet xShare en Europe. Les autorités réglementaires acceptent-elles désormais les essais menés avec des données de vie réelle ? Tout comme la FDA, l’Agence européenne du médicament (EMA), qui accorde les autorisations de mise sur le marché, accepte des données de vie réelle, au travers par exemple des bras témoins synthétiques. Dans ces essais, nous avons un seul bras de traitement que nous comparons avec des cohortes existantes. Contrairement à ce que le terme de synthétique pourrait laisser penser, ces bras contrôles sont constitués de vrais patients qui existent. Nous avons déjà fait ce genre d’étude dans le cancer tête et cou. La technologie était tellement fabuleuse (celle de la biotech française Nanobiotix, qui développe des nanoparticules rendant la radiothérapie plus efficace, ndlr) qu’il n’était pas très éthique d’avoir un bras témoin constitué de patients vivants. Nous avons donc construit ce bras contrôle avec des méthodes statistiques et des patients décédés, comme cela se fait en oncologie. C’est maintenant accepté par les autorités européennes et même la France, ce qui n’était pas le cas avant. Le gold standard reste encore l’essai randomisé en double aveugle contre placebo, mais il permet de prouver l’efficacité d’un traitement dans des conditions extrêmement bordées et coordonnées. Quelles sont les limites de cet actuel standard méthodologique ? La question à se poser est en fait celle-ci : est-ce que dans la vie réelle le médicament fonctionne ou pas ? Cette preuve on ne peut l’avoir qu’avec du big data, sur des profils de patients différents et c’est ce que demandent aujourd’hui les autorités. Vous avez par exemple aux Etats-Unis des approbations de thérapies géniques qui sont approuvées après une seule étude de phase I / II (l’évaluation préliminaire de l’efficacité à une dose sélectionnée, ndlr) sur 50 patients. Une grande étude en vie réelle devient ensuite une phase IV, durant laquelle on va collecter pendant 15 ans les données de tous les patients traités. La FDA semble ouverte à ce type d’essais, mais qu’en est-il de la France ? Nous avons toujours un temps de retard, par rapport à la FDA qui a une vision motrice. Lorsqu’on regarde les guidance for industry écrites par la FDA, c’est lumineux, intelligent et l’avenir de la recherche clinique est clairement là…La FDA a vraiment été pionnière en 2016 avec le 21st Century Cure Act, qui affirme que l’on ne peut pas continuer avec notre modèle actuel, qui coûte trop cher. En France, plusieurs sociétés essayent de mener ce nouveau type d’essais cliniques, mais cela pose deux problèmes : avoir les données et avoir les méthodes statistiques pour faire l’appariement, c’est-à-dire avoir une cohorte témoin qui soit statistiquement comparable à celle que l’on va traiter. Il existe des méthodologies statistiques pour créer ces cohortes afin qu’elles soient scientifiquement valables. Comment ICON plc procède aujourd’hui pour mener ces essais cliniques de nouvelle génération ? Nous avons aux Etats-Unis les données de 230 millions d’Américains. Nous achetons des données de santé partout, auprès d’assurances, de pharmacies, d’hôpitaux. À partir des données identifiantes des patients (nom, prénom, date de naissance, code postal), nous allons générer un token (jeton) crypté qui est unique et qui ne permet pas de retourner au patient. Nous réunissons alors ces données de différentes sources dans le même endroit. Un peu comme le fait le SNDS, sauf qu’eux utilisent le RNIPP. Ces tokens vont nous servir à recréer des profils de patients, sur lesquels nous pouvons alors faire des analyses statistiques. Les études dites d’histoire naturelle sont aujourd’hui en vogue. À quelles fins sont-elles utilisées ? Ce sont des études passionnantes scientifiquement ! Elles sont généralement utilisées dans le cadre de maladies rares, pour lesquelles il n’existe pas encore de traitement. Nous allons alors chercher à savoir quels sont les endpoints en prenant une population atteinte pour construire un registre et en regardant quelle est l’histoire naturelle de la maladie. Comment évolue-t-elle ? Comment les patients sont traités ? À partir de ces éléments, nous allons pouvoir identifier les bons paramètres qui pourront être utilisés ensuite en recherche clinique. Ces études nous permettent aussi de répertorier des patients atteints de maladie rare pour leur proposer un essai clinique. Il faudrait faire la même chose avec les endpoints digitaux c’est-à-dire utiliser ces mesures sur des millions de personnes à travers le monde pour construire une base de référence et voir à partir d’elle comment, dans un essai clinique, la population traitée dévie de cette baseline. Les biomarqueurs digitaux, comme ceux embarqués dans les smartphones, vous semblent-ils désormais pertinents pour être utilisés en recherche clinique ? Les progrès réalisés par ces technologies sont impressionnants. Les services de renseignements américains ont créé des systèmes capables de vous identifier de manière individuelle à partir de la façon dont vous tapez sur un clavier, quel qu’il soit. Ces biomarqueurs peuvent aussi permettre d’évaluer l’état de santé de quelqu’un avec l’enregistrement de quelques minutes de saisie quotidienne sur un smartphone. C’est ce sur quoi travaille notamment l’équipe du Dr Guy Fagherazzi (Luxembourg Institute of Health – LIH). Il reste aujourd’hui à apporter un haut niveau de preuve. Les autorités réglementaires peuvent tout accepter à condition que vous ayez suffisamment de données pour prouver que ce que vous mesurez a une valeur scientifique. Le problème est que cela prend beaucoup de temps. Les questionnaires patients ont mis 40 ans à être acceptés et utilisés comme endpoints finaux sur certaines études. Les endpoints digitaux sont nouveaux, beaucoup plus complexes car ils impliquent toute une chaîne qui va du capteur au dispositif médical puis au traitement et à la transmission des données. Ce sont tous ces paramètres qu’il faut pouvoir valider. Autre facteur important de réussite : l’harmonisation des mesures. Nous avons réussi à le faire avec les glucomètres, qui, à travers le monde, utilisent tous le même langage. C’est vraiment vers là que nous devons aller. Cela va être très long mais il ne fait aucun doute que c’est l’avenir de la recherche clinique. Des essais cliniques obtiennent aujourd’hui une validation avec des populations très restreintes. Qui définit que l’on a besoin que de 15 patients, et pas 150, pour apporter la preuve ? La réponse est donnée par les statistiques. Chaque essai clinique implique un calcul de taille d’échantillon de la population. Pour cela, il faut savoir ce que l’on va mesurer, vous faites alors le delta de ce que vous allez mesurer. Plus le delta est faible, plus la population doit être grande. On peut ainsi remplacer 2000 patients sur lesquels on fait des mesures réelles mensuelles par 500 patients sur lesquels on fait des mesures continues. C’est la densité de données collectées qui va nous permettre de changer d’ordre et de restreindre la population des patients, mais la puissance statistique est la même et c’est toujours un statisticien quoi qu’il arrive qui vous dira quelle doit être la taille de la population. Des freins semblent cependant perdurer, comme pour l’adoption des essais décentralisés… Je pense que nous allons mettre encore trois ans avant d’adopter massivement les études décentralisées. Le facteur réglementaire est ce qui ralentit de manière artificielle cette progression, mais ce n’est pas la faute des autorités. C’est à nous, acteurs de la recherche, de générer de la data avant, pour démontrer avec une grosse étude clinique la valeur scientifique d’une collecte de données. Un changement d’état d’esprit est en train de se faire. En tant que CRO, nous allons investir pour faire des études observationnelles par nous-mêmes, pour valider de nouveaux endpoints (paramètres cliniques, ndlr) et pouvoir faire des études dessus. Je reste très optimiste, nous vivons une période magique, avec l’IA qui nous offre des perspectives extraordinaires. C’est vraiment le moment de faire de la recherche clinique. Comment garder la même rigueur scientifique avec des essais menés hors centre ? L’objectif de la FDA est de réduire le temps et les coûts entre le moment où une molécule est trouvée, et le moment où elle est prescrite au patient, si possible avec une meilleure rigueur scientifique et un meilleur niveau de sécurité. Le nombre de données utilisé aujourd’hui est tel que l’on va avoir un niveau de preuve plus élevé. Entre le test de marche de 6 minutes dans un couloir d’hôpital, que l’on fait subir une fois par mois aux patients atteints de myopathies de Duchenne, et des données que l’on peut recueillir de manière permanente, la pertinence est sans commune mesure. Que répondez-vous à ceux qui, dans les métiers de la recherche, craignent de se faire remplacer par l’IA ? Nos métiers ont changé. Les militaires parlent de soldat augmenté, nous pouvons désormais parler de chercheur augmenté.. J’ai par exemple créé une IA qui me remplace sur une tâche particulière et qui est capable, avec une précision de 99%, de prédire la probabilité que les autorités de santé américaines ou européennes imposent des études post marketing pour une molécule en développement. Mon IA fait en définitive en une journée ce qui me prendrait deux ans de travail, 5 jours par semaine, 8 heures par jour…et ce n’est pas le travail le plus intéressant. Elle va me sortir un résultat, que je vais analyser et qui va me permettre de discuter avec le client. C’est en ce sens que je suis augmenté. L’IA fait un travail nécessaire, mais qui n’est pas le plus fondamental. De la même manière, je pense qu’aujourd’hui 100 % des rapports de pharmacovigilance de Sanofi sont faits par de l’IA. Nous sommes de moins en moins nombreux, les jeunes chercheurs arrivant sur le marché du travail ne sont pas en nombre suffisant. L’IA va être indispensable… et de toute façon nous n’avons pas le choix. 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