Accueil > Parcours de soins > Arnaud Vanneste (CHRU Nancy) : “Nous abordons les projets d’IA de manière empirique” Arnaud Vanneste (CHRU Nancy) : “Nous abordons les projets d’IA de manière empirique” Le CHRU Nancy entreprend de structurer sa stratégie sur l’IA et la donnée, qui mobilise tous les services de l’hôpital. Arnaud Vanneste, directeur général du CHRU de Nancy, l’un des centres hospitaliers moteurs du Grand Est, détaille à mind Health les projets de transformation du CHRU, et notamment son prochain command center. Par Clarisse Treilles. Publié le 20 mai 2025 à 22h45 - Mis à jour le 20 mai 2025 à 15h07 Ressources Quelles sont les particularités de votre CHRU ? Je suis directeur général du CHRU de Nancy depuis près de trois ans. Le CHRU de Nancy a une culture d’entreprise très forte, dotée d’une vraie cohésion des équipes. L’établissement a connu une remontée financière impressionnante, marquée par une centaine de réorganisations en interne, dont la suppression de centaines de postes et la fermeture de centaines de lits. Le CHRU de Nancy est caractérisé par un esprit d’ouverture et de résilience. Nous regardons avec curiosité ce qui se fait ailleurs, pour adapter les projets à notre organisation et nos ressources. En termes d’innovations managériales, par exemple, nous pouvons citer le modèle du CHU de Chambéry, très avancé en la matière. Nous percevons les risques comme des opportunités avant tout, et non comme des menaces. En matière d’innovation, comment s’illustre cette capacité de résilience dont vous parlez ? Avant d’opérer des réorganisations en interne, le CHRU de Nancy était dans la queue du peloton en matière de PDMS (système de gestion des données des patients, ndlr). Désormais, nous nous plaçons dans le top trois aux côtés des CHU de Toulouse et de Montpellier. Mon prédécesseur a mis en place un outil très efficace de gestion de parcours patient. Cela ne consiste pas seulement à installer un logiciel qui centralise les données sur les lits occupés, mais à gérer aussi toute l’organisation des parcours programmés ainsi que le placement des patients. Cela nous a permis de considérablement améliorer l’efficacité des parcours. Cet enjeu est d’autant plus important que nous sommes parmi les seules urgences du centre Meurthe et Moselle depuis la fermeture du service d’urgence de l’Hôpital Privé Nancy Lorraine (groupe Elsan) en 2023. Nous parvenons à faire face à chaque situation sur le placement des lits et sur l’anticipation des flux, même en cas de forts pics d’activité. Nous adaptons l’organisation et renforçons les équipes en fonction des besoins sans être forcés de déprogrammer des soins. Plus précisément, à ce sujet, nous travaillons avec le logiciel WebPCP, un outil de pilotage pour la gestion de lits développé par Dedalus. Le logiciel s’intègre dans une organisation elle-même innovante, car la fréquentation des urgences ne doit pas être le seul problème des urgentistes mais celui de tout l’hôpital. Quels sont les grands projets de transformation du CHRU qui figurent dans votre feuille de route des prochains mois ? Notre priorité, en termes de feuille de route, est de préparer le terrain au nouveau CHU qui sera livré à compter de 2031 (pour le premier de trois nouveaux hôpitaux) et de 2032 (pour les deux autres), parmi les cinq hôpitaux qui composeront le futur CHU. La nouvelle organisation se prépare dès aujourd’hui. Jusqu’en 2028, nous allons œuvrer à la convergence des organisations, en testant différents modèles. Le CHU de Nantes a figuré parmi les sources d’inspiration sur le volet organisationnel (leur programme Convergence a été lancé en 2022, ndlr). Nous souhaitons profiter de leur courbe d’apprentissage en adoptant ce qu’ils ont déjà mis en place au sein de notre centre. Nous allons signer un partenariat avec Dedalus pour créer un command center autour de plusieurs process. Nous souhaitons répliquer l’organisation qui est déjà faite au niveau de la gestion des lits, pour l’optimisation du parcours patients et la gestion des urgences. À travers cette évolution, l’objectif est également d’assurer un meilleur pilotage des blocs opératoires. Avec ce projet, vous deviendrez précurseur des command centers en France. À quoi va vous servir ce command center ? En effet, nous allons figurer parmi l’un des premiers CHU en France à disposer d’un command center unifié sur le volet des blocs opératoires, des urgences et de la gestion des lits. L’objectif avec ce projet, financé sur nos propres fonds, est de faire une sorte de “prototype vitrine” aux côtés de Dedalus, qui possède déjà un command center à l’hôpital Gregorio Marañón de Madrid, et de participer à la courbe d’apprentissage du secteur. Il ne faut pas tant regarder un command center comme une “tour de contrôle” composée d’écrans et d’ordinateurs. Ce qui est important est la capacité à partager des informations entre les services. Il faut voir le command center comme une manière de centraliser de l’information. Les acteurs doivent disposer des données dont ils ont besoin pour une gestion performante. Avez-vous dressé une feuille de route sur l’IA ? Quels sont les usages prioritaires selon vous ? Nous y allons de manière empirique, en testant toujours la technologie avant de l’implémenter. Nous avons développé plusieurs cas d’usage sur l’IA à date, à commencer par l’imagerie. Si nous achetons beaucoup de solutions sur étagère, nous souhaitons aussi adopter une posture de “maker” à terme. Il y a quelques endroits dans le CHU où nous sommes parties prenantes pour “fabriquer” nos propres solutions d’IA, en cardiologie notamment. Au sein du CHRU de Nancy, nous avons installé un IHU sur les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (IHU Infiny, ndlr). L’un des travaux de cet IHU consiste à développer le pan d’imagerie pour les MICI. L’une de nos équipes développe un algorithme de mapping en direct de l’IRM. Nous avons également testé différents algorithmes d’IA pour gérer les flux aux urgences et prévoir la veille pour le lendemain, en fonction de divers paramètres (événements régionaux, météo, etc.), les passages aux urgences, la part des personnes âgées ou encore le nombre de lits nécessaires. Nous avons également implémenté de l’IA sur certaines tâches administratives (traitement des mails, applicatifs bureautiques, etc.), notamment avec la solution Dragon Copilot de Microsoft, sur laquelle nous avons réalisé un premier PoC de 50 licences. Je peux également citer l’automatisation robotisée des processus (RPA, robot processing automation, visant à utiliser des technologies d’automatisation pour effectuer les tâches de bureau répétitives, ndlr). Cela nous permet notamment de gagner du temps agent et de l’efficacité. Nous avons amélioré l’efficacité de ce RPA en ajoutant une couche d’IA générative lorsqu’un processus administratif est un peu trop compliqué pour être expliqué simplement avec de la connaissance humaine empirique. L’IA générative permet d’aller plus loin dans la hiérarchisation des process. À partir de ces différents exemples, nous avons commencé à élaborer notre courbe d’apprentissage. En même temps, cela nous amène à prendre conscience des différents enjeux, notamment la structuration de notre propre écosystème institutionnel et la manière de faire coexister ces différents cas d’usage. Nous en sommes actuellement à la phase où nous rassemblons toutes les briques pour construire une stratégie avec l’objectif d’avoir un cadre institutionnel structuré pour déployer tous les outils d’IA dans différentes applications, afin que nous puissions devenir acheteur sur certaines solutions qui existent sur le marché ou développeur sur des applications médicales pour lesquelles il existe très peu d’offres, concernant notamment l’aide au diagnostic. La dernière étape de notre stratégie, à l’horizon 5 à 10 ans, sera d’être piloté par la data et l’IA. Quels sont les départements du CHRU qui orchestrent cette stratégie d’IA ? Tout le monde est moteur, car tout le monde est convaincu par les sujets d’IA. La question qui se pose est plutôt : comment garantir un cadre de travail maîtrisé ? Chez nous, ces sujets sont aux mains du département Transformation numérique et ingénierie biomédicale, qui produit énormément de données. Nous disposons de plusieurs PU-PH qui participent directement au copilotage de ces projets d’IA. Notre département Stratégie et innovation tire plutôt les sujets d’IA appliquée aux flux patients et emportent aussi la structuration territoriale. Quel est le budget alloué à l’innovation et à la transformation numérique ? Sur la partie numérique, notre budget se situe entre 5 et 6 millions d’euros par an en investissement CHU. Avec l’apport de financements externes – essentiellement européens – nous arrivons à dégager un budget supplémentaire de l’ordre d’1 million par an. Notre limite n’est pas tant le budget que la capacité à absorber et à porter les projets dans de bonnes conditions. Nous observons que, sur le marché, les capacités de calcul évoluent de manière considérable. La capacité des entreprises à intégrer l’IA dans leur activité principale est nécessairement plus lente, car cela soulève des sujets organisationnels et de constitution de l’offre en termes économiques. Cela prend du temps. Avez-vous mis en place un EDS ? L’EDS est en cours de construction. Comme beaucoup de CHU, nous avions choisi un premier partenaire qui n’a pas réussi à soutenir les carnets de commande, ce qui nous a fait perdre quelques années. Nous sommes donc repartis avec le bon outil. Nous sommes aujourd’hui sur le point de livrer notre EDS. Il devrait être opérationnel d’ici le mois de septembre, et être utilisé à l’échelle du GHT. Quels sont vos premiers projets de recherche ? Nous avons déjà démarré le projet French PArADIsE avec le HDH (cette étude vise à améliorer le diagnostic de patients présentant des difficultés respiratoires aiguës, ndlr). Nous sommes très axés sur le partage de la donnée pour transmettre la connaissance médicale, comme l’illustre l’autre projet sur lequel nous collaborons pour l’heure, EMC2 (dans le cadre de cet entrepôt, des données issues de la base principale du SNDS seront appareillées aux dossiers médicaux fournis par les HCL, le centre Léon Bérard, le CHU de Nancy et la Fondation hôpital Saint-Joseph, ndlr). Nous avons également d’autres projets qui arrivent, notamment en cardiologie, avec l’implication du Pr Nicolas Girerd, cardiologue et chercheur au CHRU de Nancy, qui est par ailleurs lauréat d’un projet avec le HDH, visant à faire du clustering des déterminants (regrouper des ensembles de données, ndlr) entraînant des crises d’insuffisance cardiaque avec de l’IA, afin de pouvoir réaliser de la prévention avec de la prédiction de risques de crises et d’épisodes coronariens aigus. Pensez-vous rééditer une suite au baromètre de maturité de l’IA dans les CHU réalisé en 2019 ? Oui, ce projet va être relancé. C’est un sujet en plein cœur de l’actualité. Au niveau des CHU, nous allons lancer un groupe d’IA. L’objectif est d’aider les CHU à mener cette transformation sur l’IA en partageant l’ensemble des bonnes pratiques. La cartographie constitue le premier outil pour y parvenir. Cette enquête va être relancée dans les mois qui viennent. C’est une initiative de la conférence des DG des CHU, qui m’a chargée de monter ce groupe. L’ensemble des métiers de l’hôpital seront concernés, l’objectif étant de traiter de l’IA dans ses différents pans, à la fois sur la partie médicale (notamment au travers des algorithmes de prédiction et d’aide au diagnostic), au niveau du parcours patients à l’échelle territoriale et sur la partie administrative (aide à la gestion des plannings). L’idée est que l’on puisse avoir, au bénéfice de tous les CHU, un endroit pour partager les bonnes pratiques et évaluer les algorithmes. C’est très important de traiter ces sujets à la fois au niveau opérationnel et stratégique. Sur les données de santé, nous avons un avantage compétitif énorme en France sur lequel il faut pouvoir capitaliser, en travaillant davantage sur les sujets d’interopérabilité et de standardisation de la donnée. Si nous parvenons, en tant que producteurs de données, à travailler sur la qualité de la data, alors le match n’est pas perdu. Toutefois, il faut jouer tous ensemble : c’est la condition sine qua none pour que dans 10 ou 15 ans, la recherche médicale française reste sur la carte. CV Depuis novembre 2022 : directeur général du CHRU de NancyAoût 2020-Novembre 2022 : Conseiller Offre de soins au cabinet d’Olivier VéranMai 2020-Juillet 2020 : Rapporteur du pilier investissement du Ségur de la santé au ministère des solidarités et de la santé Septembre 2015-Juillet 2020 : directeur général adjoint de l’AP-HMJuin 2012-Août 2015 : inspecteur des Affaires sociale de l’IGAS2002-2005 : Diplômé de l’Ecole Polytechnique Clarisse Treilles Données de santéHôpitalIntelligence ArtificielleStratégie Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind