Accueil > Parcours de soins > Dr Jean-Philippe Bertocchio (SKEZI) : “Je crois en une vertu politique de ce que l’on fait en e-santé” Dr Jean-Philippe Bertocchio (SKEZI) : “Je crois en une vertu politique de ce que l’on fait en e-santé” Né en décembre 2020, SKEZI propose une solution sécurisée de recueil de données issues des patients. Son CEO, le Dr Jean-Philippe Bertocchio, revient sur la jeune histoire de ce spin-off de l’AP-HP, qui vient tout juste de signer un partenariat avec Withings. Par Romain Bonfillon. Publié le 01 novembre 2022 à 23h10 - Mis à jour le 01 août 2024 à 16h43 Ressources Comment le néphrologue hospitalier que vous êtes a-t-il été amené à rejoindre une jeune start-up en e-santé ? Je suis, en tant que néphrologue, spécialisé dans les maladies rares. Pour les patients atteints de ces pathologies, nous manquons de données et il est compliqué de créer des cohortes. Il y a deux ans, pendant que j’étais aux Etats-Unis pour faire de la recherche fondamentale sur un cancer rare, mon ami Yann Felez m’a parlé d’un appel d’offres de l’AP-HP et des fondateurs de ComPaRe, les Pr Philippe Ravaud et Dr Viet-Thi Tran. Leur projet consistait à créer une start-up dédiée à la création de cohortes, issue des travaux menés pour la cohorte ComPaRe. Nous avons remporté l’appel d’offres et créé SKEZI. À quels besoins répond votre solution logicielle ? L’idée initiale de SKEZI est de changer le mode de fonctionnement de création de cohortes et de génération de la donnée. Au lieu de passer classiquement par les médecins, nous passons directement par les patients. Pour décrire simplement notre solution nous pourrions dire que nous sommes un peu le Google Forms ou le SurveyMonkey (des outils de sondage en ligne, ndlr) spécialisé en santé. A l’heure actuelle, ces deux solutions sont d’ailleurs utilisées par beaucoup de chercheurs, d’associations de patients, de médecins, d’établissements de santé. Elles permettent, mais en mode “quick and dirty”, d’interroger des patients et de collecter des données en santé. Certes, elles sont simples et gratuites, mais présentent de nombreux risques. Si beaucoup de monde utilise ces solutions, c’est qu’il n’y en a pas d’autres. Notre idée est de combler ce besoin et de proposer une solution sécurisée, qui soit aussi gratuite et facile d’accès. Quels sont les risques d’utiliser des outils comme Google Forms ou SurveyMonkey ? Ces logiciels sont hébergés aux Etats-Unis. Ils hébergent donc des données sensibles de patients français. Il y a une grosse perte d’énergie puisque ces outils ne permettent pas de suivre les gens sur des temps longs : à chaque fois qu’on veut récupérer une nouvelle donnée, il va falloir redemander les informations de base (par exemple, l’âge, le sexe, etc…). Le vol et la fuite de données sont également un risque. Cela n’est pas encore arrivé en France, mais aux Etats-Unis, des hôpitaux avaient décidé de collecter des données auprès des patients, via leur profil Facebook. Il n’a pas fallu attendre un an pour qu’il y ait une fuite de données majeures, des données hospitalières qui sont parties sur Facebook. Quelle est la valeur ajoutée de SKEZI par rapport aux outils grand public ? Notre solution permet de faire un questionnaire, de récolter des données, de s’intéropérer avec des objets connectés, de récolter du consentement, de suivre des patients dans le temps, et de le faire de manière sécurisée. Notre outil permet également de sélectionner une catégorie de patients avec des caractéristiques particulières, afin d’étudier spécifiquement le lien entre telle caractéristique (d’âge, de sexe, d’antécédent médical) et telle pathologie. Notre outil permet en somme de gérer une cohorte de manière souple et sûre. SKEZI a récemment signé deux partenariats importants, l’un avec Mapi Reseach Trust, l’autre avec Withings. En quoi consistent ces partenariats ? L’équipe SKEZI dans ses locaux parisiens, à PariSanté Campus / Photo SKEZI Mapi Research Trust est à l’origine une ONG, maintenant gérée par une organisation de recherche clinique, dont le travail consiste à cartographier tous les questionnaires santé standardisés, validés scientifiquement. Cela lui permet de capter de l’information au travers des interactions entre des chercheurs et des soignants et des chercheurs et des patients. La banque construite par Mapi Research Trust contient plus de 4000 de ces questionnaires, qui sont utilisés soit dans la recherche clinique, soit dans les soins courants. Notre idée, au travers de ce partenariat, est d’aller s’interfacer avec leur banque pour permettre à nos utilisateurs de recourir à ces questionnaires très facilement, par un simple glisser/déposer. Quant à notre partenariat avec Withings, il est extrêmement stratégique puisque nous voulons également collecter de la donnée issue de la vie quotidienne des patients, dans laquelle les objets connectés sont de plus en plus présents. Ces données de vie réelle représentent un enjeu important pour la recherche. Comment voyez-vous l’importance que vont prendre les biomarqueurs digitaux ? Les données de vie réelle sont à la fois un grand avantage et un grand risque. Leur avantage est d’exister partout, pour tout le monde ; le grand risque est qu’elles sont très hétérogènes et leur qualité n’est pas toujours au rendez-vous. De plus, c’est une évidence, mais l’on ne mesure que ce que l’on sait mesurer. Le grand enjeu va donc être de déployer un maximum d’outils pour aller capter le plus d’informations possible et ainsi éviter les angles morts. L’autre risque est de ne pouvoir recueillir des données que chez les patients qui sont les plus connectés. Aussi, avant de généraliser ce type de recherche à toute la population, il faut s’assurer que les outils connectés nécessaires au recueil des biomarqueurs numériques soient présents chez vraiment tout le monde, pas seulement chez les catégories les plus favorisées. En ayant ce type d’outil incorporé dans des smartphones, on limite cette fracture numérique puisqu’une très grande partie de la population, en tout cas en France, en est équipée. Face au risque et au biais de l’illectronisme, peut-on envisager que la recherche publique fournisse à une cohorte de patients des objets connectés, sur un temps donné ? C’est ce que nous faisons actuellement avec Withings au travers des pharmacies d’officine. Withings met à disposition de ces pharmacies un brassard connecté, pour alimenter les données d’une étude. Je crois qu’il faut remettre de l’humain dans la e-santé et aller chercher des zones dans lesquelles la technologie va être au service des relations humaines. Les patients peuvent avoir ces interactions humaines dans les pharmacies d’officine, d’où notre partenariat avec l’USPO, mais aussi pourquoi pas travailler avec le SAMU social, l’Armée du salut, etc. Notre idée est que les outils qui permettent de recueillir ces biomarqueurs digitaux n’isolent pas les patients, mais qu’ils soient l’occasion de relations nouvelles avec les professionnels. Quels sont vos clients actuels ? Nos clients sont des chercheurs publics et académiques, des institutions comme l’AP-HP ou l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, ndlr) pour lequel nous faisons une cohorte qui s’appelle le French Gut. L’idée est d’aller collecter le microbiote intestinal des Français, pour savoir comment il impacte la santé des Français. Nous avons également comme clients des industriels du monde de la pharma et du dispositif médical, qui cherchent à capter de l’information sur le bénéfice perçu des patients, leurs attentes dans les différentes pathologies. Ce sont aussi les établissements de santé qui peuvent vouloir évaluer les soins qu’ils procurent. Quels sont vos futurs axes de développement ? Nous menons un gros travail de R&D pour améliorer l’expérience utilisateur, car le risque est que les patients puissent trouver rébarbatif le fait de répondre à des questionnaires de manière classique. Nous développons donc un outil d’intelligence artificielle qui va nous permettre d’optimiser ces questionnaires. Nous voulons proposer à nos utilisateurs un outil qui permette de les engager dans le temps et de les “garder à bord”, pour éviter ce que l’on appelle le phénomène d’attrition (lorsque les patients abandonnent une évaluation ou une étude en cours, ndlr). Nous travaillons également sur la meilleure sécurité de la donnée et la structuration du consentement. Comment voyez-vous l’évolution de la e-santé pour les années à venir ? Je crois en une vertu politique de ce que l’on fait en e-santé et notamment au côté collaboratif. Je pense qu’il faut que les patients, les soignants et les institutions puissent travailler ensemble. La e-santé peut lever ces barrages-là, c’est ce que font notamment les réseaux sociaux et, même s’il existe des dérives, je trouve que ce mouvement va dans le bon sens. En revanche, la e-santé pour la e-santé n’a à mon sens aucun intérêt. Il nous faut conserver de l’humain, ce qui suppose que la e-santé offre un certain nombre de garanties. Comme celle de proposer des outils de confiance. Lorsque les acteurs de la santé utilisent par simplicité des solutions comme AWS, Google ou Facebook, cela génère un fort risque pour l’entreprise et pour les patients. In fine, le risque est aussi de perdre totalement la confiance de la population. Il faut donc, le plus possible, utiliser des outils souverains et promouvoir une grande transparence. Lorsqu’on développe un outil d’IA, être capable de l’expliquer. Lorsqu’on fait de la collecte des données, dire où vont ces données et ce que l’on va en faire. Beaucoup ne le font pas. À côté des pratiques obscures et risquées en e-santé, il faut être capable de proposer du propre. SKEZI en chiffres Décembre 2020 : date de création14 salariés, répartis entre le siège social à Annecy et le siège parisien hébergé à PariSanté Campus. 259 000 € de chiffres d’affaires en 2021 (Le Dr Bertocchio table sur une croissance à deux chiffres pour le CA 2022)Plus de 20 études publiées grâce aux données recueillies via la solution SKEZIPlus de 200 chercheurs qui ont utilisé le logiciel SKEZIPlus de 70 000 participants questionnés via l’interface Dr Jean-Philippe Bertocchio Depuis octobre 2022 : CEO de SKEZI Mai 2021 – octobre 2022 : Chief Operating Officer de SKEZI Janvier 2021 – octobre 2022 : Chief Medical Officer de SKEZI Depuis janvier 2021 : Néphrologue à la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) Janvier 2019 – décembre 2020 : Chercheur postdoctoral (The University of Texas MD Anderson Cancer Center) Décembre 2020 : Lauréat de l’Académie Nationale de Médecine Romain Bonfillon APHPBiomarqueurs digitauxDonnées de santédonnées de vie réelleEssais cliniquesHôpitalLogicielmédecinOutils numériquesPartenariatPatientRecherchestart-up Besoin d’informations complémentaires ? 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