Kiro fait parler les analyses biologiques grâce à l’IA

Qui ne s’est jamais inquiété en voyant dans son compte rendu certaines valeurs aux noms ésotériques marquées en gras ? Pour l’immense majorité des patients, ces documents restent difficiles à déchiffrer. Aussi, grâce à l’IA, les médecins pourraient trouver dans ces comptes rendus matière à mieux prévenir l’évolution d’une maladie et à améliorer la prise en charge de leurs patients.

La genèse

Avant de créer Kiro, en 2019, Alexandre Guenoun a identifié trois besoins. “Nous sommes dans un monde où la demande de soins augmente beaucoup plus vite que l’offre de soins. C’est un enjeu structurel qui ne peut pas être résolu facilement car il faut plusieurs années pour former un médecin. L’intelligence artificielle peut répondre à cet enjeu et permettre de libérer du temps médical au professionnel de santé”. 

“Aussi, constate-t-il, la santé reste un sujet très orienté vers la maladie, là où les nouvelles technologies permettent d’aller vers une médecine centrée sur les services aux patients. Un patient a besoin de solutions, pas seulement d’un diagnostic. La prise en charge compte pour le patient”, poursuit le président et fondateur de Kiro. 

Enfin, Alexandre Guenoun note que “grâce à l’intelligence artificielle, l’analyse médicale évolue vers une approche probabiliste (bayésienne) qui tient compte de l’histoire du patient, au-delà du diagnostic différentiel (qui consiste pour le médecin à exclure des maladies, en fonction des symptômes, pour confirmer un diagnostic, ndlr). Elle ouvre la voie à une médecine plus personnalisée.”

La vision du médecin, dans le cadre du colloque singulier avec son patient, est complétée par celle de Kiro, qui analyse quotidiennement un grand volume de comptes rendus biologiques, apportant ainsi une perspective populationnelle complémentaire. Ce point de vue macroscopique est permis par la biologie qui, rappelle Alexandre Guenoun, “est l’une des rares spécialités qui offrent une vision transversale de la santé, en accompagnant des patients de tous profils. 70% des décisions médicales qui concernent un diagnostic ou un traitement ont recours à la biologie médicale. Et ce pour une raison très simple : la biologie n’est pas chère, rapide, peu invasive et surtout très standardisée. Le résultat est issu d’un processus maîtrisé et d’une grande qualité, par les normes imposées aux laboratoires. Il permet une information objective et quantifiable, qui complète l’analyse clinique des symptômes, plus subjectifs par nature”.

La technologie

Basée sur l’intelligence artificielle (deep learning et machine learning), la technologie développée par Kiro permet d’adapter l’information contenue dans un compte rendu biologique au patient. 

“Les compte rendus de biologie médicale, tels qu’ils sont encore aujourd’hui envoyés, se résument à une feuille papier ou PDF, qui est similaire pour un patient diabétique, un patient atteint d’un cancer ou une femme enceinte. Le patient va pouvoir y lire des informations souvent peu compréhensibles avec des valeurs de référence non personnalisées et ne prenant pas en compte son histoire médicale. Notre technologie part du principe qu’il faut aller au-delà du résultat, considérant que les valeurs normales et anormales sont aussi bien utiles et pertinentes l’une que l’autre dans l’analyse, de même que les évolutions et l’histoire particulière du patient. Une femme enceinte et un patient diabétique n’ont par exemple pas les mêmes besoins, pas les mêmes enjeux, pas les mêmes profils”, explique Alexandre Guenoun. 

En plus de vouloir rendre l’information plus compréhensible pour le patient, Kiro entend également donner des outils d’aide à la décision aux professionnels de santé. “Pour un patient diabétique, le suivi régulier de l’hémoglobine glyquée (HbA1c), généralement recommandé tous les trois à six mois, est essentiel pour évaluer son état de santé, l’équilibre glycémique et ajuster son traitement. L’un des enjeux majeurs est de pouvoir anticiper si le patient évoluera vers une forme de diabète mal contrôlée, nécessitant une prise en charge plus intensive. Par ailleurs, une part importante des patients diabétiques développera une insuffisance rénale chronique, une maladie qui touche environ 10 % de la population mondiale. Or, la grande majorité des cas ne sont diagnostiqués qu’à un stade avancé, souvent après le stade 3 de la maladie. Lorsque cette maladie atteint le stade terminal (stade 5), une prise en charge par dialyse ou une greffe de rein devient nécessaire. La détection précoce représente donc un enjeu fondamental pour le patient et le système de soins.”

En analysant l’évolution fine des paramètres biologiques et en comparant l’histoire médicale de plusieurs millions de patients (plus de 26 millions, rappelle Bpifrance), le modèle d’IA développé par Kiro permet d’identifier le signal faible d’un patient et d’aider à la détection précoce de certaines maladies. “Aujourd’hui, avec l’IA et notre expertise, nous pouvons aider à mieux anticiper les trajectoires de santé des patients, identifier des signaux fiables et ainsi mieux appréhender leur évolution pour accompagner les professionnels de santé dans leur prise en charge”, résume le fondateur de Kiro.

Le marché 

La solution Kiro est aujourd’hui déployée dans 230 établissements (laboratoires, établissements de santé publics et privés) en France. Elle se présente sous forme de logiciel SaaS, qui est facturé à la licence pour les structures de santé et en accès gratuit pour les patients. Kiro travaille également en partenariat avec les laboratoires de biologie sur la recherche de biomarqueurs permettant de mieux cibler les pathologies.

La healthtech commence sa phase d’internationalisation puisqu’elle vient de signer des contrats en Algérie, au Gabon et en Suisse. “Il est très intéressant pour nous de travailler en Afrique car ces marchés ont accepté de faire un saut technologique. En santé, nous avons d’un côté les technologies et les systèmes utilisés par les établissements qui ont peu évolué depuis les années 2000 et de l’autre côté des médecins qui utilisent tous les jours, en dehors de leur pratique, des outils actuels comme l’IA dans leurs smartphones. Le saut technologique peut sembler abrupt, mais il s’avère souvent plus efficace et moins coûteux, tant en temps qu’en ressources, que l’approche progressive que l’on adopte souvent en France, et qui privilégie des transitions intermédiaires retardant l’adoption des technologies les plus avancées”, analyse Alexandre Guenoun. 

Rappelons que Kiro a été lauréate du programme NETVA (New Technology Venture Accelerator) porté par le Service pour la Science et la Technologie de l’Ambassade de France aux Etats-Unis et dédié aux jeunes start-up innovantes françaises, souhaitant se préparer aux spécificités des marchés nord-américains. L’entreprise n’a pas abandonné ses ambitions américaines. “C’est une question de priorités, explique le CEO de Kiro. La transition opérée en France et en Europe s’accélère, en particulier sur le numérique en santé. Tout le monde ne va pas à la même vitesse, mais il y a beaucoup à faire. Par ailleurs, de plus en plus de nos partenariats intègrent cette dimension internationale, avec de nouveaux pays à adresser. Le marché américain est d’un immense intérêt pour Kiro, mais il est important pour nous de nous préparer en amont et d’y aller au bon moment et avec les bonnes personnes pour nous accompagner.” 

Le financement

Lors de ses deux tours de financement (un seed et une série A), Kiro a pu s’appuyer à la fois sur des business angels et des investisseurs institutionnels : Sofinnova Partners (via le fonds Médecine digitale, Bpifrance (au travers de son fonds Digital Venture), Kurma Partners (via son fonds Kurma Diagnostics 1) et le fonds canadien Propulia Capital.

Le dernier financement de Kiro date de mars 2023. Il a été mené par Sofinnova (rejoint par les investisseurs historiques Bpifrance, Kurma Partners, Propulia Capital et des business angels). Il a permis à Kiro de lever 13,8 M€.

Les partenariats 

Depuis 2021, Unilabs, acteur majeur du diagnostic médical et de la biologie médicale en France, et Kiro travaillent ensemble pour accélérer la transformation digitale des sites du groupe en France et améliorer l’expérience du système d’information en ville pour l’ensemble des laboratoires de biologie auprès des patients et des professionnels de santé.

Le 8 octobre 2024, Kiro a officialisé un accord de partenariat avec le réseau de 17 laboratoires Labio dans les Bouches-du-Rhône, pour rendre la lecture des comptes rendus biologiques plus compréhensible et ainsi faciliter le travail des laboratoires et des médecins.

Très implanté dans la région marseillaise, dont est originaire Alexandre Guenoun, Kiro a également eu “des partenariats très forts avec les hôpitaux, notamment l’AP-HM. Nous avons travaillé avec eux sur le Covid-19 pour savoir si un patient qui arrive à l’hôpital avec un Covid allait développer une forme grave. Nous avons réussi, aux côtés des équipes de l’AP-HM menées par le Pr Bruno Lacarelle, à réaliser des travaux de recherche ambitieux qui ont abouti à des algorithmes offrant une approche inédite à l’échelle internationale, y compris en intégrant l’arrivée des variants du virus. Les résultats ont été très prometteurs et ont mis en avant pour un hôpital de premier plan comme pour Kiro, qu’il était possible de travailler ensemble sur des sujets aussi novateurs”, explique le CEO de Kiro.

En mars 2024, l’Hôpital Américain de Paris et Kiro ont annoncé un partenariat pour améliorer les examens du Check-up Center de l’hôpital. “Plus récemment, complète Alexandre Guenoun, nous avons signé un autre partenariat avec Synlab Provence”. Toujours dans la perspective de faire progresser la détection précoce des maladies et l’identification de nouveaux biomarqueurs.

Prix / Récompenses

Kiro a été lauréate du concours d’innovation i-Lab en 2019 et la start-up a également reçu le prix des Talents de la e-santé en 2021, dans la catégorie IA en santé. Dernièrement, Kiro a été lauréate de la première édition du programme French Tech 2030, qui a choisi 25 start-up à impact dans le domaine de la santé pour leur capacité à répondre aux enjeux de souveraineté industrielle et technologique.

Les prochaines étapes

Kiro entend poursuivre son expansion en France. “Le marché commence à devenir mature sur les aspects qui nous intéressent. Les changements structurels du marché de la biologie médicale offrent aux laboratoires la possibilité de développer de nouveaux services pour mieux accompagner les patients”, analyse Alexandre Guenoun, signalant la nécessité de “repenser la biologie médicale et notamment l’expérience du parcours de soins”. De manière connexe, Kiro “est en réflexion avancée” pour étendre sa solution à l’anatomopathologie, une continuité logique à ses activités en biologie médicale.