Accueil > Parcours de soins > Numérisation du service d’anatomopathologie : comment l’hôpital Bicêtre a réussi sa transition pour travailler en full digital Numérisation du service d’anatomopathologie : comment l’hôpital Bicêtre a réussi sa transition pour travailler en full digital L’hôpital Bicêtre a été le pionnier en France de la numérisation de son service d'anatomopathologie. Il travaille aujourd’hui en full digital et utilise les outils d’aide au diagnostic à base d'intelligence artificielle de la start-up Primaa. mind Health revient sur cette transformation. Par Carole Ivaldi. Publié le 13 juillet 2021 à 11h27 - Mis à jour le 13 juillet 2021 à 17h41 Ressources L’anatomopathologie est l’étude des anomalies des tissus biologiques et des cellules grâce à des prélèvements et des analyses de lames. Auparavant pratiquée sur des lames de verre ensuite étudiées au microscope, cette discipline est en cours de numérisation. Celle-ci permet un gain de temps, de précision, d’amélioration du diagnostic du cancer, donc une meilleure qualité de vie et davantage de chances de guérison pour les patients. Avec seulement deux services d’anatomopathologie totalement numérisés (l’hôpital du Kremlin Bicêtre et le CHU de Rennes), la France accuse un réel retard en Europe. Un parcours en plusieurs étapes Le groupement hospitalier (GH) Paris Saclay est le pionnier en France de la numérisation de son service d’anatomopathologie. Dès 2007, la numérisation des lames a été utilisée pour l’enseignement. Visualiser des lames sur écran d’ordinateur est apparu plus pédagogique que sur microscope. “Parallèlement, nous avons utilisé la numérisation des lames pour notre travail scientifique”, explique Sophie Prévot, PUPH dans le service d’anatomopathologie de l’hôpital Bicêtre. “Cela nous a permis de faire du travail d’annotations, de mesure et de comptage des cellules, ce qui a grandement facilité notre travail scientifique.” Dans le cadre de la restructuration du GH Paris Saclay, en 2013, un seul plateau technique a été conservé sur les trois hôpitaux (Hôpital Bicêtre, Paul-Brousse et Antoine-Béclère). Un nouveau fonctionnement utilisant la télépathologie extemporanée a donc été mis en place : un technicien de l’hôpital Paul Brousse est par exemple en lien avec un pathologiste de l’hôpital Bicêtre qui fait la lecture de la lame à distance. “Cela a bien fonctionné”, poursuit le Pr. Sophie Prévot. “Les chirurgiens étaient extrêmement inquiets, mais des études ont montré que cela ne modifiait pas la qualité du diagnostic”. En 2018, devant les progrès technologiques et la réussite de cette nouvelle organisation, le chef de service d’anatomopathologie de l’hôpital Bicêtre décide de numériser la totalité de l’activité du service. Le Dr. Marie Sockeel, médecin en anatomopathologie pendant dix ans à l’AP-HP, et co-fondatrice de Primaa en 2017, start-up développant des solutions d’intelligence artificielle (IA) d’aide au diagnostic pour les médecins d’anatomopathologie afin qu’ils puissent travailler dans de meilleures conditions, témoigne : “Dans notre secteur, la transition n’a pas été aussi facile qu’en radiologie, car celle-ci est dotée d’un équipement numérique d’office. En anatomopathologie, pour travailler sur les lames, il a d’abord fallu les numériser. Il fallait que les scanners de lames existent, or ce sont des technologies relativement récentes. Les laboratoires d’anatomopathologie équipés et qui travaillent en full digital, comme l’hôpital Bicêtre, sont encore très rares en France. Nous sommes aujourd’hui au moment du basculement progressif du secteur d’anatomopathologie vers le numérique.” Raison pour laquelle Primaa s’est rapprochée de l’hôpital Bicêtre pour travailler main dans la main sur des outils à base d’IA. Formation et nouvelle organisation de l’équipe La mise en place de la pathologie digitale a nécessité la remise à plat de l’organisation du service et la formation de l’ensemble du personnel à ces nouvelles technologies. “Tout cela s’est fait sur la base du volontariat médical. Quand un médecin passe de la pathologie au microscope à la pathologie numérique, il doit tout réapprendre de sa façon de travailler. On y passe plus de temps : c’est la période d’apprentissage. Au début, on ne sait pas lire : une image sur écran et une image au microscope n’ont rien à voir. Après trois ans, la totalité de l’équipe médicale est convaincue. Il faut également que la totalité de l’équipe technique (agents et secrétaires) soit partante et acceptent de remettre en question la façon avec laquelle ils travaillaient avant. C’est un bouleversement dans un service ! ” insiste le Pr. Sophie Prévot. La paillasse de numérisation et le poste de travail de numérisation ont été ajoutés dans le processus de traitement des lames. Pour l’instant, la mise en place de la pathologie digitale n’a pas permis de faire de gains, de retour sur investissement, ou de diminuer le personnel technique. Au contraire, cela a demandé un poste d’ingénieur supplémentaire, en cas de problème avec le scanner, la numérisation, ou avec le logiciel. Apports de la numérisation du service et de l’utilisation d’outils basés sur l’IA Depuis, 100% des lames sont numérisées, ce qui représente plus de 1 000 lames par jour. La quantité de lames produites dans le service n’a pas changé car le fait de passer à la pathologie digitale ne supprime pas l’étape de la lame de verre. Une étape a été ajoutée : celle de la numérisation. En revanche, le Pr. Prévot est convaincue que la numérisation de la pathologie est le passage obligé pour pouvoir ensuite se servir de nouveaux outils qui vont l’aider et rendre service au patient. “À l’avenir, la numérisation va diminuer le temps passé sur les lésions “peu difficiles”, ce qui permettra de consacrer plus de temps sur celles qui demandent un investissement intellectuel et un raisonnement plus important.” Certains outils de mesure existent déjà, ils rendent le travail moins fastidieux. Les outils d’intelligence artificielle vont aider à affiner les diagnostics, et plus encore pour les cas difficiles. “Ces outils sont encore relativement peu nombreux car nous sommes encore à l’étape de construction de ces outils. Même si nous avons conscience que cela va prendre encore un peu de temps, nous travaillons pour que la révolution ait lieu très prochainement “, analyse le Pr. Prévot. “Le nerf de la guerre va être de développer des solutions d’IA car une grosse partie de l’innovation dans le secteur de l’anatomopathologie est basée sur l’IA.”, insiste le Dr. Sockeel. Or pour développer des solutions d’IA, il faut des bases de données numérisées, ce qui suppose en amont que les laboratoires d’anatomopathologie aient investi et se soient équipés… Freins Aujourd’hui, les capacités des serveurs de stockage de l’ensemble des lames numérisées sont nettement insuffisantes. C’est un véritable frein. Le volume de stockage de l’hôpital Bicêtre est limité à 110 téraoctets. Cela ne permet de garder les lames numérisées que pendant trois semaines. “Pour le moment, dans la limite du stockage que nous avons, nous pouvons “tagger” des lames qui nous intéressent pour le suivi de certains patients, ” déplore le Pr. Prévot. “Il faut mettre en place de façon raisonnée un stockage adapté et une purge moins violente que celle à laquelle nous sommes obligés de nous livrer actuellement.” Et le Dr Sockeel d’ajouter : “C’est regrettable de voir le temps qu’on met à équiper les services d’anatomopathologie quand on voit l’importance que représente la constitution de ces bases de données, et de constater qu’aujourd’hui, nous sommes obligés de les jeter à la poubelle chaque année, faute d’espace de stockage.” Développer le stockage de données et des outils d’IA Néanmoins, “il serait probablement déraisonnable de faire un stockage de la totalité du matériel numérisé pour le diagnostic”, ajoute le Pr. Prévot. “Nous menons actuellement une réflexion sur la mise en place d’un outil numérique pour l’ensemble des services d’anatomopathologie de l’AP-HP, avec un serveur central et une technique de stockage à plusieurs niveaux. Nous avons évalué ce que représentait la mise de fonds indispensable pour la digitalisation de la pathologie sur les cinq ans à venir : 25 millions d’euros. C’est une mise de fonds importante mais c’est maintenant qu’il faut faire ce virage. Il faut se lancer si nous ne voulons pas prendre de retard.” La pathologie numérique est en place dans d’autres pays comme les Pays-Bas, la Suède, l’Espagne, l’Angleterre, la Suisse, et les Etats-Unis. L’outil d’aide au diagnostic à base d’IA développé par Primaa, Cléo,est dédié au cancer du sein. Il permet de détecter les calcifications, les emboles, les métastases ganglionnaires, les mitoses etc. “C’est une course contre le temps d’avoir des diagnostics plus rapides. D’après les tests faits avec notre logiciel, les médecins anatomopathologistes arrivent à être deux fois plus rapides dans leur diagnostic grâce à notre IA”, ajoute le Dr. Sockeel. Et ce n’est qu’un début, car la start-up compte mettre son IA au service des cancers digestifs, de la peau, et urologiques. La digitalisation va permettre d’augmenter la qualité de la médecine de précision et de mettre en évidence de nouveaux marqueurs, de nouveaux éléments qui participeront à la prise en charge et au suivi du patient. La digitalisation de la pathologie est donc l’un des facteurs qui permettra une prise en charge plus adaptée et efficiente. “Tous les efforts et bouleversements liés à la numérisation ont été absolument nécessaires. Nous ne sommes pas encore parvenus au terme du bouleversement, nous sommes en pleine révolution”, conclut le Pr. Prévot. Numérisation du service: les moyens engagés à l’hôpital du Kremlin Bicêtre Nouveau bâtiment pour l’anatomopathologie, construit du fait de la restructuration du GH. Achat de 3 scanners (dont l’un à haut débit de 1000 lames/jours). Équipement de tous les PC de cartes graphiques adéquates. Formation du personnel à la numérisation. Dates et moyens engagés pour Primaa Création de la start-up Primaa en septembre 2018 par Fanny Sockeel, Stéphane Sockeel et Marie Sockeel Première levée de fonds 2M€ en octobre 2019 Juillet 2021, Cléo, l’outil d’IA d’aide au diagnostic utilisant de l’IA, devrait recevoir le marquage CE Levée de fonds de série A de 5 M€ prévue pour septembre 2021 15 personnes travaillent dans cette start-up (1 sur les aspects réglementaire, 3 sur l’accompagnement des hôpitaux et des tests produits et 11 sur le développement de l’IA) Carole Ivaldi cancerDiagnosticImagerie médicaleInnovationIntelligence ArtificielleParcours de soinsstart-upStratégie Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind