Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur la fréquentation des sites professionnels spécialisés dans la santé en 2020 ?

Alors que les premiers signalements de la maladie à coronavirus COVID-19 sont apparus en Chine fin 2019, en France le besoin d’informations sur le sujet a concernés les professionnels de santé et le grand public dès le début de l’année 2020. Dans l’Hexagone, plusieurs éditeurs d’information spécialisés se disputent l’attention des professionnels. Une partie de leur modèle économique repose sur la publicité en ligne, ce qui les conduit, pour rassurer les annonceurs, à faire certifier leurs chiffres de fréquentation par l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM, ex-OJD), notre partenaire. Pour la troisième fois, mind Health s’est penchée sur ces chiffres pour mieux comprendre où les professionnels de santé s’informent et l’impact de la crise sanitaire sur leur consommation d’informations.

Les cinq éditeurs concernés sont Group Vidal (qui appartient à M3), le Groupe Profession Santé (qui appartient depuis 2016 à nehs, la mutuelle nationale des hospitaliers et des professionnels de santé et du social), Global Media Santé (détenu par le groupe SFP Expansion depuis fin 2020), JIM SA (fondé en 1979 par le docteur Gilles Haroche, qui le dirige toujours) et le groupe L.E.N Médical | Axis Santé (créé en 1985) (voir tableau).

Vidal.fr est resté le site professionnel en santé le plus fréquenté en 2020

Les chiffres qu’ils font auditer par l’ACPM ont connu une légère hausse de fréquentation en 2020, avec 11 millions de visites cumulées en moyenne entre janvier et décembre, contre 10,5 millions en 2019 (+5 %). C’est en particulier la première vague de l’épidémie de la COVID-19 qui leur a apporté un surcroît de visites, avec par exemple un pic à près de 15 millions en mars, soit 3,2 millions de plus qu’un an auparavant. Jean-Pierre Guerreiro, directeur général adjoint en charge de la stratégie digitale du groupe Profession Santé, rappelle la mise en place mi-mars 2020 d’un site www.covid-pressepro.fr qui “permettait de référencer tous les articles sur la COVID-19 des titres du groupe Profession Santé, du groupe Hospimedia et d’autres titres qui se sont associés à nous”. Le site regroupait les titres et extraits des articles avant de renvoyer vers le site d’origine où l’article était accessible gratuitement jusqu’à fin mai, détaille-t-il. Le dirigeant signale également un pic de trafic durant cette période qui a par ailleurs contraint le groupe à “ajouter des serveurs chez Amazon, ce qui a impliqué des charges supplémentaires alors que tous les annonceurs avaient coupé la publicité”. Chez Vidal, Thomas Van Gorkum, directeur développement digital, constate à partir de février-mars “une baisse au niveau de l’usage, c’est-à-dire le nombre de visites, de l’ordre de 30 à 40 % en volume de monographies, mais une augmentation de l’audience, c’est-à-dire du nombre d’individus. Plus de gens sont venus chercher de l’information”. Le groupe a également adapté ses contenus. “Les professionnels cherchaient de l’information par rapport à la crise en cours. Nous avons mis en place un fil d’actualités en passant sur une quotidienne qui traitait des points relatifs à la COVID-19. Par exemple : diabète et COVID-19, prise en charge de l’hypertension artérielle et COVID-19, les avancées sur le virus… Et nous avons décliné en vidéo : Vidal Live, avec des experts qui venaient s’exprimer”, détaille le directeur développement digital.

Mais, comme nous le constations déjà en 2019, il existe de grandes disparités entre chaque site puisque le plus visité, Vidal.fr (Vidal Group) en a reçu, à lui seul, 6,3 millions en moyenne par mois l’an dernier (contre 6,7 millions en 2019) soit 56 % du total.

Selon SimilarWeb, les moteurs de recherche restent la première source de trafic de Vidal.fr (80,27 %), par exemple lorsque les internautes recherchent des informations sur des médicaments ou des traitements (Ivermectine, Colchicine, Tramadol, ou encore “Vaccin Moderna” en mars 2021). 16,97 % de ses visiteurs se connectent directement au site. Les réseaux sociaux ne contribuent que pour 0,91 % à l’ensemble de ses visites. Pour l’acquisition de nouveaux utilisateurs, Thomas Van Gorkum souligne : “pour les professionnels, en général, l’acquisition via Google concerne 10 à 15 % du trafic et c’est vraiment le mail qui génère le trafic en France. Sur la partie acquisition grand public, c’est l’inverse. Nous jouons sur le profils des visiteurs pour pousser la bonne information au bon moment”. 

Vidal.fr est toujours suivi par deux sites du Groupe Profession Santé : Lequotidiendumedecin.fr (1,4 millions de visites par mois en moyenne, soit 78 % de hausse par rapport à 2019) et Infirmiers.com (1,23 millions, soit 28 % de baisse). Selon SimilarWeb, 58,4 % des visites sur le premier se font après une recherche sur un moteur (par exemple via les termes “keldoc vaccination”, “didier raoult”, “raoult”, eric caumes” ou encore hydroxychloroquine en mars 2021), 26,36 % via une connexion directe, 6,58 % depuis les réseaux sociaux (pour moitié Facebook) et 5,21 % depuis les e-mails. “Nous avons trois titres sur abonnement qui sont quotidiens avec un support papier, hebdomadaire ou bihebdomadaire. Nous avions déjà des newsletters quotidiennes. Nous travaillons nos fichiers de diffusion. Nous avons modernisé Le Quotidien du médecin fin 2019 et les deux autres au 1er semestre 2020. Nous avons créé une plateforme de presse”, indique Jean-Pierre Guerreiro, qui annonce aussi la mise en place d’une application mobile pour Le Quotidien du pharmacien. Infirmiers.com dépend davantage des moteurs de recherche, puisqu’ils contribuent à 85,9 % à ses visites, devant les connexions directes (12,56 %) et les réseaux sociaux (0,74 %). 

Egora.fr (735 000 visites, +87 %), sur la quatrième marche, appartient au groupe Global Media Santé. Ses visites proviennent à 30,4 % de connexions directes, à 44,76 % des moteurs de recherche (avec notamment des termes comme “e-santé”, “partiels médecine”, “paris campus santé”…), et à 20,3 % des e-mails. Egora.fr propose en effet une dizaine de newsletters : À la Une, En bref, Best of, Gestion du cabinet…  Global Media Santé est l’héritière de la branche santé du groupe Les Echos, construit par acquisitions successives à partir des années 1980, revendue à un groupe britannique, racheté par LBO en 2008 par le docteur Alain Trébucq et passé fin 2020 dans le giron de SFP Expansion, un groupe spécialisé dans la formation en santé et en prévention des risques. Il réunit plusieurs marques historiques du secteur : Le Concours Médical, né en 1879, La Revue du Praticien, créé en 1951, Le Panorama du Médecin, fondé en 1975, et Egora, créé par France Télécom en 1999. 

Cinq sites du groupe L.E.N Médical | Axis Santé, plus spécialisés, ferment toujours la marche : Cardiologie-pratique.com (83 000 visites en moyenne, +72 % par rapport à 2019), Pediatrie-pratique.com (31 000 visites, +89 %), Gynecologie-pratique.com (25 400 visites, +50 %), Diabetologie-pratique.com (14 500 visites, +53 %) et Sagefemme-pratique.com (9 350 visites, +24 %).

Le site d’offres d’emploi Emploisoignant.com a les visiteurs les plus actifs

La hausse globale du nombre de visites ne s’est pas traduite par une hausse équivalente du nombre de pages vues, ce qui a conduit à une baisse du nombre de pages vues par visites, un indicateur clé de l’engagement des lecteurs, pour la quasi-totalité des sites. Seul Jim.fr a progressé, de 3,1 pages vues par visite en 2019 à 3,3 en 2020. Le classement est dominé par le site d’offres d’emploi Emploisoignant.com (Groupe Profession Santé), avec 4 pages vues par visite en moyenne l’an dernier, et pour lequel nous n’avons pas de données pour 2019. “Le site existait déjà et nous l’avons relancé en 2020 en apportant de nouvelles fonctionnalités. Plusieurs opérations ont été menées pour faciliter le recueil de CV pour aider les hôpitaux à un moment où nous voyions que la situation le nécessitait”, cite Jean-Pierre Guerreiro.

Les baisses les plus significatives ont été enregistrées par Larevuedupraticien.fr (Global Media Santé, de 3,7 à 1,6 pages vues par visite) et Diabetologie-pratique.com (Le groupe L.E.N | AXIS Santé, de 3,7 à 1,9). Alors qu’il était en tête de ce classement en 2019, Egora.fr (Global Média Santé) arrive quatrième en 2020, avec 2,9 pages vues en moyenne par mois contre 3,6 en 2019. Ce site généraliste de la santé s’adresse aussi bien aux médecins qu’aux étudiants des facultés de médecine et professionnels de santé (infirmiers, kiné, dentistes…).

Quelle monétisation ?

Sur la monétisation, Vidal.fr fait figure d’exception : “malgré son audience importante, ce portail n’est pas pour nous un centre de profit mais une démonstration de notre savoir et de la qualité de nos données”, précisait Vincent Bouvier, président de Vidal, à mind Health en 2020. Vidal.fr est en effet la vitrine gratuite et sans publicité du groupe Vidal, dont les revenus proviennent de la commercialisation, sous forme d’abonnements, de bases de données de produits de santé et de protocoles de traitement, mises à jour par une équipe de pharmaciens, médecins et ingénieurs spécialisés en pharmacologie. Par ailleurs, au mois de novembre, Vidal a changé son site Internet pour regrouper son site vidal.fr destiné aux professionnels de santé et eurekasante.fr, pour le grand public. La base de données médicament est par exemple intégrée dans les logiciels de prescriptions. Thomas Van Gorkum revendique plus de 40 000 utilisateurs de cette application. Et, pour 2021, le groupe travaille sur la “medical education”. “Cette activité double d’année en année. Nous allons ressortir une interface, des contenus… sur Vidal Campus”, confie le directeur digital.

La plupart des autres sites misent sur la publicité en ligne. Selon l’outil d’analyse des sites web Ghostery, les sites du groupe Global Media Santé utilisent Google, Bing Ads et Bannersnack pour proposer leur inventaire publicitaire aux annonceurs et ceux du Groupe Profession Santé embarquent les technologies d’Outbrain, Smart, OpenX, Xandr et AdScale. Mais ce dernier a entamé une stratégie pour “rééquilibrer la part de l’abonnement par rapport à celle de la publicité”, confie Jean-Pierre Guerreiro. Il ajoute : “l’abonnement représente un peu moins de 20 % de notre chiffre d’affaires, nous ciblons l’équilibre avec les revenus publicitaires en 2025”. Pour accompagner cette stratégie, il souligne l’objectif de fidéliser les abonnés sur le digital. En parallèle, une équipe dédiée à la vente d’abonnement en lot, notamment vers les établissements de santé, a été mise en place depuis novembre 2020. Depuis fin octobre, le groupe travaille aussi avec la société Poool, qui propose une solution de paywalls dynamiques qui s’adaptent au profil des utilisateurs. “Cela nous permet de mieux contrôler l’accès aux articles gratuits et mieux contrôler la proposition”, souligne Jean-Pierre Guerreiro avant de conclure que la majorité des investissements concernent aujourd’hui le digital.