Accueil > Parcours de soins > Quel rôle pour les médecins dans l’usage d’une DTx ? Quel rôle pour les médecins dans l’usage d’une DTx ? RETOUR D'EXPÉRIENCE - Comment embarquer les médecins dans l’utilisation et la prescription d’une thérapie numérique ? Témoignage croisé du Dr Sophie Bonnin, ophtalmologue à l’Hôpital Fondation A. de Rothschild, et Édouard Gasser, CEO et cofondateur de Tilak Healthcare, dont la solution OdySight a obtenu cette année le remboursement dans le cadre de l’article 51. Par Sandrine Cochard. Publié le 31 mai 2022 à 23h39 - Mis à jour le 03 juin 2022 à 15h30 Ressources Les acteurs de l’écosystème DTx le savent bien : sans adoption par les médecins, il n’existe pas de modèle économique pour leurs solutions. Comment inciter les médecins à se saisir de ces solutions émergentes et co-construire, avec des acteurs issus de la tech, de nouveaux parcours thérapeuthiques ? Exemple avec le Dr Sophie Bonnin, ophtalmologue qui, dans le cadre de sa pratique à l’Hôpital Fondation A. de Rothschild, utilise et prescrit la solution Odysight de Tilak Healthcare depuis quelques années. Le point de départ L’histoire de Tilak Healthcare commence bien loin du monde de l’hôpital. Au départ, son CEO et co-fondateur, Édouard Gasser, vient du jeu vidéo. “J’ai toujours été impressionné par la capacité des jeux vidéo à retenir, engager et capter l’attention des utilisateurs. L’idée de Tilak Healthcare est de créer des jeux vidéos validés cliniquement, des dispositifs médicaux qui permettent de suivre des patients atteints de maladies chroniques”, a-t-il expliqué au cours d’une table-ronde organisée le 17 mai 2022 à SANTEXPO. Sa rencontre en 2016 avec le Pr José-Alain Sahel, un éminent ophtalmologiste français, qui lui confie sa difficulté à suivre ses patients atteints de certaines maladies chroniques liées à l’âge est un déclic. “Il me disait que ce serait génial d’avoir un outil pour suivre certains patients à domicile et donc être capable de générer de la donnée de santé avec son téléphone”, se souvient Édouard Gasser. Avec Tilak Healthcare, il décide de répondre à ce besoin opérationnel avec l’application OdySight, un outil capable de mesurer l’acuité visuelle des patients et de les suivre directement sur leur smartphone. “Notre obsession a d’abord été le patient, afin de s’assurer qu’il y aurait un usage de la patientèle, qui pouvait être assez âgée. Nous avons beaucoup travaillé avec des associations de patients pour concevoir un jeu qui serait à la fois pertinent pour les médecins mais aussi agréable pour les patients.” Thérapies numériques : les défis d’un secteur émergent La prise en main d’Odysight Le Dr Sophie Bonnin utilise justement l’application qui a depuis peu obtenu le remboursement dans le cadre de l’article 51. “En tant que médecin, nous avons envie de voir les bons patients. Nous n’avons pas besoin de voir tous nos patients tous les mois, surtout si nous disposons du bon outil, capable d’assurer que tout va bien”, explique-t-elle. OdySight l’aide à suivre ses patients à distance et à consacrer son temps de consultation aux patients qui en ont le plus besoin. “On se dit que ça va peut-être nous faire gagner du temps et que l’on pourra ainsi recevoir les bons patients.” En tant que médecin, nous avons envie de voir les bons patients. Dr Sophie bonnin, ophtalomologue à l’Hôpital Fondation A. de Rothschild Si la prise en main de l’outil est facile, une difficulté demeure. “Aujourd’hui, il est compliqué de trouver le temps de prescrire ces outils d’innovation, en plus de toute notre activité : il faut prendre le temps d’expliquer au patient comment fonctionne l’application et l’inscrire sur la plateforme. Il y a ensuite tout un suivi à faire sur la plateforme”, souligne-t-elle. Des micro-tâches qui s’ajoutent à l’agenda déjà chargé des médecins qui peuvent freiner l’adoption des ces nouveaux outils. “On s’aperçoit que les médecins sont généralement partants. Notre rôle est de les convaincre, de les former aussi à ces nouveaux outils. L’enjeu est de réussir à intégrer notre solution au mieux dans les routines de travail des médecins qui sont aujourd’hui surchargés”, renchérit Édouard Gasser, même s’il reconnaît que cette problématique du temps passé a été plutôt sous-estimée par Tilak Healthcare au départ. Panorama des DTx en France Bénéfices et freins à l’usage d’une solution numérique “Ces nouvelles thérapies sont des éléments que nous devons intégrer dans notre pratique pour nous améliorer et probablement mieux prendre en charge nos patients, estime Sophie Bonnin. Mais cela prend du temps. La solution doit être validée par des études car cela est très importants pour nous, médecins, d’être sûrs de l’indication de prescription. Nous devons savoir en quoi ces solutions vont améliorer le suivi des patients ou leur bien-être. Il y a encore beaucoup de questions pour lesquelles nous n’avons pas la réponse. Je pense que c’est un travail à mener entre les industriels et start-up et nous, médecins.” Ces nouvelles thérapies sont des éléments que nous devons intégrer dans notre pratique pour nous améliorer et probablement mieux prendre en charge nos patients. DR SOPHIE BONNIN, OPHTALOMOLOGUE À L’HÔPITAL FONDATION A. DE ROTHSCHILD “L’enjeu des prochaines années est de réussir à intégrer encore plus de médecins et de centres médicaux dans la gestion de ces outils numériques”, confirme Édouard Gasser, en rappelant que le vieillissement de la population entraînerait, de fait, plus de malades chroniques, un défi auquel les outils numériques permettent de répondre. Le rôle central des médecins Parce qu’ils ont un rôle de prescripteur, les médecins sont un maillon essentiel pour l’émergence et le développement des thérapies numériques en France. Encore faut-il trouver la bonne formule pour les inciter à prescrire ces nouvelles thérapies. Pour Édouard Gasser, “engager davantage les sociétés savantes est un enjeu”. Tilak Healthcare a participé à un symposium avec la Société Française d’Ophtalmologie (SFO). Il en est ressorti conforté dans sa conviction initiale. “Pour moi, la santé de demain se fera de concert avec les médecins et la technologie. Il faut réaliser des études cliniques pour réussir à convaincre et à être recommandé. Cela prend beaucoup de temps, il faut travailler avec les médecins et même pour les médecins.” La santé de demain se fera de concert avec les médecins et la technologie. Édouard Gasser, CEO et co-fondateur de Tilak Healthcare De son côté, le Dr Bonnin estime essentiel de sensibiliser les médecins partout où les professionnels viennent chercher et partager l’information, que ce soit lors de congrès ou même dans un service de l’hôpital. “C’est là qu’il faut démontrer l’efficacité de la solution et c’est comme cela que l’information peut circuler. En tant que service hospitalo-universitaire, nous avons un rôle important à jouer pour répandre l’information.” De quoi aussi lever certaines craintes et certains mythes qui ont la dent dure. “Certains collègues ont peur de l’intelligence artificielle, avec cette idée que les algorithmes remplaceront les médecins. Mais ce n’est pas du tout ça, tempère-t-elle. Les algorithmes et les outils numériques sont là pour nous aider. Quand un médecin voit 50 patients dans la journée, voire plus, je pense qu’il peut relâcher un peu son attention et c’est dommage. Travailler avec ces outils permet d’aider et de contribuer au bien-être de nos patients et, in fine, à une meilleure adhésion au traitement, donc une meilleure observance.” Pierre Leurent (Voluntis) : “On ne peut pas dissocier les DTx de leur usage par les professionnels de santé et de leur remboursement” Un flou législatif persistant sur la responsabilité Reste que, malgré ces avancées en matière de collaboration entre médecins et acteurs du numérique, un flou demeure au sujet de la responsabilité. “Lorsque la solution apporte une aide à la prescription, le médecin reste responsable. Mais pour les IA de diagnostic ou de dépistage, le champ législatif est encore un peu flou, déplore le Dr Bonnin. Par exemple, si un patient reçoit un dépistage de rétinopathie diabétique par un dispositif numérique : qui est responsable l’industriel qui a proposé le DM ou le médecin ? C’est aussi une des raisons pour lesquelles ces dispositifs ne sont pas aussi déployés. La question de la responsabilité est difficile à mettre en place.” Ainsi, l’algorithme d’OdySight dispose d’un système d’alerte qui, lorsque l’application détecte un changement d’acuité visuelle, envoie une alerte au médecin et au patient. “En revanche, prévient Édouard Gasser, s’il y a une alerte, c’est au patient d’appeler son médecin. Maintenant, de nombreux médecins prennent l’initiative d’appeler leur patient. Mais c’est vrai que c’est un champ législatif encore un peu flou.” [Étude exclusive mind Health] Quels acteurs français ont le plus adopté le numérique dans leurs essais cliniques ? Quelle rémunération pour les médecins ? C’est l’une des pistes avancées par certains acteurs des DTx en France ou à l’étranger : et si la clé pour inciter les médecins à prescrire plus de thérapies numériques était de les rémunérer pour cela, à l’acte ? “Prescrire Odysight prend environ 10 minutes. Donc à l’échelle d’un établissement de santé, cela représente 1 à 2 consultations. Réussir à avoir un acte associé au parcours de soin, ce n’est pas tellement une question de rémunération mais de compensation. Cela contribue à ancrer le fait que le numérique est aussi important que d’autres actes. Or, le médecin est au cœur de ce dispositif et le temps qu’il passe à faire cela doit être traduit en acte médical”, estime Édouard Gasser. Le médecin est au cœur de ce dispositif et le temps qu’il passe à (prescrire une thérapie numérique) doit être traduit en acte médical. ÉDOUARD GASSER, CEO ET CO-FONDATEUR DE TILAK HEALTHCARE La question du remboursement de la solution numérique est également un enjeu essentiel. Édouard Gasser mesure ainsi le chemin parcouru grâce à l’expérimentation de remboursement obtenue par OdySight dans le cadre de l’article 51. “Cela fait une grande différence dans notre relation aux médecins, qui ont davantage confiance en notre solution. C’est un gage de sérieux. Cette expérimentation est aussi le signe que le gouvernement va faire évoluer les pratiques et que c’est le moment d’intégrer ces nouveaux outils numériques dans sa pratique.” “L’article 51 valide le fait que l’on a une nouvelle thérapie, qu’il faut s’en servir et qu’il y a cette compensation financière qui devrait vous pousser à la prescrire, renchérit Sophie Bonnin. En pratique, c’est bien pour les médecins libéraux, qui peuvent recevoir directement cette compensation. A l’hôpital c’est un peu plus compliqué parce que c’est la structure hospitalière qui récupère les compensations financières. Pour les médecins hospitaliers, cela correspond à faire un petit quelque chose en plus – comme souvent à l’hôpital – qui ne se traduira pas par une augmentation de revenu. Ce n’est donc pas vraiment un levier pour l’hôpital, davantage pour les médecins libéraux. Mais je pense que disposer d’un tel cadre législatif valide l’idée qu’il faut prescrire cette solution et aller vers l’intégration de solutions numériques. Et le rôle des hôpitaux est aussi de participer à la construction d’études qui valideront l’efficacité d’une solution.” Construire l’interopérabilité des solutions Le Dr Sophie Bonnin a rappelé qu’il n’existait pas, pour l’heure, de dossier médical dédié en ophtalmologie. Un frein pour exploiter pleinement le potentiel des solutions numériques. “Ce qui serait super, c’est qu’une fois que les patients sont inscrits dans OdySight, leurs données d’acuité visuelle soient directement intégrées dans notre dossier patient.” Un voeu pieu pour l’instant. D’autant qu’en imagerie, en rétinopathie notamment, il n’y pas de format DICOM mais des formats des constructeurs qui ne permettent pas toujours une circulation fluide des données. Pour Édouard Gasser, l’enjeu est aussi de privilégier une approche du numérique par pathologie et non de manière transversale. “On essaye de faire des cadres génériques pour le numérique, dans une sorte d’horizontalité, alors que la réalité opérationnelle est très verticale et fonctionne par pathologie. Les problématiques de l’ophtalmologie ne sont pas celles de la cardiologie… On doit donc penser l’approche numérique en fonction des spécificités de chaque pathologie. Ce n’est pas encore pour demain que l’on aura une plateforme métier intégrant toutes les pathologies, contrairement à ce qui est possible de faire avec les généralistes.” Sandrine Cochard dossier patient informatiséHôpitalInteropérabilitéMedtechsOphtalmologieParcours de soinsPatientSantexpoThérapie digitale Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Panorama des DTx en France Thérapies numériques : les défis d’un secteur émergent Entretien Pierre Leurent (Voluntis) : “On ne peut pas dissocier les DTx de leur usage par les professionnels de santé et de leur remboursement” L’application OdySight de Tilak Healthcare va être remboursée Les industriels de la filière des dispositifs médicaux à la peine Entretien Dr Pierre Simon : "L’organisation, plus que l'outil, fera le succès de la télémédecine" Téléophtalmologie : le Catel publie son livre blanc