Virtuoz : comprendre un lieu au bout des doigts

La genèse

Née à Toulouse en 2015, la société Feelobject, spécialisée en impression 3D professionnelle, ne se prédestinait pas au monde de la santé. C’est en effet comme sous-traitant industriel pour l’aéronautique (les drones en particulier) et l’automobile que la société a d’abord fait valoir son savoir-faire. “Nous avons la particularité de travailler le composite, à savoir les fibres de carbone, de kevlar et de verre”, explique Céline Favy-Huin, cofondatrice et directrice générale de Feelobject.   

“Parce que nous avons des valeurs sociétales très fortes, nous nous sommes rapidement orientés vers le handicap visuel”, poursuit-elle. 

Nous sommes fin 2016 : Sylvain Huin et Céline Favy-Huin, les cofondateurs de Feelobject rencontrent des responsables de Cherchons pour voir, un laboratoire de recherche au service des déficients visuels, de leurs familles, et des professionnels qui les accompagnent. 

Ce laboratoire a montré, études à l’appui, l’apport de l’impression 3D auprès de jeunes enfants dans leur apprentissage de formes géographiques et géométriques. Par le toucher les enfants déficients visuels ou aveugles arrivaient à se faire une représentation mentale de la forme qu’ils ont entre les doigts, bien mieux qu’avec une description abstraite. 

Les besoins 

La déficience visuelle touche, tous stades confondus, environ 280 millions de personnes dans le monde. “Ce handicap peut être considéré à la fois comme visible et invisible dans la mesure où une seule personne sur 20 seulement utilise une canne blanche”, fait remarquer Céline Favy-Huin. Les 19 autres personnes cachent donc ce handicap, qui les place dans des situations d’isolement, souvent préjudiciables. “Peu de personnes déficientes visuelles osent aller dans les hôpitaux et cliniques, parce qu’elles ne sont pas capables lorsqu’elles arrivent sur le lieu de se déplacer en autonomie, poursuit-elle. Elles ont souvent peur et n’osent pas toujours demander de l’aide, au dépens de leur santé”. Un lieu en particulier concentre toutes les craintes. “Quand une personne déficiente visuelle va dans un lieu qu’elle ne connaît pas, elle va tout faire pour éviter d’aller aux toilettes : se priver de boire, se retenir” explique Céline Favy-Huin. Les toilettes et le mobilier qui s’y trouve sont le plus souvent blancs. Cette absence de contraste visuel est particulièrement problématique”.

Le marché

La solution Virtuoz est aujourd’hui principalement présente en entreprise et dans des lieux de tourisme, de loisirs et de culture (notamment un célèbre parc d’attraction de Marne-la-Vallée). Mais Feelobject se positionne de plus en plus dans le monde de la santé. La société est aujourd’hui présente en Belgique, en Suisse et en France, où elle travaille avec la clinique de réadaptation visuelle ARAMAV (Nîmes) et le centre de lutte contre le cancer (CLCC) Henri Becquerel (Rouen).

Par conviction, et parce qu’elle a pressenti l’ampleur des besoins dans les établissements de santé, la société a fait le choix récent d’entrer sur le marché de l’hôpital (ce sera sa première participation au salon SantExpo). Céline Favy-Huin a cependant bien conscience des défis qui l’attendent . “La conférence nationale sur le handicap (CNH) s’est tenue il y a 3 semaines a mis en avant le fait que la loi ne sanctionne toujours pas les établissements qui ne sont pas accessibles”, rappelle-t-elle, soulignant également qu’ “il n’y a pas aujourd’hui de budget dédié à la partie handicap dans les établissements. Les hôpitaux sont aussi de grosses machines et il faut passer par beaucoup d’intermédiaires avant de trouver les personnes décisionnaires”, ajoute Céline Favy-Huin. 

Les solutions

La solution Virtuoz se présente comme un boîtier de la taille d’une liseuse, sur lequel viennent se clipser des cartes en relief. L’utilisateur peut, par le toucher, se créer une image mentale de son environnement. En appuyant sur des symboles de couleur, des informations sonores complémentaires (le boîtier est muni d’écouteurs) lui sont données. Le système va ainsi expliquer s’il faut tourner à gauche ou à droite pour aller dans tel service, le nombre de paliers intermédiaires pour un escalier, où se trouvent les boutons d’appel dans un ascenseur. 

Virtuoz est une solution BtoB proposée à tous les établissements qui accueillent du public. Le boîtier portatif (Virtuoz mini) est aussi décliné en borne (Virtuoz maxi) pour offrir une vision macro de lieux vastes. À ce titre, Feelobject a mené un projet-pilote avec l’hôpital de la Pitié Salpêtrière et a pu cartographier les 55 ha du CHU et proposer cette dernière solution en moins de 2 mois (c’est le temps moyen qu’il faut à la société pour proposer un produit fini après commande).

Les concurrents

La société Feelobject est aujourd’hui la seule au monde à proposer une solution de plans 3D sur-mesure, interactifs et interchangeables. 

“En face de nous, explique Céline Favy-Huin, nous allons avoir des solutions via smartphone, qui utilisent la géolocalisation”. Ces solutions ont cependant deux désavantages majeurs : la précision (“l’application peut dire que l’escalier se trouve à 2 mètres, alors qu’il est à 50 cm”, fait remarquer Céline Favy-Huin) et la lourdeur de la mise en place (“l’installation d’un système GPS interne dans un bâtiment nécessite l’installation de nombreuses balises bluetooth”, ajoute-t-elle). 

Au-delà de ces concurrents, Virtuoz s’affiche comme une aide complémentaire à des dispositifs déjà existants. Les bornes de guidage et balises podotactiles vont ainsi être représentées sur le plan 3D avec une trame particulière. 

Ajoutons que la représentation en relief du lieu ne fait pas intervenir le braille. “Moins de 12% des personnes déficientes visuelles savent le lire et cela pose la question de l’accès des personnes étrangères au braille français” souligne Céline Favy-Huin, faisant valoir le côté “multilingue” de sa solution. “Nous pouvons mettre autant de langues que nécessaire. Sur la “maison du projet du Village des athlètes Paris 2024, la solution est ainsi proposée en 5 langues, dont le chinois et le japonais”, ajoute-t-elle.

La société Feelobject

Née à Toulouse et aujourd’hui basée à Rouen, la société Feelobject est aujourd’hui composée de 3 personnes. Son distributeur exclusif est basé en Suisse et compte 4 salariés. Lourdement impactée par le mouvement des grèves fin 2019 et par la pandémie, aux dires de sa directrice générale, la société entend, cette année, multiplier son chiffre d’affaires par trois. 

L’avenir

Feelobject mène actuellement des études pour adapter Virtuoz à des environnements extérieurs (la demande lui a été faite par des parcs et jardins) et compte pouvoir proposer ses premières solutions outdoor dans les prochains mois. 

La société travaille également sur d’autres types de handicap, comme les troubles autistiques et les troubles “dys”.

En termes de nouveaux marchés, Feelobject a signé début mai son premier client belge. Elle est actuellement en discussion “avec un gros hôpital situé à Genève”, confie Céline Favy-Huin.