Comment les éditeurs veulent maximiser le revenu par utilisateur avec les paywalls dynamiques

C’était l’un des enseignements de notre étude annuelle sur les offres payantes des éditeurs d’information en 2019, publiée mi-février : de plus en plus de médias français utilisent des paywalls dynamiques. Ces outils permettent d’adapter l’accès au contenu selon le profil des internautes : redirection vers un paywall, inscription à une newsletter, login obligatoire, etc., via l’analyse des données de navigation de l’utilisateur, le terminal utilisé, le segment d’audience auquel il appartient, et le contexte de diffusion. L’objectif est de déterminer la probabilité que chaque internaute entre dans un processus d’abonnement ou d’achat pour permettre à l’éditeur d’optimiser sa stratégie : soumettre rapidement un mur payant à un internaute identifié comme prospect ou au contraire laisser consulter un ou plusieurs contenus à un internaute peu ou pas identifé, notamment pour ne pas sacrifier totalement son volume d’inventaires publicitaires commercialisés.

Le paywall dynamique revêt autant de formes différentes qu’il y a de stratégies éditeur. Il est largement adopté aux États-Unis – le Wall Street Journal et Business Insider utilisent par exemple Piano. En France, La Croix a été le premier titre à le mettre en place dès 2014. 

Sur le marché français, deux sociétés prédominent : le groupe américain Piano et la start-up française Poool (voir notre tableau comparatif en fin d’article). Qiota, propriété du groupe TBS compte également plusieurs clients en France. SmartWall est utilisé par plusieurs éditeurs français mais opère majoritairement sur le marché suisse, et bientôt allemand après son rachat par Asmiq AG. CeleraOne, nouvelle propriété du groupe média allemand Axel Springer, est quant à lui concentré sur le marché allemand et scandinave, même s’il n’exclut pas un développement en France prochainement. “Nous avons discuté avec plusieurs éditeurs français, dont le Figaro, mais nous attendons un point d’encrage suffisant pour envisager une entrée sur le marché français”, affirme son directeur général, York Walterscheid (sa fiche LinkedIn). MPP Global – qui a travaillé avec l’Équipe – et Flip Pay, qui développent également des solutions pour le broadcast et l’OTT, sont quant à eux concentrés sur le marché anglo-saxon.

Proposer la meilleure alternative pour optimiser le revenu par lecteur

À l’origine du développement de ces outils, un constat pour beaucoup d’éditeurs au moment du lancement d’offres payantes : “La marche est trop haute entre le gratuit et le payant. En tant que média, je ne sais pas nécessairement quelle est la meilleure façon de monétiser mes contenus. Il faut donc un outil qui permet de scénariser le parcours en fonction du type de contenus, d’utilisateurs pour maximiser le revenu par utilisateur via la publicité, ou par l’abonnement”, explique Maxime Moné, cofondateur de la société Poool (sa fiche Linkedin).

 

Le paywall dynamique nous permet de tester la réaction à de très nombreux paramètres comme la provenance des internautes, le nombre d’articles lus, le moment de la journée et de la semaine, la typologie des prospects…

Lise Benamou

directrice déléguée en charge du marketing client du Parisien

En France, les Échos Le Parisien et l’Express ont ainsi adopté la technologie de Piano, tandis que de nombreux groupes de presse quotidienne régionale, tels que le Télégramme, EBRA (Le Progrès, Le Dauphiné Libéré, L’Est Républicain…) et Nice-Matin utilisent Poool. “Le paywall dynamique nous permet de tester la réaction à de très nombreux paramètres comme la provenance des internautes, le nombre d’articles lus, le moment de la journée et de la semaine, la typologie des prospects…”, explique Lise Benamou, directrice déléguée en charge du marketing client du Parisien. 

“Nous avons choisi un paywall dynamique car nous avions identifié différents profils lecteurs avec notre DMP, sur lesquels nous ne pouvions pas agir. Il nous fallait un outil qui puisse à la fois collecter de la data sur les prospects chauds, mais aussi de convertir les lecteurs occasionnels avec de la publicité premium et de l’achat à l’acte”, souligne Mariette Le Guellaff, directrice numérique du journal quotidien breton le Télégramme, qui compte 9 097 abonnés purs numériques fin 2019 selon notre baromètre 2019 des offres payantes en France. L’éditeur a ainsi pu tester plusieurs scénarios en fonction des audiences : localité, paywall sur les articles sportifs, newsletter pour les jeunes audiences au moment du bac, etc.

Un enjeu : la centralisation de la gestion des revenus chez l’éditeur

Plusieurs solutions se concentrent uniquement sur la monétisation du contenu via l’abonnement ou le micro-paiement, c’est le cas de Flip Pay ou CeleraOne ; quand d’autres misent sur la tendance à la centralisation de la gestion de toutes les sources de revenu éditeur – dont les abonnements et la publicité – autour d’un chief revenue officer, comme c’est de plus en plus le cas aux États-Unis.

Piano a récemment racheté la DMP Cxense, notamment pour élargir son offre publicitaire : “Cxense a une DMP first party et s’adresse à la fois aux annonceurs et aux éditeurs dans leur activité publicitaire. L’idée à moyen terme sera d’intégrer les deux suites de produits dans une plateforme de gestion des revenus éditeurs : abonnements et publicité”, explique Vincent Brach, directeur commercial France, Benelux et Italie de Piano (sa fiche LinkedIn). Pour CeleraOne, fournisseur de paywall dynamique, d’une solution de développement des audiences et d’un SSO, ce type de diversification n’est pas envisagé. “Cela nous détournerait de notre coeur de métier et nous obligerait à rentrer sur un marché inconnu, avec de nouveaux concurrents”, explique son directeur général York Walterscheid. 

Les éditeurs français et suisses manquent d’un chief revenue officer qui a une vision globale de l’audience. La régie et l’éditeur se font souvent la guerre, et nous pouvons en  être victime

Marc Lamarche

CEO Smartwall (Asmiq AG)

Smartwall – utilisé par Nice Matin, GameKult (voir notre 3QA avec Thomas Cusseau, ex-rédacteur en chef) ou encore le JDD (Màj du 03/03/20 : le JDD a adopté la solution de Poool fin février 2020) – a lui fait le chemin inverse : la solution proposait au départ au lecteur de visionner une publicité pour accéder au contenu, puis a développé sa solution pour le diriger vers d’autres alternatives comme le micropaiement, l’abonnement à une newsletter, le login sur le site ou le paywall. Marc Lamarche, le CEO de la société, déplore cependant un manque de réflexion au sein des groupes médias sur la centralisation de l’optimisation du revenu utilisateur. “Les éditeurs français et suisses manquent d’un chief revenue officer qui a une vision globale de l’audience. La régie et la partie éditeur se font souvent la guerre, et nous pouvons en être victime”, explique-t-il. D’autres acteurs du marché média et publicitaire partagent également ce point de vue.

“Au niveau national, il y aura nécessairement un plafond pour les abonnements aux médias en ligne, mais on ne sait pas s’il sera atteint dans un, deux ou cinq ans… Cela explique que la majorité des éditeurs se focalisent encore sur le développement du revenu abonnés. Les stratégies globales de maximisation de l’ensemble des revenus viendront ensuite”, ajoute Maxime Moné (Poool). Selon lui, ce type de réflexion est déjà en cours chez plusieurs éditeurs de PQR en France.

Toutes les sociétés interrogées mettent en avant une intégration rapide de leurs solutions à d’autres outils data, CRM et marketing pour optimiser le parcours utilisateur jusqu’à l’abonnement, ou la monétisation publicitaire. Le modèle économique est lui aussi classique : une licence SaaS, dont le prix augmente en fonction des fonctionnalités choisies et du nombre de pages vues. Seul Flip-Pay fonctionne sur un modèle gratuit et retient une commission sur chaque conversion abonné. Un modèle que CeleraOne a envisagé mais n’a jamais généralisé, les éditeurs préférant selon lui une logique de coût fixe.

Récupérer de la donnée valorisable et sans cookies

L’argument souvent utilisé contre le paywall classique est qu’il pourrait créer une friction, diminuer les audiences du site et empiéter sur l’activité de la régie. Le Télégramme, qui utilise la solution de Poool depuis février 2019 sur 30 % de ses contenus environ, revendique des résultats très positifs : une croissance de 34 % de la conversion (dont 60 % se fait sur l’abonnement) depuis l’installation du standard premium, avec une augmentation de 30 % de l’audience. Selon Piano, l’implémentation de sa solution par Business Insider a généré une hausse de 33 % des abonnements, de 47 % du revenu, et de 56 % du taux de conversion sur un trimestre.

 

Nous avons de plus en plus de clients qui n’ont pas d’offre payante et qui recherchent seulement un point de contact avec les audiences via un registration wall

Maxime Moné

cofondateur de Poool

Dans un contexte où les cookies tiers se font de plus en plus rares, le paywall dynamique est aussi une manière d’optimiser la collecte de la donnée utilisateur first party. “Nous avons de plus en plus de clients qui n’ont pas d’offre payante et qui recherchent seulement un point de contact avec les audiences via un registration wall, récupérer des données qu’ils peuvent ensuite utiliser pour cibler de la publicité ou des événements”, explique Maxime Moné (Poool). “Cela nous a permis de créer 40 000 comptes d’internautes (via un registration wall, voir notre étude de cas sur celui mis en place par le JDN) qui nous ont donné leur nom, prénom, mail et date de naissance, mais aussi générer 20 000 inscriptions à des newsletters, autant de données que nous pouvons valoriser”, illustre Mariette le Guelaff (Le Télégramme). Piano fait aussi ce pari, et a récemment lancé Piano Zero, son offre de DMP cookieless et de collecte de la first-party data pour les éditeurs.