Guy Crevier (La Presse) : « Nous mesurons presque tout au sein de notre application pour tablette »

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Basé à Montréal, le journal canadien La Presse (Groupe Gesca) a été l’un des premiers grands médias à avoir engagé volontairement, dès 2010, un processus d’abandon du papier. Après trois ans de R&D et un investissement de 40 millions de dollars, le titre a lancé, mi-2013, La Presse+, une édition quotidienne gratuite sur application tablette, avec un réel succès. Au point, depuis le 1er janvier 2016, d’avoir stoppé son édition quotidienne papier pour ne plus conserver que son édition du week-end. Guy Crevier, président de La Presse, explique à mind-Satellinet le modèle économique de La Presse+.
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Pourquoi avoir abandonné en grande partie le papier ?

Ce processus a commencé en 2010, à partir de l’analyse suivante : le secteur de la presse dépend de deux sources de revenus principales, que sont la publicité et les abonnements. Or, au cours des quinze dernières années, ils sont tous deux en décroissance dans presque tous les pays industrialisés. En Amérique du Nord / ou Canada, 63 % des revenus publicitaires ont complètement disparu. Au Canada, l’âge moyen des lecteurs de journaux est de 60 ans, alors que les annonceurs cherchent plutôt à toucher des lecteurs dont l’âge est compris entre 25 et 45 ans. Nous pensons que les journaux qui ne rajeunissent pas leur audience vont bientôt être confrontés à une décroissance brutale. Aux Etats-Unis, des études annoncent même la disparition des journaux d’ici 2020. Cette réflexion stratégique nous a conduits à la conclusion que le modèle papier n’a pas de viabilité à long terme. Dès lors, nous étions face à une alternative : soit retirer nos participations du groupe Gesca, soit changer son modèle d’affaires. Nous avons choisi cette deuxième option. Nous avons alors dessiné les prémices de La Presse+, avec l’idée de construire un média de masse sur le numérique, engageant et hautement mesurable.

Quel est l’apport de La Presse+ par rapport à l’édition papier ?

En moyenne, 250 000 tablettes iPad et Android se connectent chaque jour à l’application. Après seulement deux ans et demi d’existence, cette audience est supérieure au journal papier, malgré ses 131 ans d’existence et ses pics de tirage, en 1971 avec 221 000 copies, et en 2009 avec 207 000 exemplaires vendus au moment de la sortie d’une nouvelle formule couleurs. L’autre grande différence apportée par La Presse+ vient de la capacité à mesurer finement l’usage de nos lecteurs. Nous avons beaucoup investi pour cela. Ce samedi, nous avons livré 130 000 exemplaires papier de notre édition du week-end, mais je n’ai aucune idée de qui l’a lu, ni quelles pages ou rubriques ont retenu leur attention. Alors que pour La Presse+, je sais exactement combien de temps les visiteurs ont passé sur chaque écran. Pendant la semaine, le temps de consultation moyen est par exemple supérieur à 40 minutes. Nous avons aussi rajeuni l’âge de nos lecteurs : 52 % de la population québécoise a entre 25 et 54 ans. Dans la presse papier, cette tranche d’âge ne représentait que 46 % de nos lecteurs, mais c’est 65 % des lecteurs de La Presse+. Nous sommes probablement le seul média généraliste dont la cible jeune est en croissance. En outre, alors que 16 % de la population du Québec déclare un revenu par foyer supérieur à 100 000 dollars canadiens, c’est le cas de 43 % des lecteurs de l’application. Ces chiffres d’engagement, de revenus et d’âge nous permettent de maintenir des CPM au moins équivalents à ceux que nous avions sur papier.

Quel bilan tirez-vous de ces premiers jours sans papier ?

Depuis que nous avons annoncé en septembre la fin de l’édition papier du lundi au vendredi, nous avons enregistré une croissance de 100 000 ouvertures pour l’application, ce qui signifie que la majorité des lecteurs papier nous ont suivis sur tablette. Par ailleurs, notre écosystème est performant : des sondages nous ont permis de vérifier que les lecteurs qui n’ont pas l’intention d’adopter la tablette continuent de nous consulter sur ordinateur et smartphone. Surtout, l’abandon partiel du papier représente une économie de plusieurs dizaines de millions de dollars. En 2011, nos coûts d’impression et de distribution étaient de 90 millions de dollars canadiens. Depuis cette date, nous avions d’ailleurs amorcé une diminution contrôlée du tirage, qui nous a permis de réaliser 35 à 40 millions de dollars d’économie.

«  » »L’abandon partiel du papier représente une économie de plusieurs dizaines de millions de dollars.” »

Le contenu proposé sur tablette a-t-il changé par rapport au journal ?

Cette édition nous permet d’offrir plus de profondeur dans le traitement de l’information, car la structure de coût est différente. Nous avons pu être disponibles sur 100 000 nouvelles tablettes depuis septembre, cela sans coût supplémentaire. Pour couvrir les événements de Paris en novembre, nous avons par exemple pu ajouter une douzaine d’écrans (des pages sur tablettes, ndlr) supplémentaires sans surcoût de papier, d’impression et de distribution. Nous avons aussi donné mandat à la rédaction de développer le multimédia. Nous ne sommes plus un journal écrit, mais un nouveau média, ce qui signifie que nous pouvons enrichir un sujet avec des infographies, des vidéos et une importante galerie de photos.

Selon plusieurs instituts d’études, le marché des tablettes s’essouffle. Cela vous inquiète-t-il ?

Nous croyons en un rebond des usages dans les prochaines années, car ces terminaux sont de plus en plus puissants, si bien qu’ils vont remplacer une partie du parc d’ordinateurs. Cet essoufflement s’explique par le fait que cette technologie a conquis très rapidement beaucoup de parts de marché. Il a fallu 7 ans aux smartphones pour parvenir au même taux de pénétration que les tablettes, c’est-à-dire 60 % des foyers au Canada. Et ce taux de pénétration continue de croître. En outre, le remplacement des tablettes ne se fait pas au même rythme que les téléphones. Depuis quelques jours, nous expérimentons La Presse+ sur l’iPhone 6+, mais nous ne voulons pas descendre en dessous d’une dimension d’écran de 6 ou 7 pouces, car nous estimons que la taille de l’écran a un impact sur le niveau d’engagement des lecteurs.

Le groupe Gesca a investi 40 millions de dollars canadiens pour développer La Presse+, une somme très importante. Pourtant, vous avez opté pour un modèle gratuit plutôt que payant. Pourquoi ce choix ?

Nous avons exclu le modèle payant, car les études que nous avons menées au début du processus nous montraient que, compte tenu du nombre de gens prêts à payer, nous n’aurions atteint que 30 000 abonnés. Nous avons préféré devenir un média de masse, car cela nous permet d’être assez forts pour que les acheteurs publicitaires nous incluent dans leurs plans médias, avec des publicités interactives spécialement conçues pour La Presse+. C’est ce qui nous permet d’avoir une rédaction de 280 journalistes.

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Avez-vous pu maintenir vos revenus publicitaires ?

Sur papier, notre grille de tarifs proposait la demipage de publicité à 68 dollars canadiens, avec une dégressivité selon le volume acheté par nos clients. Sur tablette, nous sommes parvenus à conserver des tarifs nets équivalents, voir supérieurs au papier. Sur tablette, tous les emplacements sont vendus en gré à gré par notre équipe commerciale, nous n’avons recours au programmatique que pour notre site internet.

Quelle est votre stratégie publicitaire ?

Nous mesurons presque tout au sein de notre application. En amont du lancement, nous avons dépensé 2 millions de dollars en recherche, dont 1 million consacré à l’optimisation de la navigation, afin de proposer un produit simple à consommer, agréable et facile à utiliser. Mes équipes commerciales ont beaucoup insisté pour installer des formats en pop-up ou auto-play vidéo. Mais nous voulions éviter d’être intrusifs et laisser aux lecteurs le contrôle de l’environnement de lecture. Rien ne s’active automatiquement, rien n’apparaît ni ne démarre sans que le lecteur l’ait décidé. L’autre million de dollars investi a été consacré à la recherche sur l’efficacité publicitaire. Grâce à un outil d’eye-tracking, que nous avons développé nous-mêmes, nous avons étudié la réaction des lecteurs face à des publicités. Des spécialistes ont décodé leurs émotions. En outre, nous garantissons aux annonceurs leurs impressions et un certain nombre de vues. Grâce à des rapports de performance, nous leur indiquons le nombre exact de paires d’yeux qui se sont arrêtées sur leur campagne, le nombre de personnes qui ont activé l’interactivité, la vidéo, ont visité leur site internet… Avant de lancer l’application, nous avions rencontré plus de 400 annonceurs et agences de publicité, afin de partager avec eux nos engagements et nos mesures. Pour compter des valeurs comme les temps de consultation ou le nombre de connexion, nous avons développé nos propres outils de mesure, Localytics (pour effectuer le suivi de l’activité du lecteur) et AdGear (pour suivre les impressions publicitaires), puis nous les avons fait certifier par l’Alliance for Audited Media.

«  » »Nous avons rencontré plus de 400 annonceurs et agences de publicité.” »

Quel usage faites-vous des données recueillies ?

Lors de leur première connexion, nous demandons aux lecteurs s’ils veulent partager avec nous les données qu’ils partagent avec Apple sur iPad. 70 % nous donnent leur accord. A partir de leur adresse IP, nous pouvons faire du retargeting sur tablette, avec la connaissance de ce qu’ils ont consulté sur les autres appareils du foyer. Car l’essentiel de nos connexions ont lieu le soir, à domicile.

Pensez-vous que d’autres éditeurs pourraient suivre l’exemple de La Presse+, notamment en France ?

Ce modèle est transposable. D’ailleurs, il ne se passe pas un mois sans que nous recevions la visite d’un média américain ou européen : belges, hollandais, anglais, espagnols notamment, mais pas encore français. Le Toronto Star, le plus grand journal canadien avec un tirage de 440 000 exemplaires, amêmeachetélaplateformetechnologique La Presse+, en novembre 2014, afin de développer sa propre application, “Star Touch”, lancée en septembre 2015. Nous avons fait de la commercialisation de la plateforme de publication de La Presse+ auprès d’autres éditeurs l’une de nos activités commerciales. Ajouter encore un ou deux autres clients nous permettrait de créer un laboratoire d’une centaine de personnes dédié au développement du produit.

Comment La Presse a boosté ses CPM sur tablette La Presse a pris deux décisions radicales pour dégager suffisamment de valeur par la publicité, rapportait Frédéric Filloux sur son blog Monday Note le 11 janvier dernier. A rebours de la tradition de la publicité en ligne, il a misé sur la rareté de l’offre, comme en télévision : du lundi au vendredi, son journal sur tablette ne contient que 60 pages. Pour éviter de rebuter ses lecteurs, il a aussi imposé des règles strictes à ses annonceurs : pas de formats agressifs, pas de pop-ups, pas de pré-roll, pas de vidéo démarrant automatiquement avec le son… Cela paie, puisque ses CPM seraient désormais au moins équivalents à ceux du papier, alors qu’une publicité web rapporte traditionnellement un CPM de 13 à 14 dollars canadiens, et 2 à 3 dollars canadiens sur mobile.
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