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Brief.me
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Laurent Mauriac
Co-président Brief.me
« Les lecteurs de l’appli mobile de BFMTV ont reçu 313 alertes en un seul mois, en mai dernier. Ceux du Point 228. Un tel déluge, pointé par une étude du laboratoire Obsweb, n’est qu’une partie du flot sous lequel l’information numérique nous submerge. Les réseaux sociaux, les newsletters, les sites web… Cette surabondance est de plus en plus complexe à gérer pour les lecteurs et pour les journalistes, lassés d’empiler les articles. Nous ne décidons plus du moment où nous recevons les nouvelles. Elles nous parviennent de manière indifférenciée, sans classement, ni hiérarchie : des actualités professionnelles côtoient les dernières suggestions d’articles de notre cousine, un reportage sur le siège de la ville de Kobané en Syrie voisine avec la vidéo d’un chat jouant du piano.
CESSONS L’INFORMATION INUTILE ET STRESSANTE
Hier, l’unité de base de l’information était le journal, soit un ensemble cohérent d’articles présentés de manière ordonnée. Aujourd’hui, l’unité de base est l’article. C’est le règne du flux. Qu’il s’agisse de son fil Twitter, de sa page Facebook, des sites que nous consultons, il y a un début mais pas de fin. La dernière tendance sur les sites consiste d’ailleurs à faire apparaître de nouvelles entrées lorsque nous pensons arriver au bas de la page, comme un puits sans fond. Certains en tirent une conclusion radicale : “Arrêtez de vous informer, vous serez plus heureux”, plaide l’auteur suisse Rolf Dobelli dans une tribune parue dans le Guardian en 2013. Selon lui, l’information, telle qu’elle est conçue aujourd’hui, nous est inutile, nous stresse et nous fait perdre du temps. En lisant cette tribune, le journaliste que je suis a frémi, mais a dû se résoudre à y voir une part de vérité. Avant d’en arriver à une telle extrémité (et de décider de changer de métier), j’ai commencé à réfléchir à une alternative, avec un groupe d’amis, entrepreneurs ou journalistes, Damien Cirotteau, Jean-Christophe Boulanger, Alexandre Brachet et Guillemette Faure.
L’E-MAIL COMME MODE DE DISTRIBUTION
Nous avons tout d’abord cherché à confirmer cet engorgement. Une petite enquête informelle dans notre entourage nous a confortés. Les mots « enseveli », et « overdose » revenaient souvent. Nous avons ensuite élaboré quelques hypothèses simples, avec l’idée de les tester le plus vite possible : – revenir à la notion d’édition quotidienne, par opposition au flux permanent. – réhabiliter une fonction journalistique délaissée, celle du choix et de la hiérarchisation. – proposer des résumés pour ne pas frustrer des lecteurs pressés. – créer une identité éditoriale, au contraire de la tendance à l’utilisation des algorithmes . – utiliser l’e-mail, un outil souvent mal employé pour informer, et qui connaît une seconde jeunesse avec le mobile/ – proposer une expérience de lecture calme, sans pollution visuelle et sans publicité.
UN PROJET CONSTRUIT AVEC LES LECTEURS
Plutôt que de nous observer en train d’enchaîner des numéros zéro, nous avons choisi d’aller tout de suite à la rencontre de nos lecteurs et de les impliquer : plus vite nous serions lus, plus vite nous serions critiqués et plus vite nous pourrions rectifier nos erreurs. A Rue89, dont j’ai été l’un des fondateurs, nous avons fait participer les lecteurs au processus de création de l’information via les commentaires, les tribunes, les témoignages. Ici, l’idée était d’aller un cran plus loin en les faisant participer à la création du projet lui-même. Début octobre, nous avons lancé une campagne de financement participatif sur la plateforme Ulule. Généralement, ce type d’approche a pour objectif de réunir une somme d’argent facilitant le démarrage d’un projet, mais notre objectif principal était de réunir un groupe de lecteurs-testeurs qui auraient la primeur de Brief.me et nous feraient part de leurs remarques, de leurs critiques, de leurs suggestions, directement par e-mail, au cours de rencontres physiques ou en répondant à des questionnaires. Cette approche nous a permis de gagner un temps précieux. Pendant six semaines, 900 personnes ont reçu Brief.me par e-mail trois soirs par semaine. Nous avons été bluffés par leur engagement. Ainsi, nous avons reçu plus de 500 e-mails de leur part pendant cette période. Ils nous ont aidés à peaufiner la maquette, les rubriques, leurs noms, leur ordonnancement. Ils se sont appropriés le projet, en ont décrit les avantages mieux que nous le faisions.
DES SURPRISES DANS LES ATTENTES DES LECTEURS
Nous avons été surpris par certaines réponses aux questions que nous leur avons posées. À celle de savoir s’il est gênant de recevoir une information avec plusieurs jours de retard, 83 % de nos lecteurs ont répondu que ce n’était pas le cas, d’autant plus si cela laissait du temps au journaliste pour la creuser et la mettre en perspective. Le modèle économique n’est pas le moindre de notre pari, puisque nous envisageons un abonnement payant (3,90 € par mois avec un abonnement annuel). Nous misons sur une évolution constatée dans le domaine de la musique en ligne : pour que les internautes paient, il faut leur apporter une simplicité et une efficacité dont ils peuvent mesurer les effets dans leur vie quotidienne. Nous misons aussi sur la rupture avec un modèle publicitaire qui verse dans l’intrusion (dans les contenus et la vie privée) ou dans la confusion des genres (avec les nouvelles formes de « native advertising »). Dans cette logique, bien d’autres Brief.me sont envisageables, articulés autour de profils de lectures, de publics différents, de domaines d’activité. Quoi qu’il advienne, nous garderons comme valeur essentielle cette proximité avec nos lecteurs qui est aujourd’hui notre principal atout. »