« Un conseil de presse est l’une des réponses aux tentatives de manipulation de l’information en ligne »

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Selon Patrick Eveno, président de l’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI), qui rassemble notamment des médias (Le Monde, France Télévisions, Europe1...) et des associations et syndicats (Reporters sans frontières, SNJ, CFDT...), la mission récemment confiée par le gouvernement à Emmanuel Hoog (ex-AFP, INA) en vue de la création d'un organe supra-professionnel est non seulement nécessaire à l'information mais peut aussi profiter aux médias de qualité.
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Le 10 octobre 2018, lors du débat précédent l’adoption définitive de la loi sur les manipulations de l’information, l’ex-ministre de la Culture, Françoise Nyssen, a annoncé le lancement d’une mission en vue de la création d’un « conseil de déontologie de la presse ». Elle a souligné que, pour elle, « le premier rempart contre la désinformation et la manipulation de l’information restent les médias et les journalistes ».

A cette occasion, la ministre a repris une des propositions du Président de la République, exprimée dans ses vœux à la presse le 3 janvier 2017 : « Le deuxième type d’action indispensable dépend de vous. Je sais que beaucoup parmi vous réfléchissent sur la déontologie du métier de journaliste. […] Il vous revient d’organiser en quelque sorte les règles de votre profession, si nous ne voulons plus que tout puisse se valoir et qu’aucune hiérarchie ne soit faite. L’heure est sans doute venue pour votre profession de s’unir autour de principes fortement réaffirmés en un temps de fragilité démocratique. »

La mission a été confiée par Françoise Nyssen à Emmanuel Hoog, ancien président de l’AFP (2010-2018) et de l’INA (2001-2010). Depuis sa sortie de l’ENA en 1988, Emmanuel Hoog a fait carrière au ministère de la Culture sous Jack Lang et comme conseiller médias et culture auprès de Laurent Fabius. Il connaît donc parfaitement l’écosystème de l’information, non seulement en France, mais également à l’international.

Cette nouvelle autorité doit rassembler professionnels et grand public

En attendant de connaître le contenu exact de la lettre de mission, l’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI), qui mène depuis 2012 une veille reconnue sur les questions de déontologie journalistique, prend acte de cette avancée. Elle rejoint la conviction de l’ODI de la nécessité de créer une instance indépendante d’éthique et de médiation qui existe dans de très nombreux pays démocratiques (Angleterre, Allemagne, Suisse, Belgique, Canada, etc.) et qui est un des outils qui permettra au journalisme professionnel de regagner la confiance des citoyens.

Il n’y a en effet aucune raison que le « quatrième pouvoir » ne réponde pas de ses écarts. La sanction du droit existe pour les délits de presse. Mais pour les manquements déontologiques, le public n’a aucun recours. Ce pourrait être un « conseil de déontologie journalistique » ou « conseil de presse » : le nom usuel est conseil de presse, mais la Belgique a adopté celui de conseil de déontologie sans modifier la nature de la structure.

Mais cela ne doit être ni une autorité politique, ni une autorité administrative, ni une structure corporatiste ou un ordre professionnel. Ce n’est pas un tribunal des journalistes et des médias, mais une instance de médiation tripartite entre les médias et le public sur les questions déontologiques. Ce n’est pas le lieu d’une police de la pensée, puisqu’il ne s’intéresse qu’aux faits, pas aux commentaires, pas aux choix éditoriaux des rédactions.

Comme l’a démontré le rapport de Marie Sirinelli, « Autorégulation de l’information : comment incarner la déontologie ? », remis le 13 février 2014 au ministre de la Culture et de la communication, un conseil de ce type ne saurait être piloté par les pouvoirs politiques, même s’ils peuvent en être les instigateurs en créant les conditions de sa mise en place. Un tel conseil doit regrouper les journalistes, à travers leurs syndicats et associations, les entreprises de médias d’information et des représentants du public.

Marie Sirinelli concluait en soulignant que la majorité des acteurs concernés paraissent favorables, ou à tout le moins non opposés, à la création d’une instance. Cela est toujours vrai. Les pouvoirs publics peuvent donc inciter médias et journalistes à rejoindre une telle instance, notamment en conditionnant certaines aides à l’adhésion au conseil de déontologie ou en insérant dans les conventions passées avec les entreprises audiovisuelles l’obligation d’adhérer à ce conseil.

Qu’est-ce qu’un conseil de presse ?

De nombreuses fausses idées circulent sur les conseils de presse (CP). Il en existe une centaine dans le monde, le plus ancien ayant été créé en Suède en 1916. Dans l’Union européenne, 18 pays se sont dotés d’un conseil de presse (il y en a deux en Belgique). L’UE, le Conseil de l’Europe et l’OSCE incitent à la création de tels conseils dans les démocraties récentes des Balkans et de l’Est européen. Ces organisations internationales considèrent en effet que la liberté de pensée et d’expression, de communiquer et d’informer sont au cœur de la démocratie et doivent être préservées, mais que les citoyens doivent pouvoir dialoguer avec ceux qui les informent autrement que par des discours de haine.

Un conseil de presse est avant tout une protection pour les éditeurs et les journalistes : il défend la liberté éditoriale, qui dépend du directeur de publication, il respecte les choix éditoriaux, qui sont l’apanage des rédactions, il refuse toute intervention a priori en ne se prononçant qu’a posteriori sur des articles publiés ou des émissions diffusées, enfin, il est un rempart pour les rédactions et les éditeurs contre les pressions des pouvoirs et des lobbies.

Un conseil de presse est l’une des réponses à la crise de confiance du public envers les médias et aux tentatives de manipulation de l’information. En répondant aux interrogations du public sur les infox et autres fake news, il démarque ce qui ressort de l’information et ce qui est du domaine de l’expression libre mais non informative. Bien évidemment, il n’est pas une réponse unique, ni universelle.

Quel est son rôle ?

Un conseil de presse regroupe l’ensemble des éditeurs et des journalistes, tous médias confondus (presse écrite, radio, télévision, numérique) à l’échelle nationale, ainsi que des représentants des publics. Il est donc un organe professionnel d’autorégulation, indépendant de l’Etat, une instance de médiation et d’arbitrage entre les médias, les rédactions et leurs publics, enfin, une instance de réflexion et de concertation pour les professionnels et de pédagogie envers les publics.

Un conseil de presse n’est pas un ordre des journalistes, un tribunal de la pensée ou un instance de censure ; il n’est pas une instance étatique ou administrative. La création d’un conseil de presse en France permettra notamment que l’étude des questions déontologiques concernant l’information audiovisuelle lui soient confiées. Dans tous les Etats où coexistent un CSA et un CP, ces questions sont traitées par le conseil de presse.

Un conseil de presse est tripartite, composé de représentants des journalistes, des éditeurs et des publics. Ces représentants sont désignés par les communautés professionnelles ou par un comité indépendant, qui veille à assurer l’indépendance du conseil à l’égard des pouvoirs.

Un conseil de presse reçoit les plaintes du public ou peut s’autosaisir. Il rejette toutes les plaintes concernant la ligne éditoriale ou les choix rédactionnels, qui restent libres et demeurent l’apanage des rédactions sous l’autorité du directeur de publication. Il se retire lorsqu’une plainte est déposée en justice (diffamation, injure). Il instruit contradictoirement les plaintes jugées recevables, qui concernent le respect des pratiques professionnelles. Un conseil de presse ne prononce pas de sanctions pénales, financières ou autres, mais il publie ses décisions, sur son site et sur le site du média concerné, ce qui constitue une vraie sanction médiatique.

Un conseil de presse enfin permet de redonner un avantage qualitatif en termes de fiabilité et de confiance aux médias historiques en démarquant les informations professionnelles du tout-venant diffusé sur les réseaux sociaux et les plateformes. C’est un atout que les professionnels doivent saisir.

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