Que retenir de l’affaire Wirecard ?

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Fraude de grande ampleur, défaillance des autorités de supervision..., l'affaire Wirecard a marqué les esprits en 2020. Pierre-Gilles Wogue, associé du cabinet Altana, revient pour mind Fintech sur ce cas sans précédent dans l'histoire de la fintech européenne.
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Depuis longtemps déjà, Wirecard n’en finit pas de défrayer la chronique, pour le meilleur et si l’on peut dire, pour le pire. Première fintech allemande à entrer dans l’indice DAX30, l’équivalent allemand du CAC40 français, elle a aussi été récemment la première société de l’histoire de cet indice à connaître une procédure d’insolvabilité, le 25 juin dernier, à tel point que ce cas de figure n’avait pas été prévu par les règles d’organisation de cet indice. Le groupe avait pourtant fait l’objet de suspicions de fraude depuis plusieurs années, qui n’avaient toutefois pas enrayé la croissance fulgurante de sa capitalisation, encore bien supérieure à celle de son chiffre d’affaires.

Wirecard, fintech fondée en 1999 qui se présentait comme l’un des principaux fournisseurs internationaux de services d’externalisation et de solutions individuelles pour le traitement des paiements électroniques, et dont l’objet principal est de garantir des règlements en lignes en contrepartie d’un risque, s’est écroulée en juin 2020 après avoir révélé que la somme de 1,9 milliard d’euros inscrite à son bilan n’existait en réalité pas.

Diverses enquêtes sont aujourd’hui en cours sur l’origine des difficultés, et il est encore trop tôt pour connaître tous les détails et en tirer toutes les leçons. Néanmoins, certains ressorts fondamentaux de l’affaire sont désormais connus, et on peut anticiper qu’elle aura un impact majeur sur l’environnement juridique des fintech, et pas uniquement en Allemagne. Il serait en effet tentant de considérer cette affaire comme tellement exceptionnelle voire baroque qu’elle ne pourrait être en aucune manière généralisée aux autres fintech.

Même s’il est vrai qu’il ne s’agit pas de la première affaire de fraude de grande ampleur et que les cas de fraude se rencontrent dans toutes les activités, cette affaire marque sans doute une prise de conscience accrue au niveau européen des risques particuliers liés aux caractéristiques propres des fintech. Cette prise de conscience devrait entraîner la multiplication des initiatives de la part des autorités nationales et européennes. Au-delà de ces initiatives, cette affaire devrait également entraîner une nouvelle appréciation de la part des acteurs, fintech et investisseurs, de la relation entre valorisation et des critères extra-financiers, à commencer par les critères juridiques.

Des insuffisances mises en avant par l’ESMA

Parmi les différentes enquêtes sur l’affaire Wirecard, celle menée par l’ESMA (Autorité européenne des marchés financier), superviseur européen des investisseurs et des marchés financiers chargé de l’élaboration de règles techniques pour les marchés financiers et de supervision des régulateurs nationaux, est remarquable à plusieurs titres. Notamment parce qu’elle est la première à avoir donné lieu à la publication d’un rapport. Ensuite parce que dans son rapport, l’Autorité européenne critique ouvertement une autorité de supervision nationale et le cadre juridique dans lequel s’inscrit cette autorité. C’est plus précisément la manière dont les règles européennes en la matière ont été mises en œuvre qui est critiquée, à commencer par la directive transparence (directive européenne 2004/109), et les lignes directrices établies par l’AEMF. Cette directive introduit des règles minimales de transparence pour les informations périodiques des sociétés cotées.

L’ESMA note un certain nombre de griefs, tel qu’un manque d’indépendance de la BaFin à l’égard du Ministères des Finances, l’existence de conflits d’intérêts ayant conduit à ce qu’un nombre significatif d’employés de la BaFin procèdent à des opérations en Bourse sur l’action Wirecard, la délégation par la BaFin d’une partie essentielle de ses missions (dont un rôle essentiel en matière de contrôle de l’information) à une institution privée dans des conditions peu satisfaisantes (absence de clarification de leurs rôles respectifs en matière de fraude, et de communication entre elles). Même si cette critique du système allemand concerne l’ensemble des sociétés régulées par les autorités locales, le cas de Wirecard décortiqué par le rapport montre à quel point les fintech sont exposées en cas de défaillance du système de régulation.

On sait que les activités et actifs des fintech sont par nature dématérialisés. Elles présentent un business model typique des start-up à croissance rapide nécessitant des levées de fonds importantes pour financer la montée en puissance de leur exploitation et répondre aux contraintes réglementaires. Les levées de fonds reposent sur des critères (comme l’acquisition de nouveaux clients) susceptibles d’être décorrélés de notions de rentabilité. Les valorisations lors des levées de fonds sont influencées par celles observées lors des précédentes levées. La stratégie d’internationalisation accélérée des fintech contribue à rendre plus complexe leur valorisation.

La complexité est encore plus importante pour les fintech cotées dont la valorisation repose, entre autres facteurs, sur le bon fonctionnement des marchés financiers. L’affaire Wirecard montre que les fintech sont particulièrement exposées en cas de fraude concernant la valorisation des actifs. En effet, selon le rapport de l’administrateur de Wirecard, la valeur réelle des actifs de Wirecard ne dépassait pas 428 millions d’euros.

Parmi les recommandations, l’ESMA recommande davantage d’esprit critique de la part des autorités de supervision en présence de fortes variations de chiffres d’affaires, capitaux propres ou actifs incorporels. Elle préconise également de ne négliger aucune source d’information externe à la société cotée, y compris les informations en provenance des médias et investisseurs activistes.

La nécessaire harmonisation au niveau européen

Les dysfonctionnements du système de régulation allemand mis en évidence par le rapport de l’ESMA sont également la manifestation de la grande disparité des régimes juridiques applicables aux fintech au sein de l’Union européenne. Les autorités nationales et européennes ont fait le choix de ne pas mettre en place une réglementation transversale commune aux fintech. Par ailleurs, il existe au sein de l’Union de fortes disparités entre chacun des systèmes nationaux. Il faut dire que les fintech sont d’apparition récente. Les autorités recherchent le juste équilibre entre favoriser l’innovation dans le secteur financier qui ne doit pas être freinée par une réglementation inadaptée, et d’autre part assurer la protection des investisseurs et des clients des fintech.

Par ailleurs, la diversité d’activités des fintech est susceptible de leur permettre de combiner au sein d’un même groupe des activités réglementées et des activités non réglementées. C’est ce qu’a illustré l’organisation du groupe Wirecard, où la filiale bancaire n’était qu’une filiale parmi d’autres. De même, la diversité géographique du groupe lui permettait d’opérer dans et hors de l’Union. Et ce n’est sans doute pas un hasard si la fraude qui n’a pu être confirmée que tardivement se trouvait localisée au sein des filiales non européennes dont les activités ou actifs se sont révélés fictifs.

Les fintech peuvent au demeurant rechercher une forme d’optimisation réglementaire au sein de l’Union européenne en obtenant des agréments dans un Etat membre qui leur permet ensuite d’exploiter leur activité dans d’autres Etats de l’Union européenne grâce à l’obtention sous certaines conditions d’un passeport européen.

Préserver la confiance dans les fintech pour consolider leur développement

Il est probable que des réformes viendront renforcer la solidité des fintech face aux risques du type de ceux révélés par l’affaire Wirecard. En attendant qu’elles interviennent, avec toutes les difficultés qu’elles représentent, il est de l’intérêt des acteurs de se doter de leur propre dispositif de vigilance sans freiner pour autant l’innovation.

Même si l’impact est sans doute passager, l’affaire Wirecard a provoqué une relative perte de confiance relevée par certains observateurs à propos notamment des fintech allemandes. De ce point de vue également, les entreprises concernées sont d’autant plus vulnérables aux attaques des vendeurs à découvert (cf. Grenke). De manière générale, on sait que la confiance est un élément clef de l’activité financière fût-elle, notamment du point de vue des investisseurs mais aussi des clients. L’affaire Wirecard a aussi montré qu’il est possible de se doter d’outils d’évaluation qui dépassent les critères traditionnels de valorisation.

Intégrer des critères extra-financiers

Certains acteurs avaient en effet interprété des critères extra-financiers comme des signaux d’alerte de fraude, tels que l’investissement en recherche et développement de 100 millions d’euros annuels contre les 2 milliards de dollars dépensés par Paypal qui présentait un taux de marge deux foins moins important, ou un taux de croissance de l’EBITDA linéaire. D’autres avaient vu des indices dans les critères ESG, en particulier de gouvernance, tels qu’un conseil d’administration réduit avec peu d’informations sur les administrateurs et un reporting extra-financier très succinct. Par ailleurs, il existe une volonté des fintech d’afficher leur collaboration avec les autorités pour me mieux se distinguer des start-up.

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