Accueil > Financement et politiques publiques > Sérialisation : une obligation qui peine à convaincre Sérialisation : une obligation qui peine à convaincre Pour lutter contre la contrefaçon des médicaments, la Commission européenne a rendu obligatoire leur sérialisation pour ceux à Prescription Médicale Obligatoire (PMO). L’ensemble des acteurs de la chaîne doivent donc la mettre en place. Mais l’obligation est loin d’obtenir l’adhésion pleine et entière des pharmaciens, qui doivent pourtant se mettre en ordre de marche. Par Laure Martin. Publié le 31 août 2021 à 14h10 - Mis à jour le 01 septembre 2021 à 9h44 Ressources La sérialisation est entrée en vigueur le 9 février 2019, en application d’une directive européenne du 8 juin 2011. Objectif : se prémunir de la contrefaçon via un système de vérification de l’authenticité d’un médicament – principalement ceux à PMO – entre sa mise en distribution et sa dispensation au patient. Cette sécurisation de la chaîne de distribution implique à la fois les laboratoires pharmaceutiques, les distributeurs, mais aussi, en bout de chaîne, les pharmaciens hospitaliers et d’officine. Un organe de gouvernance au niveau européen, le European Medicine Verification Organisation (EMVO), gère la base de données européenne (ENVS) où se connectent les industriels. Le principe de la sérialisation Philippe Gendre, chef de projet sérialisation chez France MVO Ce système s’interconnecte avec les systèmes nationaux de vérification des médicaments (NMVS) au sein de chaque pays membre, sous la gouvernance d’un National Medicine Verification Organisation (NMVO), qui prend le nom de France MVO dans l’Hexagone. “C’est notamment pour renforcer la protection des données qu’il a été décidé de créer un organe national dans chaque pays, fait savoir Philippe Gendre, chef de projet sérialisation chez France MVO. Cela permet d’éviter de stocker les données de tous les pays dans un seul et même système.” Un identifiant unique via un data matrix La sérialisation consiste à apposer sur chaque boîte de médicament un identifiant unique, sous la forme d’un data matrix apposé sur la boîte, précise le Dr Bernard Dieu, représentant du Synprefh au Conseil d’Administration de France MVO. Il regroupe quatre informations : le Code Identifiant de Présentation (CIP), le numéro de lot, la date de péremption et le numéro de série. Avec cet identifiant unique, il est possible de distinguer chaque boîte de médicaments dans la base de données nationale. Il relève donc de la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques titulaires d’Autorisations de mise sur le marché (AMM) d’éditer ce numéro. “Mais ce ne sont pas forcément eux qui l’effectue, cela peut être un façonnier”, indique Renaud Delcroix, vice-président EMEA, Supply chain digitalization chez TraceLink. Cette entreprise génère les numéros de série à apposer sur les boîtes de médicaments pour le compte des laboratoires. Une traçabilité de bout en bout Les titulaires d’AMM doivent alimenter les bases de données européenne et française en y enregistrant les identifiants uniques des boîtes qu’ils commercialisent. À l’autre bout de la chaîne, les pharmaciens d’officine et des pharmacies à usage intérieur (PUI) doivent procéder à la vérification des médicaments et à la désactivation de l’identifiant unique, ce qui revient à désactiver la boîte. Pour cela, ils scannent le data matrix, puis à l’aide d’un logiciel connecté, vérifient l’information dans la base de données nationale et éventuellement dans les autres pays concernés par la distribution via l’ENVS. En cas de problème, une alerte se déclenche (lire encadré). Lutter contre la contrefaçon Dr Nicolas Coste, trésorier du SNPHPU et membre du CA de France MVO La mise en œuvre de cette obligation a eu des détracteurs notamment parce que la France est peu touchée par la contrefaçon de médicaments. “Néanmoins, l’Hexagone n’est pas à l’abri d’une modification des flux ou de la législation qui autoriserait de nouveaux circuits. Ce qui implique une maîtrise sur l’arrivée des médicaments dans le flux “, indique le Dr Nicolas Coste, trésorier du SNPHPU et membre du CA de France MVO. “Il faut lutter contre l’argument qui consiste à dire qu’il n’y a pas de contrefaçons car en réalité, on ne les a jamais cherchées, soutient Philippe Gendre. Et nous sommes aussi souvent sollicités par les autorités judiciaires qui saisissent des boîtes de médicaments volées. Principalement des médicaments sensibles utilisés pour la toxicomanie ou en psychiatrie mais aussi de médicaments très onéreux utilisés en cancérologie par exemple. C’est un préjudice pour les patients, les pharmaciens, les hôpitaux, les industriels, c’est-à-dire toute la société. Ils se retrouvent en dehors du circuit mais ils peuvent aussi y revenir sans aucun moyen de les identifier, sauf s’ils ont été précédemment désactivés.” De nouvelles contraintes pour les laboratoires et les pharmacies Cette obligation a contraint les laboratoires pharmaceutiques à prendre des mesures qui ont impacté leur chaîne de production. “Il a fallu s’équiper, rappelle Paul Mirland, chargé de projets industries au sein des Entreprises du médicament (Leem). Les laboratoires ont dû mettre en place des équipements dédiés sur leurs lignes de conditionnement, les qualifier, effectuer des tests, donc arrêter les lignes pour l’implémentation. Les conséquences, notamment opérationnelles, ont été importantes.” Moins de 3% des boîtes désactivées Paul Mirland, chargé de projets industries au sein des Entreprises du médicament (Leem) La prise en main de l’obligation de sérialisation par les autres acteurs de la chaîne a aussi impacté les laboratoires avec les alertes à traiter et à investiguer, même les faux positifs. “Aujourd’hui, ils sont dans une routine et attendent la montée en charge de l’activité car à ce jour, moins de 3% des boîtes sont désactivées. Nous sommes donc loin de l’obligation réglementaire”, indique Paul Mirland. Ce qui expose d’ailleurs la France à des sanctions de l’Union européenne. Faire du circuit du médicament une priorité Côté pharmacies, les pharmacies hospitalières sont décrites comme des “relativement” bonnes élèves. “Sur les 2500 PUI en France, 1700 environ sont connectés au système”, fait savoir Philippe Gendre. Mais cela ne veut pas dire que les PUI ne font pas face à des difficultés. “Comme toutes les obligations, la sérialisation devrait s’accompagner de moyens, estime le Dr Coste. Cette tâche n’a pas été suffisamment prise en compte par les directions d’hôpitaux, et n’a pas fait l’objet d’une étude, d’un financement ou d’un plan de démarrage pour bon nombre d’établissements.” “Le débat repose sur les priorités hospitalières et clairement, le circuit du médicament n’en est pas une”, confirme le Dr Dieu. Un process chronophage Pourtant, le process est également lourd pour les pharmaciens puisqu’il exige le scannage une à une de chaque boîte. Un investissement en temps, donc. Les processus de consolidation, qui permet de désactiver un carton entier de boîtes en scannant un code carton plutôt que toutes les boîtes une par une, permettrait d’accélérer la mise en œuvre de l’obligation. A ce jour, le process est autorisé pour les PUI, mais pas pour les officines, et il n’est pas généralisé. “Nous entendons l’attente des pharmaciens, reconnaît Paul Mirland. Aujourd’hui, nous pouvons la proposer mais elle n’est pas obligatoire et n’a pas d’intérêt du point de vue de la sécurité du patient. Nous ne souhaitons donc pas qu’elle le devienne car cela reviendrait à transférer la charge de cette obligation aux laboratoires et aux dépositaires.” Un contrôle qualité supplémentaire Christophe Couvreur, directeur d’activité Hospitalis Malgré tout, des externalités positives peuvent convaincre les établissements hospitaliers d’adhérer à la sérialisation. Elle ajoute par exemple un contrôle qualité supplémentaire au niveau du laboratoire ou du dépositaire. “De fait, le risque de litige à réception est amoindri”, explique Christophe Couvreur, directeur d’activité Hospitalis. Cette solution digitale proposée aux établissements hospitaliers orchestre les échanges commerciaux et logistiques avec les fournisseurs. Elle fournit également une solution de transport sécurisée pour le processus de consolidation. De même que le scannage des boîtes permet une gestion optimale des stocks. Sérialisation : des freins techniques et politiques Pour les officines, le respect de la sérialisation est plus difficile. L’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (Upso) place cette difficulté sur le compte notamment des éditeurs de logiciel. “Ils n’ont pas été très allants, certains n’étant opérationnels que depuis quelques mois”, soutient Gilles Bonnefond, conseiller au sein du syndicat. C’est aussi un enjeu politique qui s’est joué avec la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Elle a très rapidement affiché son opposition à la sérialisation qu’elle juge “inefficace et contraignante” tout en reconnaissant son caractère obligatoire. Seules 580 officines connectées à France MVS France MVO, l’Ordre des pharmaciens, et la société informatique de l’Ordre ont mis en place une simplification de la procédure pour créer un connecteur unique qui utilise l’infrastructure du réseau ordinal pour la connexion des officines. Mais aujourd’hui, sur les 21 000 officines seules 580 sont connectées à France MVS. Le ministère de la Santé a fixé comme objectif que d’ici à fin 2021, 100% des officines soient connectées. Connexions sécurisées et données protégées Qu’en est-il de l’usage des données ? A l’échelle nationale, chaque NMVO a la charge de vérifier les droits d’accès pour la connexion au serveur permettant de désactiver les boîtes de médicaments. “La procédure administrative conduit à la mise en place d’un système d’authentification forte”, indique Philippe Gendre. Qui est propriétaire des données ? En parallèle, d’un point de vue juridique, le règlement délégué (UE) sécurise la procédure et prévoit que celui qui crée les données en est le propriétaire. “Dès lors, les données chargées par les laboratoires leur appartiennent. De même que lorsque l’utilisateur final a désactivé une boîte, il devient propriétaire des données de désactivation”, souligne Philippe Gendre. Aucun lien n’est donc effectué et enregistré entre les boîtes et les patients. L’entreprise TraceLink sauvegarde de son côté les numéros de série pendant environ 12 ans sur un cloud. Elle assure également l’envoi des données au hub européen. “Les laboratoires peuvent uniquement savoir quel numéro de série a été désactivé, rapporte Renaud Delcroix. Mais ils ne savent pas où ce numéro de série a été désactivé, ni pour quel patient la boîte de médicament a été dispensée.” La confidentialité des données Côté informatique, l’architecture du système ne permet pas aux industriels de savoir par qui une boîte de médicaments a été désactivée. Seule France MVO peut disposer de cette information et uniquement en cas d’alerte. En revanche, en France, l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) peut lever la confidentialité de l’information pour mener des investigations dans trois cas de figures : les problèmes de contrefaçon, de remboursement et de pharmacovigilance et de pharmaco-épidémiologie. Enfin, au niveau contractuel, les conditions générales d’utilisation prévoient la protection des utilisateurs finaux. “France MVO doit tout mettre en œuvre pour la protection des données personnelles et de sérialisation”, explique Philippe Gendre. Si le laboratoire souhaite entrer en contact avec l’utilisateur final chez qui l’alerte a été déclenchée, France MVO doit détenir l’accord écrit de l’utilisateur pour lever son anonymat. Trois types d’alertes A ce jour, le taux d’alerte en France est dans la médiane européenne. “Entre 0,2 et 0.5 % des boîtes scannées”, fait savoir Philippe Gendre. En dehors des problématiques de contrefaçons, il existe trois grands types d’alerte. L’industriel qui aurait oublié de charger le lot, donc de transmettre toutes les données dans l’EMVS. Une problématique qui se règle en général dans la journée par un chargement, aussitôt l’industriel informé. Des problèmes informatiques chez les utilisateurs finaux en absence de contrôle qualité régulier. “Trois éléments sont à prendre en compte, explique Philippe Gendre. Le scanner, la transmission entre le scanner et le logiciel, puis le logiciel. Lorsqu’on est sur l’acquisition de données, le problème est réel car il relève de la responsabilité du pharmacien de s’assurer que l’utilisation du logiciel est optimale pour un bon usage de l’outil, ce qui n’est pas nécessairement effectué et aboutit à de fausses alertes.” Un problème de process ou d’organisation. Une définition insuffisante du rôle de toutes les parties prenantes lors du scannage des boîtes engendre des erreurs. Les boîtes peuvent alors être scannées deux fois sur un même lieu ou par plusieurs acteurs dans la chaîne de distribution. Laure Martin Données de santéLaboratoiresLegislationMédicamentPharmacieSérialisationTraçabilité Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Étude de cas Comment Meditect a peaufiné sa solution de traçabilité du médicament avec UPSA 21,1 % des boîtes de médicaments sérialisées en France Jean-Philippe Authier (Servier) : Sur la sérialisation, "le projet a pris une dimension informatique de grande ampleur"