Accueil > Financement et politiques publiques > Les start-up françaises de la e-santé ont levé 929,4 M€ en 2021 Les start-up françaises de la e-santé ont levé 929,4 M€ en 2021 En 2021, plusieurs levées de fonds supérieures à 100 M€ ont eu lieu dans le secteur, qui attire désormais de grands investisseurs Corporate et étrangers. Le segment se structure dans un contexte de digitalisation inévitable de la santé. Quelles start-up ont levé le plus de fonds ? Quels investisseurs se sont montrés les plus actifs ? Par Valérie Moulle avec Aymeric Marolleau. Publié le 24 janvier 2022 à 8h00 - Mis à jour le 07 novembre 2023 à 17h10 Ressources Les fonds levés par les start-up françaises de la e-santé ont atteint 929,45 millions d’euros en 2021, selon nos estimations, contre 391,4 M€ en 2020, une année il est vrai impactée par la crise du Covid-19. 58 sociétés ont collecté des fonds en 2021. Parmi elles, quatre jeunes pousses ont franchi la barre des 100 M€, lors de refinancements : Owkin (159 M€), Alan (150 M€), Dental Monitoring (150 M€) et eCential Robotics (100 M€), les trois premières devenant des licornes. Derrière ce trio de tête, trois entreprises ont levé au moins 40 M€ : Lifen (50 M€), Quantum Surgical (40 M€), Egle Therapeutics (40 M€) et ReLyfe (40 M€) ; seule cette dernière réalisait sa première levée. Enfin, la fourchette des levées se situe entre 20 M€ et 30 M€ pour Volta Medical et Hublo. A elles seules, ces sociétés représentent 83 % des levées de fonds du secteur en 2021. Année par année, les principales levées de fonds des start-up de l’e-santé Dans le détail, ces start-up appartiennent à 14 catégories différentes. La plus représentée est Télémédecine & télésuivi, avec 17 représentantes. Un segment attractif Pour autant, en dépit de ces chiffres encourageants, le ticket médian, à 2,5 M€, est légèrement inférieur à celui de 2020 (2,6 M€). De plus, le montant total des tours (929,4 M€) représente 8 % des sommes levées au global par l’ensemble des start-up de la French Tech (11,6 Md€, contre 5,4 Md€ en 2020, selon le bilan 2021 du baromètre EY du capital-risque en France), un pourcentage légèrement supérieur à celui de 2020 (7,3 %). Amaury Martin (Institut Curie) : “Les start-up issues de l’Institut Curie ont levé 148 M€ en 2021” De fait, les sociétés de la Tech attirent de plus en plus les fonds de Growth Equity, notamment étrangers, et la santé (dont la e-santé) suit ce mouvement : “Il y a une attractivité nouvelle pour ces sociétés, mais dans une mesure qui reste moindre que dans la Tech“, pointe Franck Sebag, associé chez EY. Ainsi, avec trois tours supérieurs à 100 M€ (DNA Script, Dental Monitoring et eCential Robotics) sur 23, tous secteurs confondus, la part de la e-santé reste relativement faible (EY intègre DNA Script mais pas Alan dans son champ d’analyse). Pour autant, ces levées signent un changement de dimension du secteur, dans un contexte d’abondance de liquidités investies en France. “Quand vous avez un renforcement de la reconnaissance de l’attractivité d’un écosystème, tous les secteurs en tirent parti. Celui de la Tech en a bénéficié plus tôt et continue à croître. La santé en général grandit aussi vite que tout le segment, mais ne pèse que 20 % de l’ensemble des investissements en France“, précise Franck Sebag. En outre, au niveau mondial, les montants levés en France en e-santé restent modestes : selon le fonds américain Rock Health, 29,1 Md$ ont ainsi été levés en 2021 (14,9 Md$ en 2020) dans la santé numérique aux États-Unis, via 729 deals (484 en 2020), soit une valeur moyenne de près de 40 M$ (31 M$ en 2020) par opération. Structuration du marché En 2021, la structuration du marché français s’est renforcée, avec diverses mesures d’accompagnement, dont le Dispositif santé numérique de Bpifrance, lancé fin 2020 et que 12 sociétés ont intégré en 2021. De même, PariSanté Campus a été officiellement inauguré en décembre 2021, avec 32 entreprises hébergées, Future4Care (accélérateur européen de start-up en santé digitale fondé par CapGemini, Generali, Orange et Sanofi) a vu le jour avec 22 entreprises accompagnées, et la Coalition Next a clôturé son deuxième appel à projets. Ces initiatives amènent du flux et contribuent à faire monter les start-up en qualité. Elles facilitent aussi les partages d’expérience et la mise en place de pratiques communes. “Une bonne coordination des acteurs de l’écosystème nous permet de comprendre la compétition, d’avoir une vue globale du marché. Elle est également clé pour aider au mieux l’entrepreneur à grandir. Or, le temps va être précieux. L’accélération sera un enjeu majeur et passe aussi par des agrégations intelligentes pour créer plus rapidement des licornes“, explique Chahra Louafi, directrice du fonds Patient Autonome de Bpifrance, qui participe à différents jurys (Future4Care, Talents de la e-santé de la Direction du Numérique en Santé, comité d’éthique de la Coalition Next, etc.). Catherine Boule (Karista): “En santé digitale, les projets doivent avoir au moins un rayonnement européen pour se valoriser très cher” De fait, en santé numérique, le blocage principal est l’accès au marché, qui nécessite un savoir-faire particulier, dans chaque pays. La consolidation peut aider à réduire le risque et accélérer le développement international. Pour Géraldine Welter, directrice adjointe du département Transition numérique de la direction de l’investissement au sein de la Banque des Territoires, l’offre pléthorique de solutions émergeant sur le marché ne manquera pas d’entraîner un mouvement de consolidation, de nombreux acteurs étant positionnés sur des domaines similaires. Elle pointe aussi un autre phénomène sur le secteur : “aujourd’hui, il y a beaucoup de liquidités, des valorisations élevées, parfois déconnectées des fondamentaux des entreprises, et il est probable qu’il y aura à un moment des phénomènes d’atterrissage un peu violents pour certaines sociétés.“ Des fonds variés Les fonds investissant dans la e-santé demeurent variés. “Pour les entreprises qui allient Tech et santé, on retrouve aux tours de table des fonds Tech et des “pure players”. C’est une spécificité de la e-santé du fait d’un besoin de compétences diverses“, explique Franck Sebag. En 2021, si la taille des tours a évolué, ces deux types de fonds ont continué à investir. “Aucun leadership ne ressort, mais de gros Corporate français (Sanofi et Mérieux) ont investi dans Owkin et Dental Monitoring. C’est une tendance assez récente et une bonne nouvelle pour l’innovation française“, souligne-t-il. De même, les investisseurs étrangers jouent un rôle important pour aider les jeunes entreprises à se développer rapidement au-delà de leur marché domestique. “Ce sont de vrais relais pour pénétrer des marchés étrangers. La passerelle se fait également par les fonds“, précise Chahra Louafi. Selon nos constats, hors business angels, 57 investisseurs différents ont participé aux tours de table des start-up de la e-santé en 2021. 12 d’entre eux ont pris part à plus d’une opération. Comme l’an dernier, Bpifrance a été particulièrement actif dans l’e-santé, participant à 11 opérations, notamment via ses fonds Patient Autonome, Digital Venture et Large Venture (voir encadré). Un secteur en croissance Dans les années à venir, la e-santé devrait poursuivre son essor. “Nous n’allons pas avoir le choix. Les coûts de santé explosent et il faut mener la transformation du système de santé pour gagner en efficacité, en efficience. Cela passe notamment par l’innovation en santé numérique“, pointe la directrice du fonds Patient Autonome. La e-santé est aussi un axe stratégique pour la Banque des Territoires, du fait de la problématique de plus en plus prégnante des déserts médicaux. “Nos clients, qui sont les élus locaux et les collectivités territoriales, sont en première ligne dans ces situations et nous ne pouvons pas rester inactifs“, indique Géraldine Welter. Nicolas Touboulic, Managing Partner chez Impact Partners Iberica, note de son côté un engouement des praticiens et des patients autour de ce secteur, avec une réelle demande sur ce marché pas encore mature : “il reste beaucoup de solutions à apporter. Le secteur a encore besoin de s’équiper et de trouver les bons moyens de fonctionner.” Il évoque un cercle vertueux : le marché va être poussé par des initiatives publiques, qui vont conduire à des créations d’entreprises qui, à leur tour, contribueront à accroître l’intérêt des investisseurs. Enfin, d’un point de vue macroéconomique, un constat s’impose. “Globalement, au niveau du M&A, la plupart des sociétés de Tech s’intéressent au secteur de la santé et de la e-santé comme relais de croissance car, demain, la santé dépendra des données. Grâce aux data, il sera possible d’améliorer la prédiction et donc de faire du préventif plutôt que du curatif, note Franck Sebag. Ceux qui auront les systèmes auront les capacités de mieux interagir avec les futurs patients et de mieux “pricer” les assurances.“ Bpifrance : Patient Autonome, un fonds dédié Au sein de Bpifrance, le fonds Patient Autonome (qui est passé de 50 à 100 M€ en 2021), d’une durée de 10 ans, investit à 100 % dans la santé numérique. D’autres fonds, comme Large Venture, peuvent accompagner le marché avec des tickets plus importants. En seed, les tickets de Patient Autonome démarrent à 500 000 euros et peuvent atteindre 8 M€ en cumulé. Le fonds investit dans des solutions différenciantes, avec des stratégies variées : en seed dans les thérapies digitales, en série A ou B dans les innovations de parcours de soins (télémédecine, etc.), en série A ou B dans les innovations numériques (organisationnelles, etc.). Son objectif est d’occuper l’ensemble de la chaîne de valeur. Banque des Territoires : des investissements principalement en série A Les investissements en santé numérique relèvent du département transition numérique, au sein de la direction de l’investissement. Ils sont nés avec la crise du Covid et reposent sur 5 axes stratégiques (accès aux soins et résorption des déserts médicaux, amélioration du parcours de soins, accompagnement de la transition numérique des établissements de santé, gestion de la data dans le domaine de la santé, dispositifs d’aide à la décision pour les professionnels de santé), avec une vigilance particulière : maintenir une présence humaine ou un service associé de qualité à l’outil numérique. Une enveloppe de 72 M€ sur 4 ans est dédiée à ces investissements, réalisés principalement en série A, avec des tickets en primo-investissement de 500 K€ à 3 M€. En série B, ils sont compris entre 3 et 5 M€. L’investissement est toujours minoritaire, sur 5 à 7 ans. La présence au board des sociétés est systématique. En 2021, la Banque des Territoires a investi dans Rofim, Semeïa, TokTokDoc et Kiplin. Elle a aussi investi 20 M€ dans le fonds Patient Autonome de Bpifrance. Impact Partners : des expertises en France et en Europe Historiquement, la thèse d’investissement d’Impact Partners est de réduire les inégalités dans l’accès à l’éducation, au travail et aux soins. Les investissements en e-santé ont démarré avec la 4ème génération du fonds Impact Croissance, lancé en mars 2020 et doté de 150 M€. Son portefeuille est désormais composé de 12 entreprises dont 4 en e-santé, secteur dans lequel environ 18 M€ ont été engagés, avec des tickets moyens de 5 M€. Le fonds investit dans des entreprises en croissance, en fin de série A ou début de série B, jusqu’à 15 M€ en cumulé par société, avec des tickets initiaux de 2 à 8 M€. Souvent investisseur principal, Impact Partners entend apporter réflexion stratégique et conseil aux entrepreneurs. En France, il a investi dans WeFight et 360 Medics en 2021. Il participe aussi à des levées de fonds en Espagne, en Allemagne et au Danemark via ses Partners locaux, fins connaisseurs des marchés sur lesquels ils opèrent. BADGE : des investissements en amorçage L’association des Business Angels des Grandes Ecole (BADGE), créée en 2004, est un des 1ers réseaux de Business Angels en France. Elle comprend 320 membres qui, selon leurs expertises, s’impliquent dans le sourcing, l’analyse, la sélection et l’instruction des dossiers. Environ 35 % de ses investissements concernent la santé. Dans la santé numérique, le réseau a participé à 4 levées de fonds en France, en 2021 : Imageens, Kinvent, Omini et WeFight. Les investissements se font en amont des séries A. Le ticket moyen est de 10 K€ par membre mais peut être plus élevé : pour le 2nd tour de Kinvent, le réseau a apporté 560 K€. Chaque membre investit directement et individuellement et peut réinvestir dans les tours suivants. L’objectif du réseau est d’accompagner les porteurs de projet. Pour Jacques Tamisier, Président de BADGE, la e-santé est un secteur où la possibilité d’enregistrer du chiffre d’affaires est plus rapide que dans d’autres secteurs de la santé (Biotech, Medtech…) et où les sorties peuvent aussi être plus rapides. Consultez la présentation des start-up qui ont levé des fonds l’an dernier dans notre tableau : Quelles start-up ont levé le plus depuis leur création ? Owkin a donc levé 227 millions depuis sa création en sept opérations, Alan 275 millions en cinq opérations. La e-santé française compte désormais neuf start-up qui ont levé plus de 50 millions d’euros depuis leur création, contre sept fin 2020. Avec 275 millions d’euros levés au total depuis 2016, Alan a dépassé Doctolib l’an dernier. Méthodologie Notre baromètre annuel des levées de fonds par les start-up de la e-santé ne prend en compte que les opérations qui ont été annoncées publiquement. Depuis 2018, outre les levées de fonds de sociétés non cotées, nous avons également pris en compte les augmentations de capital des sociétés cotées en bourse (Pixel Vision par exemple), ainsi que les levées de fonds à l’occasion des IPO. Si des levées de fonds ont échappé à notre vigilance, n’hésitez pas à nous le signaler : redaction@mindhealth.fr Crédits : Rédaction, interviews, qualification des start-up : Valérie Moulle Analyse data et dataviz : Aymeric Marolleau Valérie Moulle avec Aymeric Marolleau Fonds d'investissementLevée de fonds Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Le suivi des levées de fonds des start-up de l'e-santé Les fonds d’investissements actifs dans la santé numérique en France Start-up de la e-santé : près de 400 M€ levés en 2020, en France Dossier [Étude exclusive mind Health] Quels industriels se sont le plus emparés des technologies numériques dans leurs essais cliniques ?