Accueil > Parcours de soins > Iatrogénie et conciliation médicamenteuse, une course de fond pour l’innovation Iatrogénie et conciliation médicamenteuse, une course de fond pour l’innovation La iatrogénie médicamenteuse, responsable de nombreuses hospitalisations et décès chaque année, est un phénomène complexe à endiguer. L’essor de logiciels et de solutions innovantes offre aux professionnels de santé et aux patients des moyens pour mieux monitorer les effets indésirables et améliorer la conciliation médicamenteuse. Par Clarisse Treilles. Publié le 18 avril 2023 à 23h00 - Mis à jour le 22 avril 2024 à 17h06 Ressources En dépit d’une vigilance accrue des pouvoirs publics et des professionnels de santé, la iatrogénie médicamenteuse est un phénomène complexe à maîtriser et à endiguer. Ce phénomène est encouragé par plusieurs facteurs, comme les prescriptions inappropriées, la nature imprévisible des interactions médicamenteuses, et le vieillissement de la population dans son ensemble. La iatrogénie médicamenteuse est responsable de près de 200 000 hospitalisations chaque année, selon l’étude Iatrostat (récemment publiée) du réseau des centres régionaux de pharmacovigilance. L’étude, qui a été conduite en 2018, révèle que les accidents iatrogènes sont en augmentation près de dix ans après le rapport national sur la surveillance et la promotion du bon usage du médicament de Bernard Bégaud et Dominique Costagliola. Parmi les 3 648 patients d’établissements publics hospitaliers intégrés dans l’étude Iatrostat, 8,5% d’entre eux étaient hospitalisés en raison d’un effet indésirable médicamenteux. En outre, le taux de mortalité après une hospitalisation pour un effet indésirable médicamenteux est estimé à 1,3%. Les personnes âgées, plus concernées par la polymédication, sont particulièrement à risque. Selon l’étude Iatrostat, la proportion d’hospitalisations est de 10,6% chez les personnes âgées de 65 ans et plus (contre 3,3% chez les enfants). Par ailleurs, un article paru dans le National Institutes of Health montre que la prévalence globale des prescriptions potentiellement inappropriées est estimée à 56,7% chez les personnes de 65 ans et plus. Clément Goehrs, CEO de Synapse Medicine “C’est un immense problème de santé publique” constate Clément Goehrs, ancien médecin de santé publique à l’origine du projet Synapse Medicine en 2017 aux côtés de Louis Létinier et d’Alicia Bel-Létoile. L’effet indésirable lié à la prise d’un ou plusieurs médicaments peut être évité dans 16,1% des cas, estiment les auteurs de l’étude Iatrostat. Différentes instances sont d’ailleurs mobilisées pour contrer ce phénomène, à commencer par la Haute autorité de santé (HAS), à travers des séries d’actions visant à encourager le signalement d’événements sanitaires indésirables, ou encore l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui dispense des conseils pratiques en pharmacovigilance. L’ABUM : la force du collectif L’Association Bon Usage du Médicament (ABUM) réunit médecins, pharmaciens, éditeurs de logiciels, patients, industriels et assureurs. L’association “est née de l’idée que la collaboration des différents acteurs de la chaîne du médicament permettra de faire bouger les lignes le plus efficacement en matière de lutte contre le mauvaise usage du médicament” déclare son président, Éric Baseilhac. L’association informe le public et les professionnels sur le bon usage du médicament. Elle consacre une partie de son activité à la mise en lumière des innovations qui vont dans le sens d’un meilleur usage du médicament. Un comité des innovateurs, composé de praticiens pluridisciplinaires, est notamment chargé de dénicher et de mettre en valeur des projets innovants pertinents. Éric Baseilhac, président de l’ABUM Informatiser la prescription Dans la pratique, l’informatisation de la prise en charge médicamenteuse a fait du chemin. Elle contribue à lutter contre la iatrogénie médicamenteuse, comme l’a souligné Rémy Collomp, pharmacien au CHU de Nice, intervenant lors des Journées nationales du numérique à l’hôpital le mois dernier. Selon lui, “l’informatisation arrive avec la sécurisation des prescriptions”. Les logiciels d’aide à la prescription (LAP) et à la dispensation (LAD) facilitent l’accès aux dossiers patients et aux informations relatives aux traitements. Pour fonctionner, ces logiciels intègrent des systèmes d’aide à la décision indexée par médicament (SAM) et sollicitent d’immenses bases de données sur les médicaments, régulièrement mises à jour, telles que l’ANSM, Vidal, Thériaque et Claude Bernard. Le groupe Vidal, qui génère historiquement de la connaissance médicamenteuse, entend “mettre intelligemment sa base de données en action”, explique le Dr Thierry Mitouard, en charge des solutions intégrées chez Vidal. “La problématique, aujourd’hui, c’est de se demander comment la connaissance peut engendrer de l’action positive. Le problème fondamental, c’est le rapport entre le signal et le bruit. Nous avons besoin de rassembler beaucoup d’informations détaillées avant de pouvoir extraire celle qui va être pertinente pour prendre la bonne décision au bon moment”, analyse le Dr Thierry Mitouard. Au fil du temps, Vidal s’est diversifié dans les services et API (sécurisation des médicaments, appréciation du risque, etc.) au service des éditeurs de logiciels, professionnels de santé et patients. La technologie de Vidal a ainsi vocation à s’intégrer dans les logiciels métiers de plus en plus sophistiqués, qui regroupent dans un seul workflow les informations utiles à la prise de décision. Des briques d’innovation Emmanuel Bilbault, CEO de Posos Pour analyser toutes les données disponibles, de nouveaux acteurs ont émergé ces dernières années. Les start-up se lancent dans la lutte contre la iatrogénie avec des solutions d’intelligence artificielle consacrées à la recherche de conciliation médicamenteuse et à la personnalisation des traitements. L’une d’entre elles, Posos est spécialisée dans la prescription médicale. Sa solution se branche aux LAP pour apporter “l’aide à la décision qui manque pour sécuriser la prescription médicale” explique Emmanuel Bilbault, CEO de Posos. “Les logiciels qui existent aujourd’hui sont devenus des réceptacles d’informations et des générateurs d’alertes qui polluent le parcours de soin du médecin”, constate-t-il, comparant Posos à un “GPS pour la prescription”. Posos connecte à l’aide d’un graphe de connaissances les médicaments et leurs compatibilités, les pathologies traitées, ainsi que les terrains incompatibles pour les patients. Si les requêtes sont “sans limite”, assure Emmanuel Bilbault, les fonctionnalités déployées ont pour but de “faire gagner du temps aux professionnels tout en réduisant les sources d’erreurs courantes, dans la retranscription et les interactions médicamenteuses notamment”. Posos est compatible pour l’heure avec les logiciels hospitaliers et devrait prochainement intégrer les LAP en ville et les logiciels de gestion d’officine (LGO). Posos lance deux études en parallèle cette année, portant respectivement sur les EHPAD et les urgences, deux secteurs où les risques iatrogènes sont élevés. Au-delà de l’impact clinique, l’enjeu de ces études est de démontrer l’impact organisationnel et médico-économique du dispositif médical. “Jamais un logiciel n’a prouvé qu’il permettait à un médecin de mieux soigner, et encore moins qu’il y avait des impacts médico-économiques pour l’établissement. Ce sont des preuves très importantes” souligne Emmanuel Bilbault. Frédéric Dayan, CEO d’ExactCure Pour Frédéric Dayan, cofondateur et CEO d’ExactCure, ces solutions doivent aussi être pensées comme “des briques” qui s’intègrent aux systèmes existants. ExactCure développe une solution de santé pour un bon usage du médicament basé sur un jumeau numérique qui simule la concentration des médicaments dans le sang d’un patient en fonction de ses caractéristiques personnelles. “Notre stratégie de marché est de nous intégrer à d’autres acteurs, à l’hôpital ou en ville, et pourquoi pas, dans quelques années, à des acteurs comme Google” ambitionne Frédéric Dayan. La solution d’ExactCure a récemment remporté un concours organisé par Philips, pour intégrer la plateforme Philips HealthSuite qui gère les analyses médicales et les dossiers patients. Du côté de Synapse Medicine, Clément Goehrs confirme que “les professionnels veulent des outils cohérents, fluides, qui s’intègrent avec leur logiciel métier”. Sur l’aide à la prescription, les modules de Synapse Medicine vont, par exemple, se brancher directement dans les logiciels métiers. Sur la partie conciliation et télésurveillance, ils sont interopérables avec la quasi-totalité des logiciels hospitaliers. Nous n’avons pas encore de recul suffisant pour connaître les progrès réalisés grâce à nos solutions. À minima, cela fait bouger les lignes au niveau de la perception sur la iatrogénie. Frédéric Dayan, CEO de Posos Concilier et apprendre À la différence de Posos et d’ExactCure, Synapse Medicine a opté pour une approche plus généraliste de la gestion des risques, anticipant des besoins à différents échelons du parcours de soin. “Chez Synapse Medicine, notre position est d’aider l’ensemble des professionnels de santé et des patients concernant l’usage du médicament et d’être à chaque endroit où on a besoin de nous. Aujourd’hui, nous sommes présents en prescription en ville, en délivrance à l’hôpital avec la pharmacie clinique, la conciliation médicamenteuse et maintenant la télésurveillance, ainsi qu’auprès des patients”, indique Clément Goehrs. Des partenariats se concrétisent autour des différentes spécialisations. L’hôpital de la Pitié-Salpêtrière fait notamment appel à Synapse Medicine pour co-construire son outil numérique de conciliation médicamenteuse. Des centres de lutte contre le cancer collaborent également avec la start-up, à l’image de l’institut Gustave Roussy, pour prévenir des risques médicamenteux. Avec l’essor des anticancéreux oraux, Synapse Medicine veut consacrer une partie de ses activités à la télésurveillance en oncologie. “Le but est de suivre les patients, pour qu’ils puissent monitorer leurs effets indésirables. Ces informations sont stockées et mises à disposition des équipes de soins qui coordonnent les échanges. Nous allons générer des alertes, afin que les équipes de soins puissent être les plus réactives possibles” détaille Clément Goehrs. Comme Synapse, ExactCure fait également de la conciliation un axe majeur de sa stratégie. “Nous réfléchissons à proposer une version premium de nos solutions pour faire de la conciliation médicamenteuse. Nous voulons promouvoir un service basé sur les professionnels de santé, qui seraient formés à notre solution et pourraient l’utiliser vers des patients ou d’autres professionnels de santé afin d’optimiser les ordonnances” annonce Frédéric Dayan. ExactCure s’est inspiré de Tabula Rasa HealthCare. Dans une étude menée auprès de patients Medicare, cette société américaine a démontré que l’emploi d’une solution numérique par des opérateurs humains pour suivre les patients dans la conciliation médicamenteuse était efficace et permettait de diminuer le taux de mortalité de 2% chez des patients âgés. Pour mener à bien ce projet, ExactCure envisage de travailler avec des patients atteints de maladies chroniques, dont la vie médicamenteuse s’avère “complexe”, indique Frédéric Dayan. En dépit de ces étapes franchies, Frédéric Dayan estime que l’innovation dans l’ensemble est loin d’avoir fait ses preuves en matière de lutte contre la iatrogénie. “Nous n’avons pas encore de recul suffisant pour connaître les progrès réalisés grâce à nos solutions. À minima, cela fait bouger les lignes au niveau de la perception sur la iatrogénie”, dit-il. Du même avis, le Dr Thierry Mitouard constate que “beaucoup de progrès restent à faire” dans ce domaine, même si “une dynamique favorable à tout le monde s’est enclenchée”. Enfin, Éric Baseilhac insiste sur la portée didactique de ces nouveaux outils numériques. “Il faut inviter les médecins à se reposer régulièrement la question de la pertinence des traitements, et à réviser éventuellement leur ordonnance, sans pour autant envoyer des alertes intrusives.” Clarisse Treilles Données de santéInnovationMédicamentOutils numériquesPatientstart-upStratégie Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Start-up à la loupe ExactCure : le médicament au plus près du patient Posos lève près de 10 M€ pour simplifier et sécuriser la prescription médicale Partenariat entre Calimed Santé et Synapse Medicine pour sécuriser les prescriptions