Accueil > Industrie > Sandra Mahamadaly (Novartis) : “L’IA nous permet d’être plus intelligent dans notre manière d’évaluer, mais c’est l’homme qui prend la décision finale” Sandra Mahamadaly (Novartis) : “L’IA nous permet d’être plus intelligent dans notre manière d’évaluer, mais c’est l’homme qui prend la décision finale” En septembre 2024, Novartis a signé un partenariat avec Generate Biomedicines. Il s’agit du troisième partenariat conclu cette année par le laboratoire suisse centré sur l’intelligence artificielle et le développement de nouvelles solutions thérapeutiques. Sandra Mahamadaly, directrice des opérations cliniques de Novartis France, détaille à mind Health les pistes que le laboratoire explore pour accélérer le développement de médicaments. Par Coralie Baumard. Publié le 22 octobre 2024 à 22h30 - Mis à jour le 22 octobre 2024 à 16h09 Ressources Quel rôle joue aujourd’hui l’intelligence artificielle dans le développement de médicaments ? Je pense que nous sommes tous alignés pour dire que l’intelligence artificielle (IA) prend de plus en plus de place dans le développement. Aujourd’hui, l’IA peut intervenir à différentes étapes, de la découverte de la cible au développement et à la conduite elle-même de l’essai. Nous avons maintenant un panel de possibilités qui draine tout le développement de la vie du produit. Concernant l’identification des cibles ou des solutions thérapeutiques, des plateformes d’intelligence artificielle nous permettent de modéliser une molécule pour identifier si elle aura un effet sur une cible liée à une pathologie spécifique. Si nous avons déjà une solution thérapeutique existante, via ces plateformes, nous pouvons découvrir si elle correspond à une nouvelle cible (repositionnement de molécules, ndlr). Cela va vraiment dans les deux sens, ces plateformes nous ouvrent un nouveau champ en nous permettant d’identifier des signaux non identifiables par le passé. Quel est son apport concernant la conduite des études ? L’IA nous aide à affiner notre prise de décision lors de la conduite des études. Une fois nos cibles identifiées, comment pouvons-nous avancer plus rapidement dans le développement des molécules ? Avec les jumeaux numériques, les populations virtuelles, les études intégrant un bras réel et un virtuel, c’est sur la méthodologie et le design de l’essai que l’IA va nous permettre d’accélérer et d’affiner notre prise de décision. Cela nous permet également de diminuer les contraintes subies par le patient dans le cadre des essais cliniques. L’objectif final est vraiment double. Si l’IA nous apporte énormément d’un point de vue business, ses apports pour le patient sont également considérables, car accélérer signifie mettre à disposition des traitements plus rapidement. L’IA est également présente dans les outils qui nous accompagnent dans la conduite de l’essai. Nous intégrons, par exemple, des données de vie réelle à des plateformes d’intelligence artificielle afin d’émettre des recommandations sur les centres qui présenteraient un intérêt en fonction de la pathologie ciblée, de la chronologie de l’étude mais également de l’investigateur, en s’intéressant à la population que ce médecin draine, par exemple. Les données synthétiques sont-elles l’avenir des essais cliniques ? Nous avons aussi des recommandations sur la rédaction des protocoles. Aujourd’hui, ces outils intègrent des modèles de différents laboratoires, des éléments réglementaires, ils peuvent nous aider à rédiger des protocoles en fonction des attendus d’un pays. Pouvez-vous déjà mesurer concrètement cette accélération? Les partenariats réalisés par Novartis dans ce domaine datent de 2024. Nous sommes trop en amont pour avoir des chiffres concrets concernant cette accélération. Avec quelles entreprises avez-vous noué ces partenariats ? Novartis a noué trois partenariats avec Deciphex, Isomorphic Labs et Generate Biomedicines. Chacune des plateformes ayant sa spécificité. Celle d’Isomorphic Labs est capable de prédire la structure des molécules, de la modéliser. Cela nous permet de faire correspondre notre structure modélisée avec différentes cibles, pour identifier les interactions efficaces, qui demain pourrait devenir une solution thérapeutique par rapport à un pathogène spécifique. Deciphex se concentre sur la capacité de prédire la toxicité et l’efficacité d’une solution. Lorsque nous avons déjà notre cible et notre solution, au lieu de faire des analyses précurseures chez l’animal avant de passer au patient, nous essayons donc de les prédire. Votre dernier partenariat a été signé en septembre avec Generate Biomedicines qui a développé une plateforme d’IA générative. Que peut changer l’IA générative en matière de développement ? Selon moi, sa valeur ajoutée est qu’elle permet de changer de paradigme. Nous ne partons plus d’une molécule connue ou que nous ciblons pour découvrir sur quoi elle va pouvoir avoir une efficacité. Avec l’IA générative, nous partons d’une molécule spécifique à une pathologie puis, nous cherchons à développer la solution thérapeutique. Nous construisons entre guillemets une protéine sur mesure qui virtuellement semble être efficace. En partant de la pathologie à traiter pour essayer de trouver une molécule, qui sera la plus adaptée possible, nous retirons énormément d’étapes dans le développement. En utilisant l’IA pour accélérer le développement, l’objectif est-il donc de supprimer certaines étapes ? Les sciences de la vie restent un environnement très complexe, notamment en matière de réglementation, il faut être conscient des freins que l’IA rencontre aujourd’hui. Néanmoins, quand je réfléchis au parcours du développement du produit, souvent, nous sommes amenés à faire des choix. Est-ce que nous continuons la recherche ? Cette molécule est-elle vraiment efficace ? Est-elle la plus efficace ? Dans cette aide à la prise de décision, l’IA est vraiment clé parce qu’elle peut amener des choix nous permettant de nous assurer que les prochaines étapes seront opérantes. À mon avis, à court terme, nous ne retirons pas obligatoirement des étapes, car réglementairement, nous ne sommes pas prêts à cela. Par contre, nous allons pouvoir aller sur des prises de décision qui nous assurerons probablement un moindre taux d’erreur et d’échec. Une grande partie de l’activité de recherche pour développer des molécules suit aujourd’hui ce parcours : on teste, on échoue, on recommence. Le derisquage est une grande valeur ajoutée. Selon vous, l’usage de l’intelligence artificielle est-elle plus adaptée à certaines aires thérapeutiques ? L’idée est d’explorer de manière large, néanmoins l’intelligence artificielle demande de modéliser et d’avoir des populations virtuelles fiables. Je pense qu’aujourd’hui elle s’applique mieux à des thématiques où la modélisation de la pathologie est facilement réalisable : Est-il simple de créer des algorithmes représentant de manière assez fidèle ce qui se passe dans le corps humain afin que ce que nous produisons soit assez fiable ? Le vivant est multimodal, multi-échelle et multidimensionnel. C’est la complexité majeure que nous avons avec l’IA, car nos algorithmes doivent reproduire ces différentes dimensions et, en fonction de la pathologie, cela s’avère plus ou moins complexe. Aujourd’hui, notre limitation première est notre capacité à reproduire de manière fidèle l’environnement qui entoure la pathologie que nous voulons prendre en considération. Quelles sont les autres limites à son utilisation ? Comme je le disais, le premier frein reste la richesse du vivant. Si l’on prend l’exemple des jumeaux numériques, on essaye de faire une réplique numérique dynamique d’un process et on se dit qu’en testant sur des jumeaux qui sont semblables, il est possible de voir l’efficacité d’une molécule ou d’une autre. Mais est-ce que deux personnes reproduites virtuellement sont vraiment l’identique de personnes existantes ? Nous savons que non parce que l’environnement influe, et cela est très difficilement reproductible d’un point de vue virtuel. Selon moi, le deuxième frein est que notre réglementation aujourd’hui n’est pas adaptée d’une manière générale à l’utilisation de l’intelligence artificielle et du numérique. Est-ce que demain nous pourrons mener une étude sur les données de vie réelle, une étude qui intégrera des données in silico avec une population virtuelle et une modélisation de la maladie ? Aujourd’hui, les autorités ne sont pas favorables à utiliser ces éléments comme des preuves d’efficacité, de supériorité ou de sécurité, des exemples concrets nous le montrent. Les autorités sont en marche, mais cela va demander du temps. Les régulateurs face aux nouvelles méthodologies d’essais cliniques Enfin, la dernière réalité de l’IA est qu’elle s’accompagne de l’homme. L’intelligence artificielle va analyser, reproduire, modéliser, tester, répliquer mais la décision finale reste celle de l’homme. C’est lui qui va être capable d’analyser, d’évaluer et de juger si les données sont assez robustes pour pouvoir prendre des décisions. L’IA nous permet d’être plus intelligent dans notre manière d’évaluer, mais c’est l’homme qui prend la décision finale. L’IA ne peut remplacer tout ce qui est de l’ordre de l’empathie et de la prise de décision pour le patient, or, on sait que dans un essai clinique cela a un impact énorme. L’analyse ne suffit pas, il faut aussi savoir comment le patient vit son essai. L’investigateur n’est pas remplacé par l’intelligence artificielle aujourd’hui. En matière d’intelligence artificielle, quelles applications sont aujourd’hui les plus avancées ? Les applications d’IA et les outils qui accompagnent la conduite de l’étude constituent le volet le plus avancé. Comme la plateforme CLIP AI, développée en interne, qui permet d’intégrer les données de vie clinique, les données marketing et d’identifier pour une étude sur une certaine population le centre investigateur le plus adapté. Elle est aujourd’hui utilisée sur trente études et l’objectif est qu’elle le soit à l’avenir sur la majorité. Les traductions automatisées à l’aide de l’intelligence artificielle pour les formulaires de consentement des patients, les recommandations sur la rédaction des protocoles ou des CSR sont également utilisées en routine. La plateforme SENSE, semblable à un tableau de bord de pilote d’avion et développée par Novartis en 2019, est aujourd’hui un outil pour visualiser le portefeuille d’essais cliniques et prédire les risques. Novartis souhaite désormais que cette plateforme puisse réaliser des recommandations grâce à l’IA en fonction des situations pour respecter les timelines, etc. Nous travaillons également sur le versant in silico, car une fois qu’une molécule est arrivée au terme des essais cliniques globaux, si les autorités françaises exigent des informations supplémentaires, nous avons besoin d’une méthode rapide et fiable pour avoir des résultats. Rouvrir des essais cliniques pour répondre à ces demandes est long, complexe et coûteux, c’est pourquoi nous essayons de développer les études in silico et l’utilisation des données de vie réelle. Concernant les partenariats sur la découverte de cibles et de solutions thérapeutiques, nous en sommes aux étapes préliminaires, nous aurons bientôt les essais issus de ces travaux de collaboration. Sandra Mahamadaly en cinq dates Depuis juillet 2017 : Director of clinical operations (Novartis) Décembre 2014 – juin 2017 : Director of clinical operations – Oncology (Novartis) Janvier 2012 – novembre 2014 : Clinical Group Head in Oncology (Novartis) Janvier 2010 – décembre 2011 : Clinical Study Manager (Novartis) Janvier 2008 – décembre 2009 : Clinical Research Associate (Novartis) Les chiffres clés de Novartis 8,6 Mds € de résultat net en 2023 (Source : Annual Report 2023) 76 057 salariés dont 2000 en France en 2023 4 aires thérapeutiques prioritaires : cardiovasculaire et maladie rénale ; immunologie (dont la dermatologie et la rhumatologie); neurosciences ; oncologie (hématologie et tumeurs solides) 3 partenariats récents sur le volet IA et développement de médicaments : Isomorphic Labs (janvier 2024), Deciphex (avril 2024), Generate Biomedicines (septembre 2024) 184 essais cliniques menés en France en 2023 90 M€ investis dans la R&D dont 31,9 M€ dans la recherche clinique en France en 2023 Coralie Baumard Essais cliniquesIntelligence ArtificiellePartenariatRecherche Besoin d’informations complémentaires ? 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