Accueil > Financement et politiques publiques > Les start-up françaises de la e-santé ont levé 654,3 M€ en 2024 Les start-up françaises de la e-santé ont levé 654,3 M€ en 2024 Après une année 2023 morose, les montants levés par les start-up de la e-santé sont repartis à la hausse en 2024, sans toutefois atteindre les pics de 2021-2022. L’instabilité politique et réglementaire préoccupe les investisseurs, qui affichent un optimisme modéré pour 2025. Pour la septième année, mind Health fait le bilan des levées de fonds des start-up et scale-up françaises de la e-santé. Par Valérie Moulle avec Sara Chaouki. Publié le 28 janvier 2025 à 8h00 - Mis à jour le 28 juillet 2025 à 14h50 Ressources Après le fort recul de l’année 2023, les levées de fonds des start-up françaises de la e-santé ont renoué avec la croissance en 2024. mind Health a recensé 54 opérations, soit 9 de plus qu’en 2023, pour un montant total de 654,3 millions d’euros, soit plus de deux fois plus que l’année précédente. Cela ne leur permet toutefois pas de renouer avec les niveaux de 2021 et 2022. La levée exceptionnelle d’Alan, d’un montant de 173 millions d’euros, compte pour 30 % du total. Année par année, les principales levées de fonds des start-up de l’e-santé En 2024, la dynamique du secteur de la e-santé a été caractérisée par la prudence et une forme de maturité des entrepreneurs, indique tout d’abord Chahra Louafi, directrice du fonds Patient Autonome de Bpifrance. « Des résultats réglementaires étaient attendus, sur des sujets de type PECAN (prise en charge anticipée numérique), et deux autorisations ont été octroyées, en juillet 2024 à Continuum Plus puis en novembre 2024 à Axomove Therapy. D’autres approbations devraient suivre, signant l’ouverture du marché ». En matière d’accès à la télésurveillance par le droit commun, le chemin réglementaire a quant à lui déjà été défriché. Sur tous ces aspects, l’heure est donc aujourd’hui à la fixation de modèles économiques pérennes. Un autre sujet émerge en parallèle fortement, sur un volet non réglementé de la santé cette fois : l’intelligence artificielle générative (Gen AI), grâce à laquelle de véritables sauts technologiques sont attendus. « Il y a un fort besoin de productivité et, dans le même temps, de grandes avancées technologiques et une maturité des process de la HAS. Les investisseurs attendent la concrétisation de certains résultats avant de prendre des décisions. Nous sommes sur un point de transformation », ajoute Chahra Louafi. Les dossiers de sociétés souhaitant lever des fonds continuent d’affluer, constate de son côté Marion Eymar, responsable du pôle e-santé à la Banque des Territoires. Toutefois, « les dossiers doivent être de plus en plus qualifiés et les sociétés qui réalisent de belles levées de fonds sont plus matures, plus proches de la rentabilité. Par ailleurs, il y avait beaucoup de liquidités sur le marché en 2021-2022, avec des valorisations qui avaient tendance à s’envoler. En 2023-2024, les niveaux de ces dernières sont devenus plus raisonnables ainsi que les montants levés ». Elle pointe également deux autres tendances en 2024 : de nombreux refinancements dans les portefeuilles des investisseurs et des enjeux croissants autour de la financiarisation de la santé. Chez Elaia, Samantha Jerusalmy, partner, explique que des start-up en santé, très réglementées, ont souffert de l’instabilité politique française : « Si les investisseurs français sont frileux et si nos confrères américains ne viennent pas en France du fait de l’instabilité politique et fiscale, moins de capitaux transitent en France et moins d’investissements y sont effectués ». Un véritable frein au développement des sociétés early stage, qui ont des besoins de cash. Quant à Frédéric Picq, cofondateur et Partner chez Cenitz, il juge l’ambiance générale plutôt morose : « Les dossiers sont soit de très bonne qualité, soit ne se font pas. Par rapport à 2023, cela se durcit à cause de l’instabilité politique, économique et surtout fiscale. En particulier, nous ne savons pas si les mesures qui étaient favorables aux start-up vont demeurer. Il y a plus de nervosité ». Le ticket médian augmente Outre le nombre de start-up ayant levé et le montant total, le montant levé par tour de table a lui aussi augmenté. Alors qu’il avait été divisé par deux en 2023 (de 7 à 3,5 millions d’euros), le ticket médian est ainsi remonté à 5 millions d’euros l’année dernière. Sept start-up ont levé plus de 20 M€ en 2024, comptant pour 56 % du total des montants réunis. Parmi les levées les plus importantes, on compte cette année 173 M€ pour Alan en septembre, 66 M€ pour Aqemia (30 M€ en janvier et 36 M€ en décembre), 32 millions pour Bioptimus en février et 30 millions pour Qantev en octobre. Avec 173 millions d’euros, Alan est donc la scale-up qui a levé le plus en 2024. Depuis sa création en 2016, la licorne française de l’assurance-santé a levé 631 millions d’euros en sept opérations. Dans le détail, les start-up qui ont levé des fonds en 2024 appartiennent à 17 catégories différentes. L’aide à la décision ou au diagnostic est celle qui compte le plus d’acteurs (8) devant la R&D (6). Peu d’investisseurs étrangers Hors business angels, 143 investisseurs différents ont participé au tour de table d’une start-up de la e-santé en 2024. 23 d’entre eux ont participé à plus d’une opération. Le profil des fonds investissant en e-santé reste varié, note Marion Eymar, entre fonds tech, fonds corporate, fonds spécialisés en santé ou encore fonds d’impact : « Il y a une myriade d’acteurs avec leurs spécificités qui ont une capacité à interagir et à investir dans le monde de la santé numérique. C’est plutôt une force pour les projets ». Samantha Jerusalmy note également la poursuite de la coexistence entre des fonds spécialisés santé, medtech et biotech, qui se sont positionnés sur la santé digitale, et des fonds plutôt agnostiques d’un point de vue sectoriel et qui ont su, à l’instar d’Elaia, construire une expertise autour de la santé et de la e-santé. Elle regrette le faible nombre de fonds growth, capables de prendre le relais à partir de la série C et jusqu’au pré-IPO. C’est dans cette optique qu’Elaia lancera en 2025 un nouveau fonds, Lazard Elaia Capital, en partenariat avec Lazard, avec l’ambition de se positionner sur le Growth et le Buyout, y compris en santé. Enfin, Chahra Louafi souligne l’arrivée de nouveaux fonds venant de la tech pour financer des projets en lien avec l’IA générative et la techbio. « Dans le même temps, plus un marché est régulé, moins cela intéresse les acteurs de la Tech, ce qui stabilise des business pour des fonds santé », analyse-t-elle. Quant aux fonds américains, peu présents sur le territoire national, elle estime leur présence utile pour les entreprises désireuses de se développer à l’international ou proposant des solutions de Gen AI ou techbio, moins dépendantes du système régulé de santé et donc mieux à même de se développer rapidement sur plusieurs territoires. Comme l’an dernier, Bpifrance a été particulièrement actif dans l’e-santé, participant à huit opérations, notamment via ses fonds Patient Autonome, Digital Venture et Large Venture. Elle a soutenu Pixee Medical, Surgar, Orakl Oncology, Skezi, Klineo et Doado. Bpifrance est suivi par Eurazeo et Elaia (six investissements dans la santé digitale), Kurma Partners (quatre), UI Investissement, la Banque des Territoires et Cenitz (trois chacun). Rémi Droller (Kurma Partners) : “Notre approche entrepreneuriale fait notre spécificité” 2025 dans la poursuite de 2024 Pour 2025, l’heure est plutôt à l’optimisme, poursuit Chahra Louafi : « Un cap a été franchi, de nouveaux marchés sont en cours de construction sur le long terme, nous sommes vraiment dans un changement de paradigme ». De fait, la prévention devient une réalité avec une acculturation des citoyens à prendre soin de leur santé, des médecins en attente d’outils pour alléger leurs tâches au quotidien et une maturité des évaluateurs et régulateurs de la santé. En 2025, l’instabilité des gouvernements va rester un problème et la tendance du marché devrait être dans la continuité de 2024, tempère de son côté Marion Eymar. La gestion de portefeuille devrait se poursuivre, les enjeux d’IA monter en puissance et les problématiques de financiarisation et de souveraineté, tant numérique que sanitaire, devenir plus prégnantes, entraînant la mise en avant des dossiers participant à l’accès aux soins sur les territoires. Elle souligne enfin « une dynamique institutionnelle, avec une volonté forte de faire de la France un acteur important en santé numérique, ce qui est très positif pour les entreprises du secteur ». Il y a toujours de l’intérêt pour la santé et des fonds qui veulent investir dans ce secteur, se réjouit Samantha Jerusalmy : « Il reste beaucoup à construire, il faut rester confiant et nous allons continuer à investir de manière assez massive dans ce secteur ». Pour autant, « comme dans tout marché qui se replie, il y a une envie d’investir dans un sous-jacent sain, moins dépendant de problématiques réglementaires », relativise-t-elle. Enfin, si Frédéric Picq estime que la e-santé reste un marché porteur et souligne le virage rapide pris par la France en matière de télémédecine, il pointe le retard de l’Hexagone sur les thérapies digitales (notamment par rapport à l’Allemagne et son programme DiGA), affichant son scepticisme sur le dispositif PECAN et redoutant le rejet par les autorités d’une grande partie des thérapies numériques se présentant au remboursement via ce dispositif. Autre sujet d’inquiétude : si certains processus de certification se sont accélérés, par exemple pour des solutions de détection de cancers passant par l’IA (comme Primaa), les délais d’accès au marché demeurent selon lui trop importants dans les différents pays européens du fait de l’absence de processus centralisés. Il regrette un manque de volontarisme politique pour rendre l’Europe plus agile et éviter le rachat de ses innovations par des entreprises étrangères, notamment américaines, en particulier dans le domaine de l’IA où la France a, selon lui, une réelle carte à jouer du fait de son excellence mathématique, reconnue dans le monde entier. Cenitz : des projets early-stage Cenitz a participé aux levées de fonds de trois start-up françaises de la e-santé en 2024 : Primaa, Avatar Medical et Metyos. Il s’agit d’un club-deal d’entrepreneurs, qui investit à travers l’Europe, principalement dans les sociétés de l’économie digitale avec une forte barrière à l’entrée, technologique ou d’usage. Les sociétés choisies doivent ainsi proposer une vraie valeur thérapeutique, qu’il s’agisse de DM de classe II ou III, de solutions digitales ou encore de logiciels liés à l’IA. Trois quarts des fonds sont investis dans la santé : Medtech, Biotech ou e-Health et une présence au board est en général prévue. 10 investissements ont été effectués depuis la création, en 2021, et 3 M€ devraient être investis en 2025. Les tickets sont compris entre 0,5 et 1 M€, puis à nouveau 1 M€ en cas de réinvestissement. Banque des Territoires : améliorer les parcours de santé, lutter contre les déserts médicaux La Banque des territoires investit sur les fonds propres de la Caisse des Dépôts, en appui des politiques publiques et toujours avec des co-investisseurs. Les sociétés choisies doivent avoir leur siège social en France. En santé, leurs projets visent à améliorer les parcours de soins et à lutter contre les déserts médicaux, via notamment des innovations organisationnelles ou technologiques. Le ticket moyen investi est de l’ordre de 3 à 4 M€ et plusieurs investissements en e-santé ont été réalisés sur 2023-2024 : Alogia, LifePlus ou encore AdEchoTech. Les réinvestissements sont possibles si l’entreprise correspond toujours à l’ADN de la Banque des Territoires. Elaia : un nouveau fonds Growth en 2025 Elaia investit en santé digitale à travers deux équipes : Digital Venture (DV) et Deep Tech Seed (DTS) (voir mind Health n°269 du 31 janvier 2024). DV est à son quatrième millésime de fonds et a investi en 2024 dans le britannique Doccla, positionné sur le suivi de patient à distance, et dans une autre série B française non encore divulguée. Le 5ème millésime est attendu en 2025 et la santé sera une fois de plus mise à l’honneur. DTS, plus early-stage, a investi dans SurgAR en 2024 (solution de réalité augmentée en chirurgie mini-invasive) et réalisé la belle sortie de Sonio (dépistage prénatal grâce à l’IA), racheté par Samsung Medison. DTS finalise la levée de son troisième millésime de fonds. Enfin, un nouveau fonds verra le jour en 2025, Lazard Elaia Capital, en partenariat avec Lazard et avec la vocation de faire du « growth et buyout », y compris en santé. Quelles start-up ont levé le plus depuis leur création ? La e-santé compte toujours sept start-up qui ont levé 100 M€ ou plus depuis leur création. Grâce à ses deux tours de table de 2024, Aqemia a intégré le classement des 12 start-up de la e-santé qui ont levé le plus de fonds, au huitième rang. Elle en a exclu Robocath. Quelles levées de fonds en 2024 pour les start-up françaises de la biotech ? 29 start-up de la biotech ont levé des fonds en 2024, pour un montant total de 383 M€. Sensorion est celle qui a levé le plus, avec 65,5 M€, dont 50,5 M€ en février et 15 M€ supplémentaires en avril, auprès notamment de Redmile Group et Invus. Elle est suivie de près par Valneva, avec 61,18 M€ levés en septembre et d’Enyo Pharma, avec 39 M€ levés en janvier, notamment auprès d’OrbiMed et de Morningside Ventures. 10 investisseurs ont pris part à au moins deux tours de table de start-up biotech françaises en 2024. Angels Santé et Noshaq ont pris part à 3 opérations. Méthodologie Notre baromètre annuel des levées de fonds par les start-up de la e-santé ne prend en compte que les opérations qui ont été annoncées publiquement. Depuis 2018, outre les levées de fonds de sociétés non cotées, nous avons également pris en compte les augmentations de capital des sociétés cotées en bourse (Pixel Vision par exemple), ainsi que les levées de fonds à l’occasion des IPO. Limites Il n’est pas toujours possible de distinguer précisément la part levée en equity de celle levée en dette. Certaines start-up et certains fonds d’investissement peuvent avoir changé de nom au cours de leur histoire, ce qui complique le suivi de leurs opérations. Toutes les levées de fonds ne sont pas communiquées publiquement, pas plus que l’identité de tous les participants à un tour de table. La frontière entre ‘start-up’ et entreprise mature est parfois difficile à tracer précisément, de même que la frontière des sociétés actives dans la santé digitale, auxquelles nous nous sommes efforcés de restreindre notre périmètre. Si des levées de fonds ont échappé à notre vigilance, ou si vous pensez avoir repéré une erreur, n’hésitez pas à nous le signaler : datalab@mind.eu.com Valérie Moulle avec Sara Chaouki financementFonds d'investissementLevée de fondssanté numérique Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Le suivi des levées de fonds des start-up de l'e-santé Entretien Rosalie Maurisse (Bpifrance) : “Nous allons être très sélectifs pour financer des projets ambitieux” Le financement des DMN par Bpifrance en 2024