SleepTech : un marché hétérogène en plein essor Le marché de la SleepTech en pleine expansion accueille une variété d'objets connectés grands publics. Si la plupart naviguent dans le bain du "wellness", certains revendiquent leur appartenance au champ médical. Samsung a même récemment reçu l'autorisation de la FDA pour diagnostiquer l'apnée du sommeil. Jusqu'où va la e-santé dans l'analyse du sommeil ? À quoi ressemblera le marché demain ? Par Clarisse Treilles. Publié le 14 mars 2024 à 17h21 - Mis à jour le 20 mars 2024 à 10h19 Synthèse Le contexte Définition L’industrie de la SleepTech s’intéresse aux divers aspects du sommeil, des troubles aigus et chroniques jusqu’à la quête d’une meilleure qualité de sommeil. Le secteur est en pleine expansion : les technologies passent des laboratoires aux applications de la vie courante et les capteurs se miniaturisent pour suivre le sommeil au plus près du patient. Toutefois, le parcours de soin n’est pas encore mature et les objets connectés grands publics, qui ne bénéficient pas d’un remboursement, échappent pour beaucoup à une validation scientifique rigoureuse. Le corps médical et les autorités régulatrices peinent à évaluer sereinement ces dispositifs prometteurs dans l’analyse du sommeil. Chiffres Selon un rapport du cabinet Global Market Insights, le marché mondial de la Sleeptech a atteint les 18 Mds $ en 2022 et devrait connaître un taux de croissance annuel composé (TCAC) de 18,2% jusqu’en 2032, pour atteindre 95 Mds $. Les troubles du sommeil constituent un enjeu de santé croissant, dont les répercussions médico-économiques sont vastes. Selon une étude de McKinsey, les coûts économiques du manque de sommeil sont estimés à plus de 400 Mds $ par an aux États-Unis. Un marché ambulatoire hétérogène La liste des produits technologiques liés au sommeil est longue. Le Dr Justine Frija, diplômée en médecine du sommeil, maîtresse de conférences des universités en physiologie et membre du comité communication au sein de la Société Française de Recherche et Médecine du Sommeil, témoigne d’un marché très hétérogène, composé “de trackers de sommeil allant de cinquante à plusieurs centaines d’euros. En fonction du budget qu’on y consacre, la fiabilité sera plus ou moins au rendez-vous” observe la spécialiste des objets connectés. D’autant que, ajoute-t-elle, “entre les objectifs connectés qui relèvent du bien-être et ceux qui sont dans une logique de certification DM, les tests de fiabilité métrologiques et les exigences de conformité au RGPD divergent.” Dr Marc Rey, président de l’INSV Le Dr Marc Rey, président de l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV), neurologue et ancien responsable du Centre du Sommeil de l’hôpital de la Timone, à Marseille, rappelle que ces objets connectés qui inondent le marché sont “plus souvent assimilés à la sphère du bien-être”. Ils sont bien moins nombreux à couvrir la prise en charge de pathologies du sommeil, car “plus complexes à développer”, évoque le président de l’INSV. Beaucoup d’acteurs technologiques gardent l’étiquette “wellness” et laissent planer en réalité une “immaturité réglementaire volontaire, pour des raisons de market access et de coût”, analyse le Dr Guillaume Marchand, psychiatre, médecin du sommeil, chef de clinique au Centre du Sommeil et de la Vigilance de l’AP-HP. Deux grandes familles Selon le Dr Marc Rey, il existe deux grandes catégories d’objets technologiques dans la SleepTech. La première catégorie concerne les appareils portables, portés par l’utilisateur lui-même ou placés dans son lit, pour mesurer son sommeil. “Ce sont toujours des mesures indirectes, car lors d’un examen polysomnographique classique (examen médical qui permet l’enregistrement du sommeil, de la ventilation et de mouvements corporels au cours de la nuit, ndlr) il faut placer un certain nombre d’électrodes sur le corps. Les statistiques de sommeil sont définies en fonction de l’activité électrique du cerveau et des mouvements des yeux notamment. Il existe un certain nombre de mesures indirectes également qui donnent une idée de l’état de notre sommeil, comme le mouvement du corps durant la nuit ou la fréquence cardiaque, permettant de distinguer, par exemple, le sommeil profond du sommeil paradoxal.” À côté de ces appareils qui mesurent le sommeil, associés à des algorithmes et souvent à des logiciels de conseil et d’explication, le Dr Marc Rey voit se dessiner les applications qui vont permettre de développer des thérapies cognitivo-comportementales en ligne. “C’est le traitement qui est le plus efficace dans l’insomnie au long cours, via le remplissage d’un questionnaire et d’un “agenda du sommeil” avec les heures de coucher et de lever notamment. Il y a une assez bonne corrélation avec les résultats que donne une montre connectée pour un sujet normal”, explique le Dr Marc Rey. Actualités En novembre 2023, le fonds Alexa d’Amazon et le fonds français UI-Investissement ont rejoint le cycle d’investissement dans Sunrise avec un investissement supplémentaire de 6 millions de dollars, pour un total de 24 millions de dollars levés en 2023. Avec deux approbations FDA aux Etats-Unis, la certification CE renouvelée sous le MDR et le SleepTech Award 2022 de l’American National Sleep Foundation, la société belge est incontournable dans le diagnostic du sommeil. En décembre 2023, la start-up suisse Aesyra a annoncé avoir levé 3 millions de dollars dans le cadre d’un financement de démarrage, pour ses innovations pour lutter contre le bruxisme et l’apnée du sommeil. Ce tour de financement a notamment été mené par Supermoon Capital, le premier fonds américain spécialisé sur les technologies du sommeil. En janvier 2024, la société Onera a levé 30 M€ en série C pour aider les cliniciens à mener des études sur le sommeil au domicile des patients. Ce tour de table a été dirigé par EQT Life Science et Gimv, avec la participation d’Innovation Industries, Invest-NL, Imec.xpand, BOM et 15th Rock. Onera Health est une start-up qui fournit une technologie de diagnostic et de surveillance du sommeil pour aider les cliniciens à mener des études. Le clinicien peut commander une étude de polysomnographie via Onera, qui envoie les capteurs nécessaires directement au patient. Ce dernier connecte ensuite les capteurs selon les indications. La start-up a été fondée aux Pays-Bas en 2017 et a levé 55 millions d’euros depuis sa création. En février 2024, la start-up française Apneal a été sélectionnée pour faire partie du programme EIT Health Flagships. L’entreprise entend accélérer le développement de son application d’aide au dépistage du syndrome de l’apnée du sommeil qui utilise les capteurs d’un smartphone (accéléromètre, gyroscope, microphone, etc.) fixé sur le thorax du patient. Les données recueillies sont transformées grâce à une intelligence artificielle en signaux équivalents à ceux d’un examen clinique. La start-up bénéficie du soutien d’un consortium, composé en partie d’Air Liquide Healthcare, du Digital Medical Hub et de l’hôpital universitaire de la Charité de Berlin. En février 2024, Stellar Sleep, fournisseur d’une solution numérique pour la gestion de l’insomnie chronique, a annoncé un financement de démarrage de 6 M$ pour améliorer et élargir la portée et la capacité de son application mobile conçue pour aider les utilisateurs à surmonter l’insomnie. En février 2024, la FDA a accordé l’autorisation 510(k) à EnsoData pour son logiciel basé sur l’intelligence artificielle permettant de monitorer le sommeil à l’aide d’appareils d’oxymétrie de pouls. EnsoData utilise l’IA pour analyser les formes d’onde enregistrées lors de l’examen polysomnographique en clinique et les tests d’apnée du sommeil à domicile. En février 2024, les chercheur de Mount Sinai, à New York, ont reçu une subvention de 4,1 M$ sur cinq ans de la part du National Heart, Lung and Blood Institute (des National Institutes of Health aux Etats-Unis) pour développer et étudier un modèle alimenté par l’IA qui prédit les effets indésirables de l’apnée obstructive du sommeil. La fin du Dreem L’année 2023 a aussi été marquée par la disparition de la société Dreem, autrefois le fleuron tricolore de la SleepTech qui a levé près de 60 M$ depuis sa création en 2014 et déposé 50 brevets pour développer son bandeau nocturne bardé de technologie. La start-up, confrontée aux exigences de validation scientifique, avait fait paraître en 2020 dans la revue Sleep une étude intitulée “The Dreem Headband compared to polysomnography for electroencephalographic signal acquisition and sleep staging” (comparaison de la technologie ambulatoire à la polysomnographie), démontrant la capacité du bandeau à surveiller les signaux physiologiques liés au sommeil. Atteignant toutefois les limites du modèle BtoC, Dreem s’était orienté vers une approche BtoB au tournant de la pandémie de Covid-19. Dreem n’est pas parvenu à remplir tous ses objectifs. Le Dr Marc Rey explique qu’au départ “le bandeau de Dreem était censé analyser le sommeil en temps réel pour éventuellement parvenir à améliorer le sommeil. Cette idée avait l’air très prometteuse, mais elle s’est malheureusement avérée plus compliquée à réaliser. Au bout du compte, ce bandeau est capable d’enregistrer correctement l’activité cérébrale via des électrodes. Il est couplé avec des logiciels de conseil personnalisé en fonction des mesures qui sont enregistrées.” Le spécialiste du sommeil ajoute que tout l’enjeu de ce type de dispositif est de pouvoir “mesurer le sommeil sans gêner. Or, le bandeau n’est pas forcément confortable à porter, d’autant plus que la tête bouge pendant le sommeil”. Après l’ouverture en avril 2023 d’une procédure de liquidation judiciaire, le tribunal de commerce de Paris a arrêté le plan de cession de Dreem par jugement du 16 juin 2023,. Les actifs de la société ont été scindés en deux pour être cédés aux sociétés Beacon Biosignals et Sunrise : Beacon Biosignals a acquis l’activité R&D de Dreem pour le suivi du sommeil à domicile. Cela comprend le bandeau de sommeil, pour lequel Beacon Biosignals a annoncé en septembre 2023 avoir reçu l’autorisation de la FDA. Ce bandeau portable assisté par IA est utilisé pour la surveillance du sommeil. Il permet aux patients de participer à la collecte de données d’électroencéphalogramme (EEG) à domicile. Il comporte six électrodes et un accéléromètre intégré pour mesurer les mouvements de la tête et la position du corps. La société belge Sunrise, spécialisée dans le diagnostic du sommeil, a de son côté acquis la plateforme d’accès aux soins Dreem Health. Sunrise renforce ainsi sa présence aux États-Unis, où Dreem Health dispose de nombreux partenaires comme les assureurs Aetna et United Healthcare. Les déboires de Philips Fin janvier dernier, Philips a accepté de cesser la vente de ses appareils respiratoires pour l’apnée du sommeil aux États-Unis, après le rappel de millions d’appareils en juin 2021. Philips Respironics doit répondre aux exigences fixées dans un accord passé avec le ministère de la Justice avant de pouvoir reprendre ses ventes. Philips va continuer à fournir des accessoires et des pièces de rechange aux États-Unis, ainsi que de nouveaux appareils respiratoires en dehors des États-Unis. En 2021, Philips Respironics avait déclaré que les appareils respiratoires contre l’apnée du sommeil que l’entreprise avait rappelés quelques mois plus tôt avaient subi de nouveaux tests de sécurité et ne semblaient plus constituer une menace pour la santé des patients, après avoir admis que la mousse placée à l’intérieure des appareils était potentiellement toxique. En octobre 2023, la FDA a publié une déclaration publique faisant part de ses préoccupations, affirmant que les tests réalisés par Philips n’étaient à ce jour pas adéquats pour évaluer pleinement les risques présentés aux utilisateurs. Si cette affaire a fait grand bruit, “l’impact va être gigantesque” pour le fabricant, souligne Séverin Benizri, CEO d’Apneal, rappelant que “ResMed possédait déjà 80% du marché avant ça”. Diagnostiquer l’apnée du sommeil Selon une étude de The Insight Partners, la taille du marché des appareils pour l’apnée du sommeil devrait atteindre 8,30 milliards de dollars en 2025, contre 4,03 milliards de dollars en 2016. L’apnée du sommeil concerne 4% de la population française, selon l’Assurance maladie. Une définition selon l’Inserm : Le syndrome d’apnées du sommeil (également appelé syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil) se manifeste par des interruptions répétées et incontrôlées de la respiration pendant le sommeil. Près d’un tiers des personnes de plus de 65 ans sont concernées. Il est établi que les apnées du sommeil augmentent le risque de troubles cardiovasculaires, comme un syndrome métabolique, une hypertension, des troubles du rythme cardiaque, une athérosclérose ou encore un diabète de type 2. Les enregistrements du sommeil sont nécessaires au diagnostic, dans un centre spécialisé ou à domicile du patient, soit au travers de la polysomnographie (l’examen complet de référence qui capte les rythmes électriques provenant du corps pour en déduire les stades de sommeil) ou de la polygraphie ventilatoire (consistant à enregistrer la respiration à l’aide d’un capteur nasal, d’un capteur de son et d’un oxymètre). Un trouble pris au sérieux en France “C’est un véritable enjeu de santé publique et pourtant il y a encore aujourd’hui un déficit sur le diagnostic” lance Séverin Benizri, cofondateur d’Apneal. Selon lui, l’enjeu du diagnostic sera aussi à terme de “connecter l’apnée du sommeil avec d’autres comorbidités associées chez les patients, comme le diabète ou l’hypertension”. Comparant les systèmes de soin européens, entre eux, Séverin Benizri observe des degrés de maturité différents selon les pays. La France se distingue au rang de “championne” sur le terrain de l’apnée du sommeil, avec, dit-il, “un bon niveau de remboursement” et “beaucoup d’examens du sommeil” prodigués. Par comparaison, Séverin Benizri note qu’en Allemagne, “le parcours sommeil est plus contraignant avec une polysomnographie obligatoire”, tandis qu’en Espagne, le marché est plus localisé avec “des appels d’offres région par région sur le parcours sommeil”. La HAS a publié des recommandations sur la manière de prescrire les dispositifs médicaux de traitement du syndrome d’apnées/hypopnées obstructives du sommeil chez l’adulte. L’IAH (indice d’apnées/hypopnées par heure) est l’indice standard utilisé pour le remboursement de ces traitements par la Sécurité sociale. Il permet de classer les syndromes en trois catégories : entre 5 à 15 événements par heure, l’apnée du sommeil est dite légère, entre 16 et 30, l’apnée du sommeil est dite modérée, et supérieur à 30, l’apnée du sommeil est dite sévère. Des capteurs miniatures Les capteurs vendus se placent à divers endroits du corps : certains sur le front (Onera STS, Dreem S3), d’autres sur le menton (Sunrise), au niveau de la gorge (Acurable), du thorax (Apneal), des mains (NightOwl), des doigts (Oura Ring), voire au niveau du matelas (Withings). “Il y a beaucoup d’outils, mais les études sont plutôt faméliques” observe le Dr Guillaume Marchand, qui a annoncé lors d’une conférence le 7 mars dernier à l’Hôtel Dieu le lancement prochain d’une étude pour évaluer ces applications en comparaison de l’examen polysomnographique et de l’actimétrie. Le Dr Guillaume Marchand, lors d’une conférence sur le Sommeil à l’Hôtel Dieu le 7 mars 2024 Trois exemples français et belge : Le capteur de sommeil sous matelas de Withings : En Europe, Withings a lancé le Sleep Analyzer, qui dispose d’une fonctionnalité de détection de l’apnée du sommeil cliniquement validée et certifiée CE. L’algorithme de ce dispositif médical a été étudié et validé sur des patients apnéiques à l’hôpital Antoine-Béclère. Sleep Analyzer a fait l’objet d’essais approfondis sur des patients dans un laboratoire du sommeil, qui ont été directement comparés aux résultats de la polysomnographie. Les données collectées sont ensuite transmises à un professionnel de santé. Le capteur mandibulaire de Sunrise : Disponible à la commercialisation depuis 2019, ce petit dispositif médical est marqué CE. Il permet au professionnel de santé de diagnostiquer à domicile le syndrome d’apnée du sommeil. Placé sur le menton, le capteur à usage unique se connecte au smartphone et enregistre les mouvements mandibulaires du patient qui le porte. Après le test, Sunrise propose une consultation en ligne avec un médecin expert ou dans un centre du sommeil.Il fait partie des premiers DM intégrant l’IA à avoir reçu un avis favorable de la HAS, dans le cadre du forfait innovation, comme l’avait indiqué Isabelle Adenot en 2021 à mind Health, alors présidente de la CNEDiMTS (Commission Nationale d’Evaluation des Dispositifs Médicaux et des Technologies de Santé – HAS). Le “smartphone as a device” d’Apneal : Cette solution se veut être un dispositif de dépistage plutôt que de diagnostic à proprement parler. Le téléphone est fixé sur le thorax du patient et ses divers capteurs (accéléromètre, gyroscope, microphone, etc.) récupèrent les données liées au sommeil. Il est, en somme, “au plus près des signes vitaux pour obtenir une précision diagnostique nécessaire aux examens du sommeil”, explique Séverin Benizri. Apneal a lancé une étude clinique portant sur 500 patients en Europe (France, Espagne et Allemagne), afin de valider sa technologie en vue d’obtenir le marquage CE de classe IIa. “Nous allons pouvoir montrer le niveau de performance pour la population générale, et à partir de là, revendiquer le statut de DM. Apneal va permettre d’accélérer la prise en charge et de décider des bons examens”, résume le directeur général. Samsung devance Apple La fonctionnalité d’apnée du sommeil de Samsung sur la Galaxy Watch est la première du genre à avoir reçu, en février dernier, l’autorisation De Novo de la FDA. La fonctionnalité sera disponible sur la série Galaxy Watch aux États-Unis via l’application Samsung Health Monitor au troisième trimestre 2024. Cette fonctionnalité détecte les signes d’apnée du sommeil à l’aide d’une montre et d’un téléphone Samsung Galaxy compatibles. Selon un communiqué de Samsung, cette fonctionnalité “permet aux utilisateurs de plus de 22 ans n’ayant pas reçu de diagnostic d’apnée du sommeil de détecter les signes d’apnée obstructive du sommeil modérée à sévère sur une période de surveillance de deux nuits”. Dr Justine Frija, membre du comité communication au sein de la SFRMS Avec cette annonce, Samsung coiffe Apple au poteau. Si l’Apple Watch est capable d’analyser la fréquence respiratoire, elle ne mesure pas l’apnée du sommeil. Bloomberg rapportait en novembre dernier qu’Apple prévoyait de travailler sur cette fonctionnalité pour ses prochains modèles. Interrogée par mind Health, le Dr Justine Frija confirme qu’il s’agit d’une fonctionnalité “à surveiller”. Et d’ajouter : “Je ne peux pas dire si elle est fiable même si nous savons que l’intelligence artificielle permet de faire énormément de choses. Il faut bien avoir en tête que les critères ne sont pas tout à fait les mêmes pour obtenir le marquage DM des deux côtés de l’Atlantique. Cela va de toute façon changer nos pratiques, ne serait-ce parce que les patients vont nous en parler. Nous ignorons encore à quelle échéance il faut s’attendre à trouver ces applications entre les mains des patients en France et si elles seront un jour remboursées”. Des traitements numériques contre l’insomnie La lutte contre l’insomnie occupe une large partie de la SleepTech. Le Dr Justine Frija note que “des applications de traitement se lancent progressivement, avec des thérapies cognitivo-comportementales digitales.” Si peu de ces applications sont pour l’instant accessibles en français, quelques projets naissent dans l’Hexagone, à l’instar du programme ThéraSomnia et de l’application Kanopée. Selon le Dr Marc Rey, ces logiciels offrent “une aide importante”, malgré “le nombre insuffisant de thérapeutes spécialisés”, ce qui tend à limiter leur utilisation. De l’usage au remboursement en France La thérapie cognitivo-comportementale est l’approche recommandée en première intention par la HAS face à une insomnie chronique. Pourtant, ces thérapies “n’étaient pas remboursées pendant très longtemps, contrairement aux somnifères”, souligne le Dr Marc Rey. Il constate “une légère amélioration” aujourd’hui, ces logiciels “devenant partiellement remboursés” ou “donnés à titre gracieux”. Pour le Dr Justine Frija, les objets connectés étant “déjà présents dans notre quotidien”, il serait “illusoire de ne pas vouloir s’en servir”. Elle appelle cependant à la prudence : “Ils peuvent nous rendre de grands services à condition d’évaluer leur fiabilité et d’en faire de vrais dispositifs médicaux à la fois pour le diagnostic et le suivi des patients. À terme, il va falloir trouver un modèle économique qui soit viable pour les entreprises qui les commercialisent, mais aussi pour le système de santé, les médecins et les patients. À mon sens, ce modèle n’est encore que très balbutiant et repose beaucoup sur le consommateur.” Une dynamique en marche outre-Atlantique Dans un guide publié en 2020, l’American Academy of Sleep Medicine recommande aux cliniciens d’utiliser la thérapie cognitivo-comportementale pour le traitement des troubles d’insomnie chronique chez les adultes. Parmi les grandes opérations qui ont marqué ce secteur, citons le rachat de Somryst par Nox Health en mai 2023, auprès de Pear Therapeutics. Ce traitement numérique sur ordonnance contre l’insomnie est approuvé par la FDA. La société a qualifié cette acquisition de “jalon majeur” dans son parcours pour cibler des maladies chroniques grâce à la thérapie cognitivo-comportementale. Les professionnels en quête de fiabilité La diversité du marché de la SleepTech peut être vue comme un avantage ou un frein. “Il apparaît compliqué de comparer tous ces objets entre eux, dans la mesure où ils ne prennent pas en compte les mêmes mesures du sommeil. En revanche, nous disposons d’un comparateur très fiable, qui n’est autre que l’examen de référence réalisé en clinique : la polysomnographie. Le professionnel de santé peut faire porter au patient une montre connectée ou le faire dormir sur un matelas connecté pendant qu’il passe son examen polysomnographique, afin de comparer la fiabilité des résultats obtenus” analyse le Dr Justine Frija. “Si les capteurs des montres et des téléphones peuvent être relativement semblables, ce qui change en revanche sont les algorithmes sur lesquels ils reposent. Il s’agit d’une boîte noire totale pour nous, professionnels de santé” poursuit-elle. La diversité a aussi du bon dans une logique de médecine personnalisée : “Chaque dispositif ne sera pas forcément adapté à tous les patients. Le capteur mandibulaire, par exemple, ne pourra pas tenir sur le menton d’un patient barbu. En ce qui concerne les capteurs qui fonctionnent sur la tonométrie de pouls et la variabilité de la fréquence cardiaque, cela ne fonctionnera pas sur des patients atteints d’arythmie cardiaque. Il faut donc garder cette multitude de possibilités” complète le Dr Justine Frija. La spécialiste du sommeil rappelle, en outre, l’importance de “dédramatiser. Il faut faire comprendre au patient que ni la montre ni le téléphone ne sait tout. Voir son sommeil uniquement à l’aune d’un objet connecté, c’est complètement paradoxal et à l’encontre de ce qu’on enseigne aux patients en médecine du sommeil. Nous conseillons aux patients de se réapproprier les caractéristiques subjectives d’un bon sommeil.” S’approprier la technologie Le Dr Justine Frija reconnaît qu’il “ne sera jamais possible de connaître tous les modèles, car cela évolue tout le temps et il y a des centaines d’objets qui existent à tous les prix”. Pour Dr Marc Rey, la création de ressources en ligne et de formations est souhaitable face à l’évolution rapide du marché. “Lorsque l’on veut évaluer leur pertinence, un produit devient vite dépassé par un nouveau modèle. Nous sommes toujours en retard. La production d’appareils est nettement plus rapide que la validation médicale qui se fait sur l’usage”, dit-il. Aux États-Unis, les praticiens américains du sommeil ont dans leur besace des outils développés par l’AASM (American Academy of Sleep Medicine) pour les guider sur ce terrain. Sur la page “#SleepTechnology”, l’Académie les informe régulièrement des nouvelles applications populaires. Des résumés concis leur permettent de rester à la page sur les capacités et les limites d’une technologie. Ressources L’Institut National du Sommeil et de la Vigilance (INSV). Il organise chaque année la journée du sommeil en France, qui se tient le 15 mars 2024. La Société Française de Recherche et Médecine du Sommeil (SFRMS) – Société savante qui regroupe médecins, chercheurs et professionnels de santé impliqués dans le domaine du sommeil et de ses pathologies. L’American Academy of Sleep Medicine (AASM) – Société professionnelle dédiée exclusivement à la médecine du sommeil. La revue Sleep – Journal officiel de la Sleep Research Society (SRS), qui publie du contenu la médecine du sommeil. Pour aller plus loin Les acteurs à suivre Withings SA Accès à la fiche entreprise Sunrise SA Accès à la fiche entreprise Institut National du Sommeil et de la Vigilance Association Accès à la fiche entreprise Les personnes à suivre Laurent Martinot Cofondateur et CEO Accès à la fiche entière Marc Rey Directeur de l'unité de sommeil Accès à la fiche entière Guillaume Marchand Psychiatre, Médecin du sommeil, Chef de Clinique au Centre du Sommeil et de la Vigilance Accès à la fiche entière Twitter LinkedIn Email
Guillaume Marchand Psychiatre, Médecin du sommeil, Chef de Clinique au Centre du Sommeil et de la Vigilance Accès à la fiche entière