Accueil > Financement et politiques publiques > Isabelle Adenot (CNEDiMTS): “L’arrivée de l’IA a bousculé nos processus d’évaluation” Isabelle Adenot (CNEDiMTS): “L’arrivée de l’IA a bousculé nos processus d’évaluation” Pour pouvoir prétendre être remboursés par l’Assurance-maladie, les dispositifs médicaux doivent obtenir l’avis favorable de la Commission Nationale d'Evaluation des Dispositifs Médicaux et Technologies de Santé (CNEDiMTS) de la Haute Autorité de santé (HAS). Sa présidente, Isabelle Adenot, dresse un bilan des dispositifs récemment évalués et des tendances futures, notamment concernant l’intelligence artificielle (IA). Par Romain Bonfillon. Publié le 03 novembre 2021 à 6h30 - Mis à jour le 14 décembre 2021 à 15h15 Ressources Comment la CNEDiMTS s’est-elle adaptée à l’arrivée des dispositifs médicaux (DM) embarquant de l’intelligence artificielle (IA) ? Au fur et à mesure de l’évolution des dispositifs médicaux, nous nous dotons d’outils complémentaires nécessaires à leur évaluation, notamment pour l’intelligence artificielle. Nous avons ainsi construit une grille d’analyse des algorithmes auto-apprenants dans les DM, qui a été soumise à consultation publique fin 2019. Notre appel à contributions a été une réussite, avec beaucoup de retours du monde de la santé et du numérique. Il y avait jusqu’alors un “choc des cultures” entre nous et les industriels sur cette question de l’IA. Il était nécessaire de fixer des critères d’évaluation dans le guide de dépôt de dossier auprès de la CNEDiMTS, afin que nous puissions avoir un langage commun avec les fabricants. C’est chose faite depuis 2 ans. La place prise par la télésurveillance médicale dans le PLFSS 2022 va être décisive, car qui dit télésurveillance, dit récupération de données et, j’ose espérer, alerte intelligente. Or, cette alerte “intelligente” suppose par définition un algorithme décisionnel ou un algorithme d’IA. Avez-vous évalué beaucoup de DM avec intelligence artificielle ces derniers mois ? Nous en avons évalué un dédié à la gestion automatisée du diabète et un autre, qui concerne l’apnée du sommeil, a été évalué par le Collège de la HAS, dans le cadre du forfait innovation. Ce dernier dispositif, baptisé Sunrise, est prometteur. Il permettrait d’aider au diagnostic en trois jours et en ambulatoire d’un syndrome d’apnées hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS) à partir de la mesure des mouvements mandibulaires pour identifier les évènements respiratoires pendant le sommeil. Rappelons que le diagnostic du SAHOS prend en règle générale 12 à 18 mois selon les régions et nécessite une hospitalisation. Au total, la HAS et la CNEDiMTS n’ont donc évalué que deux DM intégrant véritablement l’IA, mais les dossiers devraient affluer très prochainement. La place prise par la télésurveillance médicale dans le PLFSS 2022 (qui devrait être inscrite dans le droit commun en 2022, NDLR) va être décisive, car qui dit télésurveillance, dit récupération de données et, j’ose espérer, alerte intelligente. Or, cette alerte “intelligente” suppose par définition un algorithme décisionnel ou un algorithme d’IA. Le dispositif Sunrise, destiné à diagnostiquer un syndrome d’apnées obstructives du sommeil, fait partie des deux seuls DM intégrant l’intelligence artificielle à avoir reçu un avis favorable de la HAS à ce jour Quelle est la principale difficulté dans l’évaluation des DM intégrant l’IA ? L’arrivée de l’IA a bousculé nos processus d’évaluation. Jusqu’à maintenant, nous évaluions des dispositifs stables, figés dans une étude clinique. Lorsqu’on évalue un dispositif avec IA, fonctionnant avec des algorithmes auto-apprenants, nous savons qu’un tel dispositif va évoluer dans le temps. Nous sommes à la HAS des créateurs de confiance et nous devons donc nous assurer que l’outil que nous évaluons va produire un résultat clinique stable ou meilleur dans le temps. Tout DM est évalué pour une période maximum de cinq ans. Pour le dispositif DBLG1 de Diabeloop, nous avons demandé à ce que cette période de validité soit réduite à trois ans. Une étude observationnelle en vie réelle a été demandée, complémentaire à l’étude clinique de départ. S’agissant du dispositif Sunrise, il a été validé dans le cadre du forfait innovation, qui permet à l’industriel d’obtenir le financement de sa technologie pendant la réalisation d’une étude clinique pivot. Que va changer le numérique dans le monde des dispositifs médicaux ? Le numérique va bouleverser l’organisation de nos systèmes de santé. Au travers de l’exemple de Sunrise, nous constatons que, dès qu’il y a du numérique, les frontières explosent. Nous nous sommes mis en ordre de marche pour aider les industriels à construire une argumentation autour de cet impact organisationnel, comme ils peuvent le faire pour la qualité de vie. Vous avez confié il y a quelque temps à mind Health que la CNEDiMTS était à la recherche de “profils geeks“. Est-ce toujours le cas ? Ce n’est plus le cas. Nous voyons tellement passer de dossiers de DM connectés, c’est environ la moitié de ceux que nous étudions, que cet aspect “geek” est devenu une routine pour nous. Nous ne les traitons d’ailleurs plus à part et lorsque certains dossiers font appel à l’intelligence artificielle, nous faisons appel à un expert en IA, externe à la commission. Un tiers des membres de notre commission va être renouvelé au mois de novembre et nous avons tenu à ce qu’il y ait une parité hommes/femmes, même si la loi ne nous y oblige pas. Tous sont en activité, excepté deux en retraite depuis juste quelques mois, et sont donc au fait des nouveautés dans leur domaine. La CNEDiMTS note dans son dernier rapport d’activités que “trop souvent les dossiers déposés par les fabricants sont incomplets, en particulier concernant les données cliniques ou des pièces administratives”. Comment l’expliquez-vous et comment y remédier ? Nous n’arrivons pas vraiment à savoir pourquoi nous recevons autant de dossiers incomplets. Après enquête, il s’avère que ces lacunes ne sont pas spécifiquement liées aux solutions numériques, à la taille de l’entreprise ou à la fréquence des dossiers qu’elle nous soumet, ce qui est assez illogique. En l’absence de repère, nous faisons donc appel à des leviers pédagogiques classiques, au travers de webinaires ou en intervenant directement auprès des syndicats des industriels. Aussi, nous avons remis à jour tous nos documents, pour expliquer comment déposer un dossier et faire comprendre notre méthode d’évaluation, en particulier pour les dispositifs connectés. La HAS a mis en place cette année un nouveau dispositif de prise en charge transitoire pour accorder le remboursement pendant un an “des DM thérapeutiques ou de compensation du handicap présumés innovants”. Qu’est-ce qui a poussé la HAS à prendre cette mesure ? Cette mesure émane du Parlement. Un premier ballon d’essai avait été lancé lors du précédent PLFSS, mais cela n’a pas du tout fonctionné, nous n’avions reçu aucun dossier. Aussi, cette disposition a été modifiée et précisée par un décret du 23 février 2021 et par un arrêté du 11 mars 2021. Du côté de la CNEDiMTS, nous nous sommes organisés pour pouvoir statuer sur chaque demande dans un délai maximal de 45 jours, comme le précise le texte. Vous aviez jusqu’à maintenant le forfait innovation, où le DM peut ne pas être marqué CE et où les données cliniques n’existent pas encore. Ce forfait revient donc à financer une étude. A l’autre bout, vous avez le droit commun : le dossier est complet, il est soumis à la CNEDiMTS pour qu’il soit remboursé. Entre ces deux procédures, il y avait un manque qui est comblé par la prise en charge transitoire. Cela concerne des dossiers qui contiennent des données intermédiaires qui méritent d’être complétées. L’industriel peut gagner un an avec ce dispositif. Nous allons nous prononcer sur des critères bien spécifiques qui vont faire que le DM va être considéré comme “étant susceptible de” répondre à un besoin des patients dans les conditions prévues par les textes. Pour l’instant, nous n’avons pas encore le recul nécessaire pour évaluer ce mécanisme, dans la mesure où un seul dossier a été déposé. Pour tout ce qui est numérique, le problème va être le choix : du professionnel, de l’établissement, du patient, de l’usager… Le nombre d’applications dites de “santé mentale” a explosé ces derniers mois et de plus en plus d’entreprises investissent ce nouveau champ. Appréhendez-vous l’évaluation de ces dispositifs émergents ? Le terme d’applications recouvre des réalités très hétérogènes. Il y a réellement de tout parmi ces solutions numériques. Elles se multiplient, elles vivent, elles meurent, certaines vont être des DM, d’autres non. Du côté de la HAS, nous n’avons pas de visibilité sur tout ce qui est non remboursé ou sur les dispositifs qui s’adressent aux professionnels. Face à ce déferlement de dispositifs en santé, la grande question est de savoir lequel est le bon. Nous avons déjà donné un avis favorable à des applications, par exemple un outil qui permet de prévoir plus rapidement les risques de rechute d’un cancer du poumon. Mais, pour que nous évaluions un dispositif, il faut déjà que ce soit un dispositif marqué CE, avec une finalité clairement médicale… Nous sommes très loin ici de l’application bien-être ! D’une manière générale, pour tout ce qui est numérique, le problème va être le choix : du professionnel, de l’établissement, du patient, de l’usager… Au 1er janvier 2022, les Français auront accès à leur propre Espace numérique de Santé, dans lequel ils pourront faire le choix entre différentes applications santé. La HAS a été saisie par la DNS (Délégation ministérielle au numérique en santé) pour définir des critères de qualité pour ces futures applications. Plus que jamais, l’explosion du nombre de solutions proposées nécessite une analyse. Isabelle Adenot 2017 : Membre du collège de la HAS, présidente de la CNEDMiTS 2014 : Vice-présidente de la Fédération internationale pharmaceutique 2012 : Présidente du groupement pharmaceutique de l’Union européenne 2012 : Membre du conseil d‘administration de l’ANSM 2009 : Présidente du conseil national de l’Ordre des pharmaciens 1999 : Présidente du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Bourgogne Romain Bonfillon AlgorithmesDispositif médicaléditeurEssais cliniquesInnovationIntelligence ArtificielleSécurité socialeTélésurveillance Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Droit Devant Dispositifs médicaux : que change la nouvelle réglementation européenne ? Explicabilité et interprétabilité, critères indispensables de l’IA de confiance Dispositifs médicaux connectés : Un guide de la HAS pour accompagner les industriels à préparer l'évaluation