Accueil > Financement et politiques publiques > À SANTEXPO, regards croisés sur les enjeux des données de santé À SANTEXPO, regards croisés sur les enjeux des données de santé Dans le cadre du salon SANTEXPO, la Fédération hospitalière de France (FHF) organisait le 9 novembre 2021 une table ronde baptisée "Les données de santé, nouvel or noir ?". Réunissant un industriel, un directeur de CHU, une avocate, la directrice du Health Data Hub et le représentant des associations de patients, cette discussion a permis de mettre en lumière la richesse de nos gisements de données… et l’ampleur du travail à mettre en oeuvre pour les exploiter et leur donner de la valeur. Par Romain Bonfillon. Publié le 10 novembre 2021 à 17h25 - Mis à jour le 17 mai 2022 à 9h24 Ressources Le patient au centre de la donnée À l’heure du constat sur la place prise par le numérique en santé, tous les intervenants de la table-ronde sont unanimes : cette place est grandissante et désormais prépondérante, mais encore faut-il définir ce que l’on entend par “donnée de santé”. “Un sondage a montré que 70 à 80 % des Français disent avoir une certaine appétence pour les technologies du numérique en santé”, a noté Gérard Raymond, président de France Assos Santé, mais le niveau d’acculturation de la population générale n’est pas le même que celui des associations de patients. Dès lors, la façon de considérer la donnée diffère. “Les associations voient également dans ces données de santé un moyen d’améliorer le système de santé et de faire de la recherche”. Rappelant que ces données proviennent des patients et que rien ne peut se faire sans eux, Gérard Raymond a rappelé les trois conditions de leur participation pleine et entière : “qu’on les considère comme des partenaires, que l’on offre des garanties de sécurité et que ces recherches soient faites de manière éthique et déontologique”. Notre essentiel pour saisir les enjeux autour des données de santé L’aspect sécuritaire soulève par ailleurs des questions juridiques et, interrogée sur une potentielle judiciarisation autour de la donnée de santé. Maître Laurence Huin, avocate associée au Cabinet Houdart, a remarqué qu’une telle judiciarisation implique des patients informés : “Le RGPD a permis de prévoir une communication aux personnes concernées, notamment en cas de violation des données, comme cela a été récemment le cas à l’AP-HP ou avec Francetest. Une fois informées, ces personnes peuvent exercer leur droit. La Cnil dans son dernier rapport d’activité précise que le nombre de plaintes a augmenté de 62 % donc les Français commencent à s’emparer de ces sujets. Ils peuvent aller devant des juridictions demander réparation de leur préjudice. Mais ils ont désormais aussi la possibilité de déclencher des actions de groupe”. Soulignant l’indulgence actuelle des autorités de contrôle (au regard par exemple de la mise en demeure de Francetest par la Cnil), Laurence Huin s’est ainsi demandée combien de temps cette clémence durera… De son côté, Stéphanie Combes, directrice générale du Health Data Hub (HDH), a rappelé la place prise par les patients au sein du HDH. “Nous avons décidé de mettre en place une direction citoyenne (Gérard Raymond est également vice président du Health Data Hub, ndlr) parce que nous trouvions que la participation des usagers se faisait très souvent par le prisme du juridique et de la technique, alors qu’il y a besoin de les embarquer sur les bénéfices. C’est aussi eux qui peuvent pousser la recherche à aller plus vite, à développer de meilleures applications”. La France bien placée… pour l’instant Rappelant l’extraordinaire gisement de données de santé dont bénéficie la France grâce au SNDS, Stéphanie Combes a précisé qu’il s’agissait essentiellement de données administratives (les feuilles de soins gérées par l’Assurance maladie, ce qui exclut les résultats d’examens, ndlr) et que c’est en les croisant et en les chaînant avec les données cliniques des établissements de santé que la France pourra conquérir une place de leader. “Sur ce sujet, il y a urgence à aller vite car au niveau international, beaucoup d’acteurs se positionnent ! Les croisements doivent être faits au plus vite.” “Nous sommes bien partis, mais il y a une vraie accélération à mettre en place qui passe par la mise en place d’une redevance et d’une véritable vision stratégique de l’État” Stéphanie COMBES, dg du health data hub Derrière cette urgence, se posent aussi plusieurs questions, et Stéphanie Combes a relevé encore plusieurs points à régler : la mise en place d’une tarification pour l’accès aux données (comment couvrir les coûts relatifs à la mise à disposition de la donnée à des tiers ?), le financement de ces bases de données, la question du retour sur investissement pour les acteurs à l’origine de la collecte des données… Données de santé : qui accède au SNDS et dans quels buts ? Aussi, selon elle, “nous sommes bien partis, mais il y a une vraie accélération à mettre en place qui passe par la mise en place d’une redevance et d’une véritable vision stratégique de l’Etat : que souhaite-t-on faire de notre patrimoine de données de santé ? Peut-être que l’Europe va nous aider à développer ces travaux. Un “Data gouvernance Act” est en cours de préparation et va donner quelques axes sur ces sujets de redevance et un autre texte européen sur le partage des données de santé verra la jour début de 2022″. “Plus l’on s’occupera des GAFAM, et moins l’on s’occupera de nous” Alexandre Vainchtok, PDG de Heva Un or noir… à raffiner Pour Alexandre Vainchtok, PDG de Heva, une société spécialisée dans l’analyse des données de santé, notamment celles issues des bases médico-administratives), “plus l’on s’occupera des GAFAM, et moins l’on s’occupera de nous. Aujourd’hui, nous sommes assis sur une mine d’or et il ne faut pas sous-estimer la difficulté à qualifier la data et à la rendre exploitable. Avant, la France était un comptoir commercial pour les industries pharmaceutiques, aujourd’hui elle est devenue incontournable dans l’évaluation en vie réelle en Europe. Des grands laboratoires internationaux, suisses, américains, britanniques, mettent en place en France des études en vie réelle à partir des jeux de données de l’Assurance-maladie, seuls ou croisés avec des données plus cliniques. Il ne faut pas rater ce tournant si l’on veut connaître un boom économique lié à la donnée”. Au-delà de l’aspect économique, a-t-il rappelé en s’appuyant sur l’actualité sanitaire de la semaine, “les recommandations de la HAS concernant le vaccin de Moderna (ayant provoqué quelques cas de myocardites, NDLR) ont été prises très vite, grâce aux données de l’Assurance-maladie et à des méthodes de redressement statistique basées sur l’intelligence artificielle. Une telle réactivité aurait été impossible s’il avait fallu construire des essais cliniques classiques”. Croiser les données de santé pour mieux soigner Le constat sur la valeur de la donnée est le même du côté des hospitaliers et Jean-François Lefebvre, qui dirige le CHU de Limoges, a souligné que l’or noir de la donnée de santé demande à être raffiné. Or, le classement et la mise en valeur des données nécessite un personnel très qualifié et un temps important. “Apparier des données cliniques avec des données non médicales permet de développer une médecine plus prédictive, préventive et personnalisée”. S’il reconnaît les forces de la France, notamment son riche écosystème de start-up, il craint, comme le HDH, que notre pays se fasse doubler dans la course internationale déjà bien engagée. “Le marché des données est mondial et nous ne devons pas laisser notre place aux autres acteurs”, notamment les moins disants éthiques et déontologiques, que sont la Chine et les États-Unis. A cet égard, même si notre réglementation, notamment celle de la Cnil, est “très exigeante”, il ne souhaite pas transiger sur cette “garantie de sécurité pour le patient”. La question éthique La France serait-elle donc trop portée sur l’éthique, concernant la gestion de ses données de santé ? Pas forcément selon l’avocate Laurence Huin: “J’ai pu observer au travers de différents projets de recherche dans des hôpitaux une problématique récurrente : des praticiens, chefs de service, peuvent avoir tendance à considérer que les données de santé de leurs patients leur appartiennent. Leur utilisation de ces données n’est heureusement pas mercantile, mais ils vont transférer, à des fins de recherche, ces données à des associations qu’ils soutiennent…sans que l’établissement soit au courant. Il faut donc mettre en place une gouvernance des usages de la donnée. Nommer un DPO n’est pas suffisant, il faut cadrer les usages et se donner la possibilité de potentiellement sanctionner. Les chartes informatiques existent, mais sont rarement opposables à tous les utilisateurs du SI de l’hôpital”. Reconnaître la valeur donnée à la donnée Entre une donnée brute et une donnée utilisable, il y a un travail, une innovation et des talents qu’il s’agit de reconnaître, explique Jean-François Lefèbvre. Pour le DG du CHU Limoges, la question est à la fois culturelle et financière : comment financer la mise en place d’un vaste réseau de coopération pour structurer les données des hôpitaux, à l’échelle régionale ou interrégionale ? “La donnée ne se traite pas sans les chercheurs” Jean-François Lefèbvre. DG du CHU Limoges En partenariat avec le Health data hub (qui ne peut pas à lui-seul gérer et structurer toutes les données de santé en France) les CHU et CLCC doivent constituer des entrepôts de données… et y consacrer des moyens structurels. “La donnée ne se traite pas sans les chercheurs”, souligne-t-il, avant de rappeler que la recherche est aujourd’hui financée par la publication. Grâce à la donnée qui se partage, on ouvre la porte à un nouveau mode de financement de la recherche ». Entrepôts de données de santé : le nouveau référentiel de la Cnil Cyrille Politi, conseiller Transition Numérique à la FHF et animateur des débats résumera les échanges en rappelant que “les données de santé sont du pétrole brut, la question et l’enjeu principal concerne la raffinerie que l’on met derrière et que l’État pourrait financer. Il y a un gros effort réalisé par des acteurs privés pour mettre en valeur cette donnée. Cet effort doit recevoir une compensation”. Romain Bonfillon CNILDonnées de santéGAFAMHealth data hubPatient Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind