Accueil > Financement et politiques publiques > De l’amorçage à l’IPO, les défis de financement des biotechs De l’amorçage à l’IPO, les défis de financement des biotechs De plus en plus contraints par un contexte international difficile, les fonds d’investissements sont aussi plus exigeants envers les start-up qui les sollicitent. A l’occasion de l’événement Healthtech CFO day, organisé par France Biotech, plusieurs d’entre eux ont partagé leurs attentes et conseils aux start-up, en fonction de leur stade de développement. Par Sandrine Cochard. Publié le 25 octobre 2022 à 22h29 - Mis à jour le 20 février 2023 à 17h54 Ressources Alors que le secteur de la santé numérique poursuit son ralentissement aux États-Unis, où de nombreuses sociétés ont réduit leurs effectifs depuis juin dernier, quelles sont les attentes des fonds d’investissement aujourd’hui ? Et comment le contexte international influence-t-il les stratégies de financement ? Les enjeux en early-stage L’équipe “Avoir une bonne équipe est essentiel, encore plus en amorçage. Il n’y a pas d’équipe type, en revanche il faut avoir une équipe”, estime d’emblée Catherine Boule, Managing Partner chez Karista, une société de gestion indépendante qui investit principalement en early stage dans divers secteurs (digital, health tech, deep tech) et a lancé sa 100e société il y a quelques mois. “Nous évitons au maximum les mono-entrepreneurs car créer une entreprise est compliqué, notamment une biotech. Il vaut mieux partir à plusieurs, avec des compétences et des expériences complémentaires”, note-t-elle. Les compétences de départ portent en priorité sur des compétences scientifiques, puis des compétences de direction et financières (les fonds peuvent aussi être force de proposition pour trouver les bons profils). Les start-up qui démarrent et n’auraient pas finalisé leur équipe ne sont pas écartées pour autant. “En amorçage, on peut considérer des équipes incomplètes, poursuit Catherine Boule. En revanche, certaines choses sont importantes : la vision, sinon il est compliqué d’imaginer les produits de demain et d’après-demain, et savoir douter. On ne peut pas tout savoir et tout avoir fait. Le pire est d’avoir des certitudes erronées ! Côté investisseurs, nous avons plus de mal à évoluer avec des équipes pétries de certitudes. Si à un moment donné, il faut changer ou renforcer telle partie de l’équipe, c’est important que les personnes écoutent nos conseils.” Les start-up françaises de la e-santé ont levé 81 millions d’euros au troisième trimestre 2022 “Je dirais qu’il vaut mieux ne pas avoir d’équipe du tout qu’une mauvaise équipe ! estime de son côté Alain Huriez, Président de la société de gestion indépendante AdBio, orientée en thérapeutique et développement de médicament. C’est-à-dire des porteurs de projet qui ne comprennent pas de quoi ils parlent… Or, si le discours n’est pas solide, les fonds d’investissements ne viendront pas. Nous préférons finalement qu’il n’y ait pas d’équipe car parfois, les entrepreneurs ont du mal à écouter les conseils. Nous avons encore en 2022 beaucoup de naïveté dans certains plans de développement présentés, avec des besoins sous-évalués par rapport à la réalité.” AdBio, qui a créé 5 biotechs, a lancé un premier fonds de 70 M€ en 2017-2018 et a closé son deuxième fonds de 100 M€ cette année. Spécialisée en amorçage, la société a l’habitude de travailler avec des chercheurs et d’accompagner leur développement en mettant à leur disposition des ressources internes comme des operating partners dont le rôle est de structurer la start-up et de préparer, plus tard, sa scalabilité et son déploiement à l’international. Transparence et alignement des associés Dernier point d’attention concernant l’équipe : s’assurer de l’alignement des associés. “Il est nécessaire de partager des valeurs, d’avoir une vision commune et de s’associer correctement car lorsqu’il faut défaire derrière, c’est encore pire pour le projet, l’entreprise et l’investisseur, alerte Catherine Boule. On voit encore parfois des personnes se présenter en n’étant pas d’accord sur le fond, sur la forme, sur rien et il n’y a rien de pire pour lever de l’argent. D’ailleurs, on n’en lève pas en général…” Enfin, Catherine Boule encourage les biotechs qui démarrent à la transparence. “En amorçage, on n’a souvent pas grand chose à montrer. Il faut construire un lien de confiance particulier avec une équipe d’investissement et si jamais vous perdez ce lien, en n’ayant pas tout dit, c’est très compliqué de reconstruire cette confiance. Or, il est très difficile d’être financé derrière si votre investisseur de référence ne vous refinance pas. On peut faire des erreurs, on peut prendre du retard dans un business plan, il faut juste expliquer pourquoi et corriger ensemble rapidement.” “L’accompagnement par un fonds d’investissement a un prix et ce prix, c’est la confiance, abonde Luc Boblet, fondateur et dirigeant de Egle Therapeutics, un spin-off de l’Institut Curie qui a levé 40 M€ en 2021. Il faut apprendre à se connaître et à connaître le projet. S’immerger prend du temps, surtout sur des technologies qui sont de plus en plus complexes. Nous proposons quelque chose qui n’a jamais été fait ailleurs, pour lequel il n’existe aucun benchmark. Tout l’enjeu est donc de convaincre un investisseur et de faire en sorte qu’il se projette avec nous. Cela prend du temps : six mois, dix mois, voire un an sur les levées d’envergure. En tant qu’entrepreneur, il est important de savoir vers qui on veut aller, mais aussi de comprendre les enjeux des investisseurs. On ne lève pas de l’argent avec tout le monde, on ne travaille pas avec tout le monde.” Quid des business angels et petits porteurs ? Pour ses premiers financements, une biotech peut également s’orienter vers des business angels, qui interviennent souvent en early-stage. “Nous n’avons aucun problème à co-investir avec les business angels, au même moment ou après, précise Alain Huriez. Mais il est nécessaire d’avoir un business angel éclairé, c’est-à-dire quelqu’un qui sait exactement où il met les pieds : la biotech, c’est long et très risqué, avec un grand besoin de capitaux… Il faut leur dire très clairement la règle du jeu pour éviter la frustration derrière car certains ont des attentes irréalistes, parfois au détriment de l’entreprise.” De son côté, Catherine Boule note deux points d’attention sur les business angels: “Nous investissons avec eux ou juste après. Nous avons déjà été confrontés à des situations où l’angel se prend pour le CEO… Les angels ont également une sensibilité à la valorisation qui est moins forte que la nôtre et sont parfois prêts à payer (trop) cher, par inexpérience.” Ce qui peut poser des problèmes au tour de financement suivant. Quant aux projets financés par plusieurs petits porteurs, Karista “ne dira pas non à cause de ça”… mais le nombre d’actionnaires est à limiter. “Si vous en avez 500, c’est un sujet, estime Alain Huriez. J’ai déjà investi dans des cas où il y avait 40 actionnaires, donc ce n’est pas rédhibitoire. La question est plutôt de savoir ce qu’on leur a vendu et quelles sont leurs attentes ?” De nouveaux deals à inventer S’adapter au contexte A partir de la série C, les enjeux portent sur la croissance, l’accès marché et le développement de la biotech. Dans cette phase où les besoins de financement sont plus importants, le contexte international de crispation du marché n’aide pas. “Nous traversons une période difficile depuis 18 mois, reconnaît Cédric Moreau, Associé chez Sofinnova Partners. Nous avons perdu plus de 50%, jusqu’à 70% même, sur les indices depuis février 2021. Le financement est plus difficile et les aspects inflationnistes ou de couverture de change, qui n’étaient pas des sujets auparavant, deviennent des éléments importants dans les comités d’audit.” Actuellement, le premier enjeu consiste donc à regarder toutes les options possibles de financement, qu’elles soient dilutives ou non… quitte à explorer de nouvelles voies. “C’est un temps qui peut être propice à des accords de licence avec l’industrie pharma, poursuit-il. On prend la MVP du projet (minimum viable product, NDLR) et on fait en sorte de licencier un territoire ou une indication.” C’est ainsi que la biotech Inventiva, du portefeuille de Sofinnova, a signé un accord de licence en Chine en septembre après avoir creusé ses pertes au premier semestre 2022 (29,5 M€ de perte contre 23,1 M€ au premier semestre 2021). Résultat : “un upfront à deux chiffres”, selon Cédric Moreau. “Cela permet de ne pas complètement vendre le produit, de garder l’essentiel de la valeur, et de faire entrer de l’argent à court terme.” Imaginer de nouveaux deals Autre voie possible : la venture debt, peu dilutive et qui fonctionne comme une dette avec un nominal (amortissable ou in fine) et des intérêts auxquels est ajoutée une option d’achat de titres de la société (warrants). “Les instruments de dette offrent de la flexibilité mais les termes sont généralement assez coûteux. Il faut donc être très attentif et regarder tous les aspects du deal : amortissement, couvertures, warrant coverage, risques et tous les aspects collatéraux”, analyse Cédric Moreau. Enfin, les bridges financiers peuvent également être un atout. Récemment, Sofinnova a réalisé avec Abivax, une société cotée, avec une levée de fonds de 50 M€. “Nous avons structuré le deal en attachant aux actions un sweetener pour les nouveaux investisseurs qui est un royalties certificate. Cela permet d’attirer de nouveaux investisseurs, de les intéresser au succès futur du produit et d’avoir un pourcentage des ventes (capé), explique Cédric Moreau. Pour la société, cela permet de repousser la dilution et de limiter la décote. Là, en l’occurrence, c’était même une prime ce qui est plutôt agréable dans des marchés très compliqués, mais cette prime n’était négociable et possible que par ce certificat de royalties attaché.” Dans ce cas précis, Sofinnova n’a pas sollicité de sociétés spécialisées dans les acquisitions de royalties pharmaceutiques. “En général, elles demandent que l’asset soit totalement dérisqué, à 90% ou plus, et que le produit soit sur le marché à horizon 12 à 18 mois. Or, notre produit entrait en phase 3 et ne sera probablement pas sur le marché avant 3 ans.” Préparer l’IPO (très) en avance Sofinnova Partners intervient généralement en série C. “Lorsque nous entrons à ce moment-là, notre réflexion est de savoir comment outiller la société pour l’aider à passer la prochaine étape. Nous appliquons la même stratégie, qu’il s’agisse de sociétés privées ou publiques. Ce qui est important, c’est l’actif, l’équipe, le prix et le projet. L’étape qui suit est souvent la préparation de l’introduction en bourse et la réflexion porte alors sur les trous à combler en termes de staffing, de management et éventuellement en termes de pipeline car être monoproduit ou monoindication, ce n’est pas terrible. A ce stade, nous avons déjà des idées d’acquisition ou de nouveaux projets à intégrer et différentes stratégies en fonction du marché, explique Cédric Moreau. Mieux on anticipe les choses et mieux on est préparé… parce qu’évidemment, tout ne se passe jamais comme prévu !” Le rôle des fonds crossover La préparation d’une introduction en bourse (IPO) prend du temps, au moins six mois, voire plus aujourd’hui. Pour aider à dérisquer une IPO, Alice Aymé, Head of Corporate Finance chez le broker TP ICAP Midcap (qui accompagne les sociétés dans leur IPO) recommande de se tourner vers les fonds crossover, et plus généralement les investisseurs cornerstone. “A part Sofinnova qui a eu l’intelligence d’avoir une approche private equity en bourse, à ce jour, les fonds crossover sont majoritairement américains”, rappelle-t-elle. Trois catégories de fonds crossover Les assets managers. “Chaque gros hedge fund type Andersen a une poche crossover qui représente 5 à 10% de leurs encours. Ce qui est intéressant avec cette catégorie d’investisseurs, c’est qu’ils connaissent très bien la science – ils ont des PhD dans leurs effectifs – et qu’ils ne vont pas être très présents en termes de gouvernance. Le revers de la médaille est qu’ils sont peut-être un peu plus volatiles”, estime Alice Aymé. Les investisseurs qui interviennent comme crossover. “Ils connaissent bien la science et sont donc capables d’évaluer la biotech, ce que vaut la technologie et ce que vaut l’entreprise. En revanche, ils seront peut-être un peu plus présents dans la gouvernance. Le côté positif, c’est qu’ils sont là pour accompagner sur le long terme. Sur des marchés financiers compliqués, avoir ce type d’investisseurs est un atout.” Les Family office. “Ce sont des profils un peu plus opportunistes mais qu’il est intéressant d’avoir, comme des investisseurs entrant sur une thématique précise.” Ces fonds représentent aujourd’hui une réelle alternative qui s’implante de plus en plus. “Depuis 2-3 ans, les cornerstone doivent représenter 30% des deals lorsqu’on lance l’IPO, tous secteurs confondus, et c’est beaucoup plus sur la biotech, analyse Alice Aymé. Pour Maat pharma (dont l’introduction en bourse sur le marché Euronext a eu lieu en novembre 2021), ils représentaient la moitié des souscriptions.” Le moment de l’introduction en bourse est un facteur-clé. “Il faut arriver au bon moment pour que la bourse soit un vrai levier permettant de relever de l’argent, souligne Alice Aymé. Mais le timing est clé : dans le passé, certaines sociétés sont entrées trop tôt. Ce n’est plus possible aujourd’hui.” Sandrine Cochard BiotechsFinancementsFonds d'investissement Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Andera Partners clôt la levée de son fonds BioDiscovery 6 à plus de 450 M€ Turenne Groupe lève 150 M€ pour le fonds santé Next Health Capital Incepto lève 27 M€ pour s’étendre en Europe SparingVision lève 75 M€ pour sa thérapie génique de la rétinite pigmentaire Dataroom 9 tendances d'innovation dans les filières medtech, santé numérique et biotech