Accueil > Financement et politiques publiques > Chahra Louafi (Bpifrance) : “Le capital ne peut pas tout résoudre, il faut un savoir-faire” Chahra Louafi (Bpifrance) : “Le capital ne peut pas tout résoudre, il faut un savoir-faire” Fin 2020, Bpifrance et plusieurs partenaires privés et institutionnels* lançaient le dispositif Santé Numérique qui se déploie autour de trois axes : la création d’une communauté d’acteurs donneurs d’ordre, l’incubateur national d’entrepreneurs et le renforcement du fonds Patient Autonome de Bpifrance, que dirige Chahra Louafi. Elle dresse, quinze mois après le lancement de ce dispositif, un premier bilan. Par . Publié le 12 avril 2022 à 23h00 - Mis à jour le 12 avril 2022 à 14h43 Ressources Qu’est-ce qui a poussé Bpifrance à créer le dispositif Santé Numérique ? Au cœur du dispositif de Bpifrance se trouve le fonds Patient Autonome, qui a été lancé début 2018. Ce fonds investit, en phase d’amorçage et série A, dans des start-up de la santé numérique qui développent des solutions répondant aux enjeux de santé publique. Mais, au bout de deux ans d’activité, nous nous sommes rendus compte qu’il existait des failles au niveau du marché et que le capital ne pouvait pas tout résoudre. En travaillant avec les donneurs d’ordre de la santé numérique, nous avions remarqué que les entrepreneurs étaient très isolés. Il n’existait pas pour eux de chemin suffisamment clair pour les aider à développer leurs innovations jusqu’à l’accès au marché et les mener jusqu’aux fonds d’investissement. Ces entrepreneurs, comme leur clients donneurs d’ordre, avaient aussi tendance à travailler en silo, sur leur propre verticale, donc sans réelle vision de la chaîne de valeur. Par ricochet, les propositions de valeur qui nous parvenaient étaient partielles et manquaient de vision. Une troisième problématique était celle de l’accès au marché, pas suffisamment fluide, par manque de conduite du changement. Le capital ne peut pas tout résoudre, il faut un savoir-faire et donc un transfert d’expertise. D’où la création du dispositif Santé numérique, qui est un incubateur et qui accompagne des start-up recrutées par des appels à projets. Bpifrance annonce que la capacité du fonds Patient Autonome sera portée à 100 M€ Quelle est son originalité par rapport à tous les incubateurs existants ? Ce sont les principaux acteurs du marché de la santé numérique, regroupés au sein de notre communauté de donneurs d’ordre, qui vont sélectionner les start-up à l’entrée de l’incubateur. Ils connaissent parfaitement les segments de marché, le terreau des innovations prometteuses et leur expertise va, dans les programmes d’accompagnement, permettre de fluidifier la stratégie go-to-market des entrepreneurs. Ils font donc office de mentors. La collaboration entre donneurs d’ordre sur des verticales différentes nous permettra également d’identifier les failles de marché. Notre logique top-down, très axée sur le business, permet de faire grandir les entrepreneurs. Suite à cet accompagnement, l’investisseur aura une action beaucoup plus efficace. Il y a d’ailleurs une grande porosité avec le fonds Patient Autonome, qui peut être amené à financer les sociétés qui ont été accompagnées. In fine, notre objectif est de provoquer le changement d’échelle. Agnès De Leersnyder (Future4care) : “Notre enjeu est que les entrepreneurs français trouvent leur place sur le marché de la santé numérique”Professeur Antoine Tesnière (PariSanté Campus): “L’enjeu est de fédérer l’écosystème du numérique en santé” Pour que notre impact soit fort, nous sélectionnons des start-up qui sont au maximum à 18 mois de l’accès au marché Quel est le profil des acteurs que vous accompagnez et a-t-il évolué ? Depuis 2020, beaucoup de structures d’accompagnement, comme Future4Care et ParisSanté Campus, ont été créées sur le marché de la santé numérique. Les start-up sont montées en expérience car elles ont aujourd’hui de nombreux jury devant lesquels pitcher, et cela se ressent. Concernant les acteurs que nous accompagnons, nous essayons de rester ouverts à tous les segments de marché de la santé numérique. Mais pour que notre impact soit fort, nous sélectionnons des start-up qui sont au maximum à 18 mois de l’accès au marché. Avec la thérapie digitale, par exemple, nous dépassons forcément ce délai, car des essais cliniques, souvent longs, sont nécessaires. Nous demandons aussi que la solution proposée ait reçu une validation, sous la forme d’une preuve de marché : par exemple l’utilisation par quelques médecins, le fait d’avoir déjà levé des subventions, d’avoir créé un partenariat… Quel bilan chiffré pouvons-nous tirer du dispositif ? La communauté Santé Numérique, constituée d’acteurs donneurs d’ordre compte aujourd’hui 400 membres. Nous avons accompagné 18 sociétés au total, pendant 6 mois. Trois projets collaboratifs ont également été déployés par et entre les donneurs d’ordre. Le premier est dédié aux soins de support en oncologie, il est porté par Vivalto Santé et Harmonie Mutuelle. Le second partenariat, entre Mes Docteurs et le CHU d’Orléans, concerne les territoires de santé intelligents. Il vise à faciliter la coordination entre la ville et l’hôpital, en utilisant l’intelligence artificielle et les outils numériques de télémédecine. Enfin, le troisième projet, porté par Dassault Systèmes et Vivalto, porte sur la chaîne de valeur. Il s’agit d’un travail de cartographie et de partage d’informations pour que l’on ait un référentiel commun. Nous avions en effet du mal à parler le même langage au début du dispositif… Bpifrance présente la nouvelle promotion de son incubateur “Santé numérique” Comment se manifestent ces différents langages ? Nous agissons tous pour guérir un patient, c’est ce qui nous réunit, mais cet acte-là n’est pas vu partout de la même manière. Quand nous discutons avec une clinique, elle nous parle plus en termes de coûts que d’investissements ; avec un acteur du Big data , nous sommes sur des sujets de valorisation de la “data” ; avec un fonds d’investissement, comme Patient Autonome, le sujet est l’augmentation de la valeur des titres juridiques associés à une prise de participation ; avec une mutuelle, il faut penser reste-à-charge… Nos critères d’évaluation du succès n’étaient pas les bons, puisque chacun avait les siens. Il a donc fallu mettre nos différences de côté et nous recentrer sur la meilleure façon de concevoir nos actions pour qu’elles soient efficaces. Finalement, l’amélioration des parcours de soin et le changement d’échelle des start-up résument les objectifs de chaque partie prenante car ils intègrent de fait les paramètres de validation nécessaires à la création de valeur d’une solution de santé numérique. Au regard des dernières levées de fonds en France et de la nature des dossiers que vous recevez, y a-t-il des domaines de la santé numérique ou des types de solutions qui vous semblent particulièrement porteurs ? Nous faisons un tri en fonction des dossiers que nous recevons et des segments de marché, qui sont censés être les mêmes quel que soit le référentiel. La majorité des dossiers que nous recevons concernent les innovations de parcours de soins, donc nous nous y intéressons particulièrement. “Prévention et big data” est un sujet extrêmement prometteur et sur lequel nous allons plus agir, même si le modèle économique reste encore à trouver. La pandémie, avec les ruptures de soins que nous avons connues, nous incite à anticiper, à aller “un cran plus tôt” sur le sujet des parcours, pour éviter aux personnes de basculer dans la maladie. Nous constatons beaucoup de consolidations sur ce segment des parcours et nous devons profiter de cette vague d’accélération pour que les solutions qui seront proposées demain aux établissements soient complètes, presque clé en main. Le marché de la santé numérique n’a réellement débuté qu’en 2017. Le benchmark dans le secteur est d’ailleurs totalement neuf. Bpifrance et Impact Healthcare ont publié une étude, réalisée en mai et juin 2021, qui révélait que les start-up peinent à convaincre les investisseurs, une fois passée leur phase d’amorçage. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ? Le marché de la santé numérique n’a réellement débuté qu’en 2017. Le benchmark dans le secteur est d’ailleurs totalement neuf. L’amorçage était un sujet jusqu’au premier semestre de 2021, mais nous voyons bien que les levées de fonds, en termes de montant, ont depuis franchi un cap. Nous sommes entrés dans un cycle de scalabilité. Les entreprises doivent s’adapter pour être capables de soutenir, à la fois sur les plans économique et opérationnel, une croissance forte et rapide. De fait, cette scalabilité passe aujourd’hui également par de la consolidation. Pour pouvoir gagner la confiance des clients et prendre le marché le plus vite possible, les séries A se font aujourd’hui autour de 20 M€ en moyenne. Il faut aussi afficher un montant assez conséquent parce qu’il existe de nombreuses incertitudes sur le marché pour les années à venir. Les HealthTech françaises passent “un cap de maturité” Le dispositif Santé Numérique va-t-il évoluer dans l’avenir ? L’idée est qu’il s’adapte aux besoins du marché, qui ne cessent d’évoluer dans le secteur de la santé numérique. Ce marché mouvant nous oblige à être agiles. Les besoins actuels auront peut-être changé dans un an… (*)Les partenaires du dispositif Santé Numérique : AstraZeneca, Bpifrance, Dassault Systèmes, Elsevier Masson, Fondation Université Paris Cité, Hopsiia, Harmonie Mutuelle, Inetum, le Groupe La Poste, Medtronic, Mes Docteurs, Tessi, Université Paris Cité et Vivalto Santé. Les premiers impacts du dispositif Santé numérique • 3 nouveaux partenariats entre start-up et/ou des donneurs d’ordres : Harmonie Mutuelle et Vivalto Santé, Astrazeneca et Kiro, Health for People et Sêmeia ; • 8 investissements réalisés dans des start-up de la santé numérique : Willo, Invivox, Incepto Medical, Lucine, Mila, Nouveal, NaoX Technologie, et un huitième investissement en cours ; • 18 start-up membres de l’incubateur d’entrepreneurs en santé numérique, réparties sur 3 promotions, et sélectionnées par un jury de 15 acteurs clés de l’écosystème, partenaires du dispositif ; • Plus de 400 membres dans la Communauté Santé Numérique ; • 3 projets collaboratifs en cours autour de la chaîne de valeur en santé numérique, de la gestion intelligente du territoire de santé, et des soins de support en oncologie ; • 400 participants aux 5 événements dédiés à l’écosystème Santé Numérique. Chahra Louafi Depuis 2018 : Directrice du Fonds Patient Autonome à Bpifrance Depuis 2015 : Senior Investiment director à Bpifrance 2013-2015 : Investment director à Bpifrance AccélérateurFinancementsIncubateursInnovationLevée de fondsParcours de soinsstart-up Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind