Accueil > Financement et politiques publiques > Franck Mouthon (France Biotech) : “Nous co-construisons avec l’État la filière healthtech pour une meilleure compétitivité de la France” Franck Mouthon (France Biotech) : “Nous co-construisons avec l’État la filière healthtech pour une meilleure compétitivité de la France” France Biotech est une association indépendante qui fédère plus de 550 acteurs de la healthtech. Franck Mouthon, son président, nous éclaire sur les grands enjeux d’une filière préoccupée à la fois par les tensions dans la bioproduction, des problématiques d’accès au marché, de financement et d’attractivité de la recherche clinique. Par Romain Bonfillon. Publié le 14 février 2023 à 22h33 - Mis à jour le 12 mars 2024 à 14h25 Ressources En novembre 2022 est née l’Agence de l’innovation en santé (AIS). Quel rôle comptez-vous y jouer ? Dès 2020, nous avons été parmi les premiers à proposer la création de cette agence car l’on voyait bien qu’il manquait dans notre système un catalyseur. Nous voulions plus de cohérence et de transversalité, entre les 3 acteurs clés de l’innovation en santé sur le territoire, à savoir le ministère de la recherche, celui de la santé et celui de l’industrie. Nous sommes aujourd’hui très engagés pour soutenir le déploiement de l’AIS. Nous partageons toutes les informations de terrain pour que Lise Alter puisse tirer profit de celles qui lui sont nécessaires pour œuvrer au plus proche des situations des entreprises. Dr Lise Alter (AIS) : “Nous voulons être un catalyseur des innovations pour les patients” Quels sont par exemple les chantiers qu’il vous semble important de mener avec l’AIS ? Sur les enjeux d’attractivité clinique, il est évident que nous avons encore un certain nombre de progrès à faire. On peut néanmoins se féliciter du GIO (guichet innovation et orientation, ndlr)) de l’ANSM, qui a permis à un certain nombre d’entrepreneurs, et notamment les plus jeunes, de bénéficier d’un accompagnement sur des questions réglementaires ou des questions de plan de développement clinique. Après 2 ans d’existence du GIO, les volontés de l’élargir et de l’amplifier, avec l’AIS et la HAS nous semblent une excellente opportunité d’accélérer et de fiabiliser les plans de développement tout en faisant remonter les situations à débloquer. Que manque-t-il à la France pour qu’elle soit plus attractive dans le domaine de la recherche clinique ? Il faut que nous ayons la capacité de recruter beaucoup plus vite sur le territoire. Cela suppose d’abord d’avoir des dispositifs efficients dans le cadre de la nouvelle réglementation européenne et des comités de protection des personnes (CPP) plus réactifs et plus experts notamment dans le domaine des médicaments de thérapie innovante. Nous avons à ce niveau besoin d’experts très pointus à l’image de ce que nos voisins arrivent à faire en matière de délais de réponses. Aussi, nous nous avons besoin d’une forme de cohérence et de continuité entre le réglementaire et l’évaluateur, qui permet la prise en charge par le système de santé. Les nouvelles méthodologies cliniques (les essais baskets, les essais cliniques avec des bras synthétiques…) doivent être intégrées dans la dimension du réglementaire et de l’évaluateur. C’est un vrai levier d’attractivité pour la France. La DNS vient de lancer la construction d’une version expérimentale de la future base nationale des essais cliniques. Que va-t-elle changer ? Cette plateforme contribuera à accélérer le recrutement dans les essais, qui sont actuellement sous-efficients sans emboliser les investigateurs. Je pense en particulier à certaines formes de maladies rares, et à certaines pathologies pour lesquelles les citoyens français doivent pouvoir identifier où se font les études et s’ils peuvent rentrer dans les critères d’inclusion. La future base nationale des essais cliniques entre dans le concret Parmi tous les chantiers que vous évoquez, lequel vous semble le plus proche d’aboutir ? Il faut très vite que l’on soit au meilleur des capacités d’exécution des essais cliniques, à la fois dans leur rapidité de recrutement, mais aussi dans leur méthodologie. Nous pouvons nous attendre à voir des choses se passer cette année sur le plan des CPP, pour qu’ils soient plus véloces notamment sur le sujet des médicaments de thérapie innovante. Sur la prise en charge du numérique en santé dans le droit commun, sur la création d’actes innovants sur le territoire, sur l’amélioration de l’efficience des accès précoces pour les différentes familles de produits, sur le renfort de l’ancrage des healthtech dans le soin, nous avons de bons espoirs de voir progresser ces chantiers en 2023. L’ANS a annoncé le 26 octobre dernier le lancement d’une taskforce dont la mission sera d’harmoniser les critères d’évaluation des dispositifs médicaux numériques (DMN) à l’échelle de l’UE. Etes-vous concernés par ces travaux ? France Biotech regroupe parmi ses plus de 550 adhérents des entreprises de la biotech, du dispositif médical et des entreprises du numérique en santé, dans toutes ses dimensions. Depuis quelques années, la porosité entre ces différentes familles technologiques s’est accrue. Nous travaillons tous sur des parcours patients, chacun est amené à collecter des données importantes pour les autres afin de “dérisquer” les projets. On voit bien que c’est un assemblage de ces différentes technologies qui, à terme, va prendre en charge nos patients. Donc oui, pour nous, harmoniser les critères d’évaluation des DMN a beaucoup de sens et nous œuvrons dans ce sens pour permettre aux solutions mieux disantes d’être encouragées. Les bonnes pratiques adaptables qui existent dans le médicament pourraient d’ailleurs être déclinées dans le numérique en santé et pour les DM, et réciproquement. La France importe aujourd’hui 95% des biomédicaments (médicaments issus du vivant) vendus sur son territoire. L’Etat va consacrer d’ici 2025 près de 850 millions d’euros pour augmenter nos capacités de bioproduction. Où en est le déploiement de ce plan ? Cette stratégie d’accélération s’est déployée courant 2022 avec un certain nombre d’appels à projets qui ont été mis en oeuvre par Bpifrance. Un PEPR (Programmes et équipements prioritaires de recherche, ndlr) bioproduction a également été mis en place co-piloté par le CEA et l’INSERM. En outre, l’association France Biolead, dont France Biotech fait partie des co-fondateurs a été créée pour animer la filière des acteurs publics et privés de la Bioproduction sur le territoire., Aujourd’hui, l’ambition est toujours de réindustréaliser le pays au niveau de la bioproduction. Des CDMO (Contract Development Manufacturing, aussi appelés sous-traitants pharmaceutiques, ndlr) s’implantent sur le territoire et des entreprises innovent pour augmenter le rendement de cette production d’un facteur 100, ce qui devrait permettre à terme de réduire le coût d’un certain nombre de ces produits. Comment expliquer le coût si élevé de ces biomédicaments ? Aujourd’hui, entre 60 et 70% de la valeur et le risque du produit est portée par la capacité à bioproduire des lots fiables. Les CDMO sont capables de produire ces lots, mais à des coûts élevés, sur des temps qui peuvent être longs et avec un taux de succès qui reste encore fragile. Le financement des biotechs connaît depuis un an un resserrement aux Etats-Unis. Ressentez-vous ces difficultés au niveau français ? De façon macroscopique, nous avons assisté des deux côtés de l’Atlantique à une période difficile pour les entreprises cotées du secteur. Les montants des levées dans la biotech peuvent être encore très significatifs, mais sont plutôt centrés sur des acteurs installés, qui opèrent des tours B ou C conséquents. Globalement, nous constatons une attitude plus défensive des investisseurs. Cela se ressent sur le nombre d’entreprises financées, en net repli, sur les financements précoces – les entreprises sont moins bien financées en phase seed et dans les tours A – et il n’y a plus d’IPO. Quels seront les principaux enjeux pour la healthtech dans les prochains mois ? Il existe des enjeux réglementaires au niveau européen (avec le MDR, le report de sa mise en application n’ayant pas encore été officiellement acté, ndlr). Nous aurons aussi de forts enjeux marché. La création d’actes (remboursés par l’Assurance maladie, ndlr) sur le marché français reste très complexe et peu lisible pour les entreprises. Nous aurons aussi sans doute des sujets de M&A à regarder de près, car comme les valorisations sont très basses, il y aura sans doute beaucoup d’opportunités de la part des industriels qui ont un certain nombre de liquidités à opérer sur le terrain. Enfin, en tant que membre du comité de suivi du “plan Innovation Santé 2030”, nous nous assurons que nos commissions et groupes de travail aient des activités en miroir du déploiement de ce plan. Il s’agit pour nous d’être offensif pour fournir à l’Etat et à l’AIS le maximum de retours du terrain, afin qu’ils opèrent de la façon la plus efficace et la plus cohérente par rapport aux ambitions qu’ils se sont donnés. Franck Mouthon 1971 : Naissance à Tassin-la-Demi-Lune (Rhône) 1994 : Diplômé de l’Ecole Normale Supérieure Ulm 1995 : Il rejoint la Direction des Sciences du Vivant du CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) 2008 : Il fait, avec son étudiant Mathieu Charveriat, une découverte sur le rôle des cellules non neuronales (ou cellules « gliales ») dans la réponse aux médicaments psychotropes. 2013 : Il crée Theranexus avec Mathieu Charveriat et en devient le CEO 2017 : Administrateur de France Biotech. Il crée au sein de l’association un groupe de travail autour des partenariats public-privé. Depuis 2019 : Président de France Biotech Romain Bonfillon BiotechsDispositif médicalEssais cliniquesFinancementsHealthTechInnovationMédicamentRecherche Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Dataroom 9 tendances d'innovation dans les filières medtech, santé numérique et biotech Le secteur des biotechs dans la tourmente analyses Biotechs : après une année folle d’introductions en bourse, la fête est finie