Accueil > Financement et politiques publiques > Jacky Abitbol (Cathay Innovation) : “Nous avons comme investisseurs stratégiques des grands groupes industriels européens” Jacky Abitbol (Cathay Innovation) : “Nous avons comme investisseurs stratégiques des grands groupes industriels européens” Affiliée à Cathay Capital, la société de capital-risque Cathay Innovation dispose aujourd’hui d’un des fonds les plus importants à l’échelle européenne. Doté d’un milliard d’euros, il investit massivement dans la santé numérique. Son originalité : offrir aux entrepreneurs le soutien de gros groupes industriels. Explications avec Jacky Abitbol, Managing Partner de Cathay Innovation. Par Romain Bonfillon. Publié le 25 mars 2024 à 11h20 - Mis à jour le 27 mars 2024 à 10h13 Ressources Comment est né Cathay Capital ? Cathay Capital a été créé il y a 17 ans par un entrepreneur chinois, Mingpo Cai. Arrivé en France à l’âge de 20 ans, son but était d’accompagner les sociétés de l’Europe vers la Chine et de la Chine vers l’Europe. Assez rapidement, ce modèle s’est exporté aux Etats-Unis et Mingpo est parti s’installer à New-York, pour avoir une vision globale, avec des équipes locales qui puissent investir sur ces trois continents. L’histoire de Cathay Innovation commence quant à elle en 2015, lorsque Mingpo Cai a rencontré Denis Barrier, un capital-risqueur français. Ensemble, ils ont co-fondé l’activité VC de Cathay. Cathay reste une société française, un fonds d’investissement régulé par l’AMF. Nous disposons d’un gros bureau à Paris, où nous sommes une cinquantaine de personnes, sur différentes activités (private equity et venture capital). Nous avons également des bureaux à San Francisco, New-York, Berlin, Munich, Madrid, Singapour et en Chine. Comment s’organisent vos différentes stratégies ? Nous avons en fait trois activités chez Cathay Capital : celle de private equity, celle de venture capital incarnée par Cathay Innovation et à laquelle j’appartiens, et une activité santé, gérée par Cathay Health. Comment se sont déployés les investissements en santé numérique de Cathay Innovation ces dernières années ? En 2015-2017, lorsqu’a été lancé le fonds Cathay Innovation 1, doté de 287 millions d’euros, il n’y avait pas vraiment de notion de santé digitale. Nous étions plutôt sur des thématiques medtech et biotech. L’application de l’IA ou d’autres technologies numériques dans le domaine de la santé était encore récente et commençait à peine à décoller. Notre premier investissement en santé numérique a été fait en 2017, avec la société Owkin. En 2019, notre deuxième fonds, doté de 650 M€, a donné plus d’importance à la santé digitale avec des investissements notamment au sein de Resilience et Inato. Nous avons commencé à ce moment-là à nous verticaliser, dans 4 secteurs : santé digitale, fintech, consumer/retail et énergie/mobilité. Votre troisième fonds a été lancé il y a un peu plus d’un an…Quelle est son ambition ? Ce fonds est doté d’un milliard d’euros. Les deux derniers investissements du fonds sont Nabla et Bioptimus. Il est important de savoir que, dans le modèle de Cathay, nous avons comme investisseurs stratégiques des grands groupes industriels européens, comme le groupe Sanofi. Nous travaillons de manière très étroite avec eux, sur nos priorités, les tendances que nous percevons bien, du fait de notre présence sur trois géographies (Etats-Unis / Europe / Asie). L’objectif de ces partenariats est de créer de la valeur pour les sociétés du portefeuille. C’est le cas par exemple pour Owkin et Sanofi. Sanofi a investi 180 M$ en 2021 dans le capital d’Owkin et les deux entités ont signé dans le même temps un accord de collaboration stratégique pluriannuelle. Cela montre l’importance de ces start-up pour les acteurs de la pharma. À la suite de Sanofi, BMS a signé un partenariat avec Owkin. Cathay Innovation se retrouve finalement à l’intersection entre l’investissement et cet écosystème de grands groupes avec lesquels nous avons des relations et des partenariats privilégiés. Pourquoi avoir fait ce choix de rapprochement avec de grands industriels ? Le retour sur investissement est forcément pour nous plus important dès lors qu’il existe des deals commerciaux conséquents. Pour ces grands groupes, l’expertise de Cathay leur permet d’identifier des sociétés innovantes et de collaborer avec elles. Enfin, pour les start-up, avoir un feedback d’un industriel lorsqu’on développe une technologie est important, puisque cela permet de bien orienter ses choix. Nous avons d’ailleurs annoncé en décembre dernier que, sur notre fonds d’un milliard, une enveloppe de 50 et 100 M€ sera consacrée à accompagner des entrepreneurs dans des sociétés un petit peu plus jeunes. Soit nous connaissons les entrepreneurs et nous les suivons, soit nous sommes capables de les accompagner avec cet écosystème parce qu’il n’y a pas encore cette traction commerciale que nous cherchons dans notre thèse d’investissement. C’est dans ce cadre là que nous avons participé à la série seed dans Bioptimus. Owkin, Nabla, Bioptimus…Vos investissements traduisent un fort intérêt pour l’intelligence artificielle… Parallèlement à nos quatre verticales, nous avons des stratégies cross secteurs. L’IA en fait partie et nous observons, comme l’ensemble de la communauté d’investisseurs, que cette technologie est en train de disrupter très fortement certains métiers, donc nous sommes très actifs sur cette technologie, qui touche beaucoup la santé. Aujourd’hui, nous sommes convaincus que l’Europe, mais spécialement la France, a une place à prendre dans l’IA, par rapport aux talents qu’elle possède, à ses universités reconnues, au fait aussi que lorsqu’on regarde dans les grands groupes comme Meta, Google et autres, les personnes responsables de l’IA sont souvent des Français. Des entrepreneurs américains vont jusqu’à s’installer et créer leur société en France pour recruter des talents français. Notre stratégie vise ici à accompagner ces sociétés non seulement avec du financement mais aussi avec cet écosystème de grands groupes qui vont développer ces technologies pour adresser les quatre domaines où l’on investit. Quel est le profil type d’entreprise que vous recherchez dans le cadre de ce dernier fonds ? Nous cherchons plutôt une société ayant développé une technologie et qui arrive à un point d’inflexion, d’accélération. Nous sommes là pour les aider à scaler. C’est ce que l’on appelle du early growth, nous finançons soit une grosse série A, soit une série B. Nous allons mettre entre 10 et 30 millions comme premier ticket mais, avec ce fonds, nous nous permettons aussi de faire plus de growth. Certaines sociétés peuvent devenir de gros leaders dans leur catégorie ou leur région et même si l’on investit dans une série C ou plus tard, elles ont encore un potentiel important. Environ 60 % de nos investissements restent cependant concentrés sur une série A ou B. Comment expliquer la forte croissance de la dotation de chacun de vos fonds ? Nos fonds ont grandi parce que nous avons élargi notre scope géographique. Avec le fonds 1 et 2 nous n’avions pas de présence en Asie du Sud-Est. Ce n’est qu’après que nous avons ouvert notre bureau à Singapour. Aussi, aujourd’hui en Europe, nous sommes parmi les plus gros fonds européens. Nous accompagnons des entrepreneurs qui ont déjà eu un première, voire un deuxième cycle (monter une société puis la revendre, puis monter une deuxième société). Nous sommes à un tournant important pour permettre à ces repeat founders de se doter de moyens pour les accompagner plus longtemps. Historiquement, les fonds européens s’occupaient des séries A et B, puis c’était ensuite au tour des acteurs américains d’investir. Avoir la capacité de les accompagner jusqu’à 100 millions est quelque chose de tranquillisant pour l’entrepreneur français qui se dit qu’il peut scaler avec le fonds qui l’accompagne depuis sa série A ou B. Enfin, les fonds internationaux dont les sièges sont à l’étranger se concentrent sur leur géographie et l’Europe reste une géographie très importante. Il nous faut donc être capables d’assurer le financement de sociétés européennes parce que les fonds étrangers sont plus mobilisés sur leur portefeuille et leur marché local. Comment sont composées vos équipes d’investissement ? Classiquement, et dans toutes nos implantations géographiques, nos équipes d’investissement sont composées d’un mix de financiers et d’ingénieurs, avec des compétences dans l’IA, dans la deeptech, etc. Nous avons également renforcé nos équipes d’investissement avec des operating partners, des professionnels qui ont 25 ou 30 ans d’expérience dans l’industrie et que nous mettons au service des entrepreneurs des sociétés du portefeuille. Certains fonds se sont mis à recourir à l’intelligence artificielle pour le sourcing, est-ce votre cas ? Pour le sourcing oui, mais pas pour la décision d’investissement. Je sais que certains fonds se mettent aussi à l’IA sur cet aspect, mais nous pensons que c’est un métier qui est encore très humain. L’IA est chez nous utilisée pour être capable d’identifier des sociétés dès leur création et pour suivre leurs progrès. Nous avons une équipe tech de trois personnes dont l’activité consiste à utiliser la technologie pour automatiser certaines fonctions de notre activité, afin de dégager plus de temps dans le suivi des sociétés, dans l’identification de tendances, etc. Quelle analyse faites-vous du marché actuel et de la valorisation des entreprises ? Après les années 2022 et 2023 qui ont été compliquées, nous assistons à une reprise des investissements. Mais il y a aujourd’hui une polarisation entre les sociétés qui marchent très bien et arrivent encore à lever des fonds sur des valorisations qui restent très importantes. On parle parfois de période de correction, mais elle ne concerne pas ces sociétés-là. Celles qui, en revanche, n’ont pas de plan clair pour être profitables, ont plus de difficultés à trouver du financement. Aussi, je constate une forme de fièvre autour de l’IA, marquée par une rapidité d’accès au marché et de génération de revenus. Pour Nabla, par exemple, que nous suivions depuis deux ans, la phase de commercialisation est arrivée peu après le développement de leur solution. Nabla a été directement aux Etats-Unis, ils ont réussi à avoir un premier deal assez important auprès d’un réseau de docteurs en Californie. Le go-to-market est plus rapide, les cycles de vente aussi, dès lors que la technologie existe. Jacky Abitbol : Depuis 2016 : Managing Partner chez Cathay Innovation 2014 – 2015 : VP Corporate Development d’Orange 2012 – 2015 : Venture Partner d’Iris Capital 2011 -2012 : Investment Director d’Orange Capital 1997 – 1998 : MBA (Boston University) Romain Bonfillon Fonds d'investissementIndustrieIntelligence ArtificielleLaboratoiresMarché Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Arnaud Vincent (Eurazeo) : “Nous intervenons sur toute la chaîne de valeur en santé” Antoine Papiernik (Sofinnova Partners) : “L’IA va nous permettre d’arriver plus vite à la décision d'investissement” Dataroom Start-up de la e-santé : 255 M€ levés en 2023, en France