Accueil > Financement et politiques publiques > PLFSS 2024 : ce qu’il pourrait changer pour les acteurs du numérique en santé PLFSS 2024 : ce qu’il pourrait changer pour les acteurs du numérique en santé Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour l’année 2024 a été présenté en Conseil des ministres le 27 septembre dernier. Ce PLFSS fait du retour à l’équilibre financier l’une de ses priorités, au travers de deux piliers difficilement conciliables : la promotion de l’innovation et la recherche d’économies. Avec l’aide d’experts, mind Health a mené une analyse critique des différents articles, qui intéressent spécifiquement les acteurs de la santé numérique. Par Romain Bonfillon. Publié le 24 octobre 2023 à 22h38 - Mis à jour le 31 octobre 2023 à 13h25 Ressources Avec un budget en hausse de 3,2 % (l’ONDAM) dans un contexte d’inflation élevée, le PLFSS 2024 présenté à l’Assemblée nationale le 27 septembre dernier est marqué par une certaine prudence. Pour cause, les objectifs qu’il poursuit – lutter contre la fraude sociale, encourager l’innovation, améliorer l’accès aux soins, et en particulier aux médicaments – sont, en termes de dépenses, difficilement conciliables avec une hausse marquée de l’ONDAM. À la recherche de sources d’économies, l’Assurance maladie a identifié en premier lieu les secteurs dans lesquels certaines dépenses, indûment engagées selon elle, pourraient être évitées. Dans ce cadre, la régulation des téléconsultations fait partie des mesures fortes de ce projet de loi. Arrêts de travail et téléconsultation : le temps de la régulation Selon l’étude d’impact du PLFSS 2024, “27% des arrêts de travail issus d’une téléconsultation sont aujourd’hui prescrits par un médecin qui n’est pas le médecin traitant de l’assuré”. Aussi, plusieurs articles de ce PLFSS 2024 ont décidé de se pencher sur les pratiques de téléconsultation, avec la volonté de mieux réguler les prescriptions et les arrêts de travail prescrits selon cette modalité. Ainsi, l’article 28 du PLFSS propose de fixer à 3 jours la durée maximale d’un arrêt de travail prescrit au travers d’une téléconsultation. Une prescription plus longue devra nécessairement passer par “un examen physique pour s’assurer que l’état de santé de l’assuré ne risque pas de s’aggraver”. Une exception à cette règle : “lorsque l’arrêt de travail est prescrit ou renouvelé par le médecin traitant, ou en cas d’impossibilité, dûment justifiée par le patient, de consulter un médecin pour obtenir, par une prescription réalisée en sa présence, une prolongation de l’arrêt de travail.” L’étude d’impact confère un périmètre assez large à cette exception puisqu’elle inclut les “situations particulières d’absence ou d’indisponibilité du médecin, ou traitant ou de référence et, notamment dans les zones de faible densité médicale, la difficulté de pouvoir consulter un remplaçant disponible”. Si l’on s’en tient aux données rapportées en 2020 par le Sénat, les déserts médicaux concernent aujourd’hui une commune sur trois, soit entre 9 et 12 % de la population française. À noter qu’une mesure semblable, prévoyant également de dérembourser certains arrêts de travail prescrits dans le cadre de la téléconsultation, avait été inscrite dans la LFSS 2023 (article 101). Le Conseil constitutionnel avait cependant censuré ces dispositions au motif qu’elles pourraient “priver l’assuré social [-] du versement des indemnités journalières alors même qu’un médecin a constaté son incapacité physique de continuer ou de reprendre le travail”. En outre, les Sages avaient condamné le fait que le non-versement des indemnités s’appliquait alors même que le patient peut se trouver dans l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous en téléconsultation avec son médecin traitant. Dr Pierre Simon, néphrologue et ancien président-fondateur de la Société Française de Télémédecine (aujourd’hui Société Française de Santé Digitale) Pour le Dr Pierre Simon, néphrologue et ancien président fondateur de la Société Française de Télémédecine (aujourd’hui Société Française de Santé Digitale), “un arrêt de travail de plus de trois jours demande un examen clinique”. Aussi, il dit “comprendre sur le plan médical la position de l’Assurance maladie”, et souligne que “pour un médecin qui travaille pour une plateforme de téléconsultation, c’est prendre un risque juridique que de prescrire un arrêt de travail de plus de trois jours sans avoir examiné le patient”. Concernant la personne qui procède à l’examen clinique, le Dr Simon dit cependant regretter qu’il ne puisse être fait que par le médecin traitant et pointe des difficultés opérationnelles. “Environ 600 000 citoyens ne trouvent pas de médecin traitant et environ 5 à 6 millions de jeunes se passent de médecin traitant, parce qu’ils n’en ont pas encore choisi ou parce qu’ils adhèrent à une médecine à distance, ponctuelle”. Ainsi, rappelle-t-il, une enquête du Quotidien du médecin a montré que 76% des personnes qui ont pratiqué la téléconsultation pendant la période Covid avaient moins de 40 ans. Ce pourcentage devient plus faible – autour de 40% – lorsque l’enquête porte uniquement sur les patients ayant un médecin traitant (cf. l’étude de la Dress, qui exclut les téléconsultations issues des plateformes). Aussi, une étude du LET (Les entreprises de la télémédecine) estime à 30 ans (en 2021) l’âge moyen des personnes ayant eu recours aux plateformes de téléconsultation. Tous ces chiffres sont révélateurs d’une nouvelle façon de consulter chez les jeunes générations et interrogent la pertinence d’un recours systématique au médecin traitant dans le cadre des arrêts de travail de plus de trois jours. [Baromètre exclusif] Le bilan chiffré de la téléconsultation en 2022 Pas de prescription sans colloque singulier L’article 28 du PLFSS propose de ne couvrir que les prescriptions ayant fait l’objet “d’un échange oral, en vidéotransmission ou téléphonique, entre le prescripteur et le patient”. Dans la ligne de mire, “certaines plateformes en ligne [qui] permettent aujourd’hui de prescrire aux patients des produits, prestations et actes, pris en charge par l’assurance maladie obligatoire, après des réponses données à un simple questionnaire ou par un outil de conversation en ligne (chat, SMS) sans que le patient n’ait été vu par un professionnel de santé par vidéotransmission ni eu un contact téléphonique avec ce dernier”. Pour le Dr Pierre Simon, “il faut absolument qu’il y ait un dialogue avec le patient. Il y a eu une dérive, éthique et financière, qui fait qu’il est aujourd’hui possible de décider d’un arrêt de travail à partir de symptômes décrits par chat. Il y aura un jour un pépin et la justice n’a pas besoin d’avoir 50 accidents médicaux pour condamner une pratique. Il suffit qu’il y en ait un grave et avéré pour que toutes les pratiques soient détricotées par la justice. C’est pour cela que j’essaye de convaincre les médecins traitants de ne pas faire de mauvaise télémédecine et de rester dans le cadre qui a été recommandé par la HAS, puis par les sociétés savantes”. L’un des débats que le Dr Pierre Simon anime aujourd’hui sur son blog est précisément celui “de l’examen clinique en présentiel vs un interrogatoire médical à distance bien conduit. La position soutenue par le CNOM (le Conseil national de l’Ordre des médecins, ndlr) et la médecine générale universitaire consiste à dire qu’il n’y a pas de bonne consultation médicale sans un examen complet du patient. Cet examen vise à rechercher des signes qui ne sont pas forcément déclarés par les patients. Sur un seul signe (qui est souvent le motif de téléconsultation) le médecin peut faire des erreurs de diagnostic. Mais rares sont aujourd’hui les généralistes qui font des examens véritablement complets”, fait remarquer le Dr Simon, qui défend une “télésémiologie” telle qu’elle est décrite par certains médecins spécialisés dans la téléconsultation (cf. le “Manuel de télésémiologie” du Dr Ségolène Puechlong). Ces médecins, explique le Dr Pierre Simon, estiment que l’on peut faire un bon examen clinique à distance en restant rigoureux sur la sémiologie (la science des signes, ndlr) médicale”. Dr Pierre Simon : “L’organisation, plus que l’outil, fera le succès de la télémédecine” Hors PLFSS, deux textes pourraient bien changer les pratiques de téléconsultation en 2024 Indépendamment des discussions autour du PLFSS 2024, d’autres textes législatifs sont susceptibles de faire évoluer l’écosystème de la téléconsultation. Ainsi, l’avenant n° 9 de la Convention nationale médicale sera discuté dans les prochaines semaines. Pour rappel, cet avenant a plafonné à 20% le volume de l’activité de téléconsultation et de télé-expertise, par rapport au volume d’activité globale annuelle par médecin conventionné. Ce plafond pourrait être levé, c’est en tout cas ce que souhaite le Dr Simon, qui souligne l’inadéquation de cette mesure avec les modes d’exercice actuels. “Ce plafond gêne les médecins généralistes, mais aussi les médecins spécialistes. Une spécialité comme la psychiatrie a découvert l’intérêt de la téléconsultation pendant la période Covid et beaucoup de médecins psychiatres, notamment les libéraux, sont aujourd’hui en dehors de la recommandation de l’avenant 9. Il faut qu’elle puisse sauter et l’exécutif est partant, puisque l’Élysée a proposé d’établir ce plafond à 50 %, rappelle le Dr Simon, qui observe que “ce sont aujourd’hui les syndicats des médecins qui s’y opposent, pour empêcher certaines pratiques qu’il jugent nuisibles pour le patient, sans que cela soit justifié d’un point de vue scientifique”. Autre mesure, qui dans les prochains mois, va modifier l’encadrement réglementaire des pratiques de téléconsultation : l’article 53 de la LFSS 2023, créant un nouveau statut pour les sociétés de téléconsultation. Pour pouvoir, à partir du 1er janvier 2024, facturer à l’Assurance maladie les soins réalisés à distance par les professionnels de santé qu’elles salarient, ces sociétés devront recevoir un agrément, qui atteste du respect d’un certain nombre de critères. Elles devront notamment : être conformes aux règles relatives à la protection des données personnelles (RGPD) et aux référentiels d’interopérabilité et de sécurité de l’ANS ; être conformes à un référentiel de bonnes pratiques, mis en place par la Haute Autorité de Santé ; disposer d’un comité composé de médecins, qui ont pour mission de donner leur avis sur la politique médicale de la société. Le Dr Pierre Simon, qui s’est entretenu avec les représentants des sociétés de téléconsultation adhérentes du LET, observe que “ces acteurs sont décidés à suivre les recommandations de la LFSS 2023, parce que c’est leur seule chance de survie, compte tenu de leur modèle économique”. Des sociétés de téléconsultation sous contrôle Pour “éviter tout arrêt de travail qui ne serait pas, ou plus, médicalement justifié”, le Gouvernement prévoit de “[renforcer] les contrôles et accompagnements déjà menés par l’Assurance maladie à destination des prescripteurs, des assurés et des entreprises” (article 27). Aussi, l’accompagnement des médecins présentant un taux important de prescription d’arrêts sera dorénavant applicable “aux centres de santé et aux sociétés de téléconsultation dont le taux de prescription d’arrêts de travail apparaît anormalement élevé en comparaison des pratiques observées sur le territoire”. Rappelons qu’en avril 2022, l’Assurance maladie a publié une charte de bonnes pratiques de la téléconsultation destinée à “faire connaître aux médecins les recommandations et obligations essentielles au regard de la pratique de l’activité à distance”. Cette charte, élaborée conjointement avec les syndicats représentatifs signataires de la convention médicale et l’Ordre des médecins, conditionne la prise en charge de la téléconsultation par l’Assurance maladie. Deliveroo et Uber mis – enfin – à contribution Le PLFSS 2024, qui veut se doter de nouveaux outils pour lutter contre la fraude sociale, prévoit de “renforcer les obligations des plateformes numériques pour garantir le paiement des cotisations dues par ses utilisateurs”(article 6). Les plateformes telles que Deliveroo ou Uber sont ici visées, dans la mesure où la collecte des cotisations sociales des micro-entrepreneurs qui travaillent pour elles sont, selon les travaux du Haut Conseil pour le financement de la protection sociale (HCFiPS), largement sous-déclarées. Si cette proposition ne vise donc pas directement les entreprises en santé, elle pourrait avoir une influence sur les comptes de la Sécurité sociale. Le HCFiPS a estimé le manque à gagner à 200 M€ par an. L’inscription d’un acte en lien avec des dispositifs médicaux innovants facilitée et accélérée L’article 34 du PLFSS 2024 prévoit que les entreprises exploitant des dispositifs médicaux à usage collectif ou des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro pourront désormais faire elles-mêmes directement une demande d’évaluation auprès de la Haute Autorité de Santé (HAS) pour permettre de créer un acte en lien avec le dispositif médical. “À long terme, note le Gouvernement dans son rapport de présentation du PLFSS, cette mesure permettra une meilleure gestion des ressources médicales et techniques, et améliorera la prise en charge des patients tout en simplifiant leur parcours et en évitant notamment l’errance diagnostique”. Pour rappel, les entreprises ne peuvent aujourd’hui pas déposer directement une demande d’évaluation d’actes par la HAS, dans l’objectif de permettre une inscription aux différentes nomenclatures d’actes existantes. Seuls les conseils nationaux professionnels (CNP), les associations de patients agréées, le ministère de la santé ou l’Union nationale des caisses d’Assurance maladie (Uncam) peuvent le faire. Me Eléonore Scaramozzino, avocate spécialisée en droit du numérique auprès du cabinet Constellation Cette proposition de mesure, note Me Eléonore Scaramozzino, avocate spécialisée en droit du numérique auprès du cabinet Constellation, “veut également réduire les délais d’évaluation, ce qui va favoriser la mise sur le marché des produits. Le délai d’évaluation des médicaments ou DM associés à l’acte par la HAS ne seront plus que de 6 mois non renouvelables ; le délai de remise de rapport de la hiérarchisation par le Haut Conseil des Nomenclatures (HCN) à l’Uncam, établi à 6 mois, ne pourra pas non plus être renouvelé, de même que le délai d’inscription provisoire à la nomenclature d’un acte. Il était de trois ans, renouvelable une fois. Cette possibilité de renouvellement est supprimée”, détaille Me Eléonore Scaramozzino, qui souligne également que “le champ d’application de la procédure d’inscription provisoire, instituée par le Haut conseil de la nomenclature uniquement pour les actes innovants, va être étendu à tous les actes”. Cet article 34 est un signe d’encouragement fort pour toute une partie de l’écosystème de l’innovation en santé. “Il existe toute une catégorie de dispositifs médicaux que le professionnel doit acheter ou prendre en leasing et qu’il ne peut rembourser qu’au travers des actes qu’il facture, explique Frédéric Girard, vice-président et coordinateur du groupe de travail “Accès au marché” de France Biotech. “Si l’acte qui permet de rembourser cet appareil (par exemple un dispositif d’imagerie ou de diagnostic très innovant) n’existe pas, le professionnel de santé ne l’achètera pas”. Me Eleonore Scaramozzino note également que cette mesure aura un impact “sur les actes d’anatomopathologie et de biologie moléculaire. Il existait un dispositif dérogatoire pour les actes de biologie, le RIHM, mais pas pour les actes de biologie moléculaire, pour lesquels la création d’acte relèvent de la CCAM (Classification commune des actes médicaux) et donc du HCN. Ces actes pourront désormais passer directement par le guichet unique des industriels”. Anatomopathologie et IA : la filière en quête d’un modèle économique Les expérimentations “Article 51” inscrites dans le droit commun Frédéric Girard, vice-président et coordinateur du groupe de travail “Accès au marché” de France Biotech L’article 22 du PLFSS 2024 propose l’inscription dans le droit commun des innovations organisationnelles et expérimentations de l’article 51 de la loi de finances de 2018. Pour Me Eléonore Scaramozzino, “la création de parcours coordonnés renforcés crée un cadre juridique pour pérenniser ces expérimentations et introduire de l’innovation organisationnelle. Il reste à voir comment cela va être financé, puisque le système actuel de forfait n’est peut-être pas la bonne solution”. À noter que plus de 135 innovations organisationnelles ont, depuis 2018, été accompagnées, testées et financées dans le cadre du dispositif article 51. “Ces expérimentations d’une durée maximale de 5 ans, précise Me Eléonore Scaramozzino, arrivent à leur terme, pour 35 d’entre elles fin 2023 et 38 en 2024. L’annexe 9 du PLFSS considère qu’un tiers des expérimentations peuvent s’intégrer aux mesures déjà existantes, mais pour les deux tiers des expérimentations, il a fallu créer un cadre spécifique : la parcours coordonné renforcé”. Selon Frédéric Girard, “cette proposition de mesure concerne certains des adhérents de France Biotech, lorsque des dispositifs, en particulier des dispositifs médicaux numériques, sont associés à des expérimentations article 51. C’est ce qui est ressorti de l’Observatoire sur les accès dérogatoires que nous avons conduit au printemps dernier”. L’agenda officiel du PLFSS 2024 27 septembre 2023 : délibération en Conseil des ministres et dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale Semaine du 16 octobre 2023 : examen par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale Du 24 au 30 octobre 2023 : examen en séance plénière à l’Assemblée nationale Semaine du 6 novembre 2023 : examen par la Commission des affaires sociales du Sénat Semaine du 13 novembre 2023 : examen en séance plénière au Sénat Promulgation avant le 31 décembre 2023 Le PLFSS 2024 vu et expliqué par France BiotechPLFSS 2024 : quel potentiel impact pour les biotech et industriels du médicament ? Romain Bonfillon anatomie pathogiqueInnovationMinistèrePLFSSRèglementairesanté numériquetéléconsultationTélémédecine Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Fin du 100 % et PLFSS : les métamorphoses présentes et à venir de la téléconsultation Téléconsultation : le Sénat veut durcir les règles concernant les arrêts de travail Dossier Téléconsultations : la modération en question(s)