Accueil > Industrie > Post-commercialisation > Comment les industriels de la santé s’approprient l’intelligence artificielle Comment les industriels de la santé s’approprient l’intelligence artificielle De l'optimisation des essais cliniques à la pharmacovigilance en passant par la médecine de précision, l'intelligence artificielle se prête à un très grand nombre de cas d'usage. Laboratoires pharmaceutiques et fabricants de dispositifs médicaux multiplient les projets, seuls ou en partenariat avec des startups spécialisées. mind Health revient sur certains de ces projets. Par La rédaction. Publié le 30 septembre 2019 à 15h20 - Mis à jour le 02 juin 2021 à 11h39 Ressources Quarante-six. C’est le nombre de jours qu’il aura fallu à Insilico Medicine et à des chercheurs de l’Université de Toronto, pour créer un “médicament” grâce aux technologies d’intelligence artificielle. La start-up aura, dans un premier temps, développé 30 000 modèles de molécules ciblant une protéine liée à la fibrose. Les chercheurs ont ensuite synthétisé six de ces molécules puis en ont testé deux, la plus prometteuse étant inoculée à des souris. L’article du MIT Technology Review qui évoque ce record rappelle que la mise sur le marché d’un nouveau médicament peut prendre dix ans ans et coûter jusqu’à 2,6 milliards de dollars. “Cette IA n’a fait que générer des pistes intéressantes et il reste beaucoup de travail pour parvenir au stade de médicament, tempère Alexandre Templier, président et fondateur de Quinten, cabinet de conseil en data science qui compte Ipsen, Servier, BMS, Sanofi, Novartis ou Roche pour références. À partir des banques de données des laboratoires pharmaceutiques renfermant des millions de molécules, l’IA permet de simuler l’action de ces molécules sur les différentes cibles thérapeutiques et même de créer de nouvelles molécules.” Le développement de molécules n’est pas le seul cas d’usage de l’intelligence artificielle appliquée à la santé. Publié en mars 2018, le rapport de Cédric Villani sur l’IA y consacre un chapitre entier. Selon ses conclusions, les technologies de machine learning et de deep learning ouvrent des “perspectives très prometteuses” pour améliorer la qualité des soins par une prise en charge plus personnalisée, prédictive et sûre (traçabilité). Et l’étude Pipame de juin 2019, intitulée Industrie du futur – enjeux et perspectives pour la filière industries et technologies de santé, a fait de l’IA une des huit briques technologiques de transformation du secteur. Du côté du marché, l’IA est appelée à bouleverser la quasi-totalité des activités des laboratoires pharmaceutiques et des fabricants de dispositifs médicaux estime Alexandre Templier. “En amont de la chaîne, l’IA éclaire les chercheurs sur la manière dont les maladies apparaissent et se développent. En aval, elle contribue au maintien sur le marché des solutions thérapeutiques au meilleur prix. Entre les deux, l’IA optimise le développement et la production.” Une infinité de cas d’usage, d’abord pour la mise au point de nouveaux médicaments Passée la phase de recherche de candidats médicaments, l’utilisation fine des données médicales permet tout d’abord optimiser l’exécution des essais cliniques et donc de réduire leurs coûts. “Sur dix molécules testées chez l’homme, une seule sera commercialisée, et sur trois molécules mises sur le marché, une seule sera rentable, rappelle le dirigeant de Quinten. L’étape la plus critique est le passage de la phase 2 qui porte généralement sur une à quelques centaines de patients à la phase 3, qui couvre une population plus large. L’IA permet d’identifier les patients qui répondent le mieux au traitement et d’affiner ainsi le ciblage des produits.” La plateforme d’IA d’Inato permet notamment aux acteurs de l’industrie pharmaceutique d’optimiser l’exécution des essais cliniques et donc de réduire drastiquement leurs coûts de développement. Selon la startup française, l’automatisation du volet opérationnel de ces essais, pourrait réduire leur coût de 90%, notamment en améliorant l’identification des meilleurs hôpitaux pour un essai donné. Inato collabore notamment avec Ipsen comme le laboratoire le confiait à mind Health en mars 2019. Dans le domaine de la recherche clinique toujours, Oncodesign envisage d’utiliser l’intelligence artificielle avant tout pour l’identification et la caractérisation des patients résistants aux traitements anti-cancéreux, afin d’élaborer des traitements efficaces en médecine de précision contre les cancers résistants aux thérapies actuelles. L’entreprise biopharmaceutique est partie prenante du projet Oncosnipe, lancé en octobre 2017 pour une durée de trois ans. “Ce projet est actuellement dans la phase d’inclusion des patients, avec la collecte et l’intégration de données dans le cadre d’un essai clinique sur trois indications : les cancers du sein, du poumon et du pancréas, précise Philippe Genne, PDG d’Oncodesign. Le programme a pour objectif d’inclure 200 patients pour chacune de ces indications. Novartis entend, elle aussi, devenir “une entreprise davantage centrée sur les données”. Le groupe suisse fait appel à l’IA pour accélérer la découverte et le développement de traitements mais aussi optimiser la planification et la conduite des essais cliniques. Parmi les chantiers initiés, on trouve data42, une plateforme de données issues de sa R&D. Grâce à l’apprentissage automatique, Novartis compte identifier de nouvelles cibles et de nouveaux biomarqueurs et générer des informations sur les maladies sans précédent. L’objectif est de mieux faire correspondre les médicaments aux patients voire de prédire quels composés fonctionneront ou non. Autre axe de développement : favoriser les essais à distance sachant que 2 % uniquement de la population américaine et 6 % de celle de l’Union européenne ont participé à des essais cliniques et que le taux d’abandon avoisine environ 30 %. Novartis a noué un partenariat avec Medgate, fournisseur suisse de télémédecine basé en Suisse, afin d’évaluer un environnement d’essai décentralisé ne nécessitant pas de déplacement en clinique, et avec TrialSpark, une startup américaine, pour identifier les populations de patients susceptibles de faire l’objet d’une étude spécifique à partir de jeux de données de santé anonymisées. Avec le spécialiste en IA QuantumBlack, Novartis a construit une autre plateforme, Nerve Live, qui se sert du machine learning pour tirer des enseignements sur les essais cliniques en cours ou passés. Le but est de détecter au plus tôt des signaux contraires comme un ralentissement des inscriptions. Nerve Live aide aussi Novartis à encadrer le lancement d’une étude. Où dans le monde le laboratoire doit-il le mener et de quelles ressources aura-t-il besoin ? Enfin, Novartis dispose de sa propre « tour de contrôle » de ses études cliniques. Baptisée Sense, elle aide le laboratoire à gérer son portefeuille comprenant plus de 500 essais cliniques. L’analyse prédictive lui permet d’anticiper des problèmes et autres retards avant qu’ils ne surviennent permettant aux équipes d’études de s’organiser en conséquence. Novartis espère une réduction de 10 à 15 % des temps d’inscription des patients dans les essais pilotes. Des usages pour la pharmacovigilance et la veille sanitaire En termes de pharmacovigilance, l’analyse cette fois de données de vie réelle permet de remonter rapidement à un laboratoire d’éventuels effets indésirables jusqu’alors non répertoriés. L’Europe ne disposant pas de ces données de vie réelle en grand nombre à l’inverse des États-Unis. Enfin, l’IA ouvre la voie à une médecine de précision. “En immuno-oncologie, 30 à 40 % des patients ne répondent pas aux traitements, constate Alexandre Templier. À partir des données du patient, il sera bientôt possible de leur proposer un traitement ciblé, avec des probabilités de succès bien meilleures qu’à présent.” Dans une étude de l’EBG (Electronic business group) de 2018 sur “l’IA pour transformer les secteurs beauté, santé, mutuelles & assurances”, Yoann Janvier, responsable de la data science chez Ipsen, évoque d’autres cas d’usage comme la prédiction d’une épidémie à partir de données issues des réseaux sociaux et de Google Trends et – les deux peuvent être liés – celle des ventes d’un médicament afin optimiser la chaîne logistique et éviter ainsi les ruptures de stocks. La bataille des données de vie réelle Pour mettre en place l’IA, il faut pouvoir s’appuyer sur des données. Janssen France concentre, lui, ses efforts sur la collecte et l’analyse des données de vie réelle. Le laboratoire est engagé sur quatre principaux chantiers. Le projet européen Oracle vise à étudier les performances d’un algorithme capable d’analyser les données textuelles non structurées contenues dans les dossiers patients hospitalisés pour un cancer de la prostate. Objectif : dresser un parcours de soins optimal en fonction du profil du patient, les options thérapeutiques (chirurgie, radiothérapie ou chimiothérapie) étant nombreuses pour ce type de cancer. Porté par un consortium public-privé réunissant quatre laboratoires pharmaceutiques (Janssen, Amgen, Takeda et Celgene), le projet EMMy porte sur les patients atteints de myélome multiple. L’objectif est cette fois d’évaluer l’épidémiologie de la prise en charge de ce cancer du sang et l’évolution des pratiques. Enfin, Janssen collabore au projet de filière “Combattre le cancer grâce à l’IA” en partenariat avec l’Institut national du cancer (Inca). Il vise à valoriser les données autour du cancer collectées depuis dix ans par les vingt-huit plateformes de génétique moléculaire labellisées par l’Inca. L’objectif est de croiser ces données avec les données d’anapath (anatomie pathologique), les données de RCP (Résumé des caractéristiques du produit) et les données de trajectoire de soins via le Health Data Hub. En interne, Janssen France emploie deux data scientists au sein de son centre d’excellence digital et data. “Nous avons décidé de ne pas créer une équipe dédiée à l’IA mais plutôt une communauté de personnes passionnées par le sujet et qui ont développé des compétences en IA par elles-mêmes, explique Emmanuelle Quilès, sa présidente directrice générale. Il faut faire preuve d’agilité. J&J a plus de 130 ans d’existence et notre PDG nous a demandé d’être une start-up de 130 ans.” Dans le cadre de sa stratégie d’open innovation, Janssen a monté à l’international des JLABs, des structures pour accueillir et accompagner des start-up durant trois ans. A deux pas de Station F, Paris accueille de son côté son laboratoire européen d’innovation Lab4C (Lab for customers). D’autres se dotent également de structures d’incubation ou d’accompagnement de start-up. A l’exemple de Novartis qui installe à Paris son Biome, laboratoire d’innovation digitale. Rapprochement naturel entre laboratoires et start-up En parallèle de ces structures, des partenariats entre laboratoires et startups se multiplient. Un rapprochement qui fait sens selon Guillaume Promé, éditeur de Qualitiso.com. “La pharmacie n’a pas cette culture de l’IA mais dispose d’énormément de données. Inversement, les experts la data science n’ont pas de compétences dans le médical.” C’est aussi un moyen de lutter contre la pénurie de spécialistes de la donnée. Dans le cadre d’un partenariat signé début 2018 avec Sanofi, Quinten a mis à disposition du laboratoire une vingtaine de data scientists. “Sanofi a ainsi eu accès immédiatement à des compétences qui restent rares sur le marché, estime Alexandre Templier. En documentant le temps passé et en automatisant certaines de nos tâches, les projets que nous réalisons aujourd’hui mettent en moyenne deux fois moins de temps que les premiers que nous avons menés, à complexité égale.” Quinten participe notamment au projet de plateforme de données en vie réelle Darwin. En mars 2018, Sanofi revendiquait disposer de 300 millions de données patients anonymisées, autour de 318 maladies et réaliser 45 études finalisées ou en cours. Objectif : améliorer la compréhension, le diagnostic, la prévention et le traitement des maladies. Début 2018, le groupe français présentait une étude évaluant l’efficacité de son traitement Toujeo dans le diabète. IBM Watson collabore également à Darwin. Et c’est là une autre typologie d’acteur à prendre en compte. Les GAFA et les autres géants du numérique qu’il s’agisse d’IBM, d’Amazon et de Google et ses multiples filiales (DeepMind, Calico, Verily) ont compris tout le potentiel de l’IA appliquée à la santé et entendent jouer un rôle de la santé. Guerbet et IBM Watson Health viennent par ailleurs de signer un nouvel accord pour codévelopper une IA d’aide au diagnostic et au suivi des patients, dans le domaine du cancer de la prostate cette fois. Les acteurs du secteurs poursuivent ainsi leurs stratégies d’intégration de technologie d’IA. De la difficulté de certifier un algorithme Une intelligence artificielle est, pour l’heure, assimilée à un logiciel. À ce titre, il relève du règlement européen 2017/745 et plus particulièrement de la classe IIa si l’algorithme sert à des fins thérapeutiques ou de diagnostic, ou de la classe IIb s’il est destiné à contrôler des paramètres physiologiques vitaux dont les variations de certains de ces paramètres peuvent présenter un danger immédiat pour la vie du patient. De même, la norme applicable est celle dédiée aux logiciels médicaux. À savoir l’IEC 62304. Éditeur de Qualitiso.com, site de ressources dédié fabricants de dispositifs médicaux, Guillaume Promé note que le cadre normatif est appelé à évoluer. “La BSI (British Standards Institution, NDR) travaille sur une norme sur l’intelligence artificielle appliquée à la santé et le pôle santé de l’Afnor amorce également une réflexion dans ce domaine”. L’expert pointe du doigt la difficulté de certifier une IA, véritable boîte noire. “À l’inverse du logiciel qui est dans une logique fermée, un algorithme voit lui sa performance impactée par les données qui l’alimentent. De nouvelles données modifient sa façon de voir le monde.” Cela pose la question de la qualité des données et leur représentativité mais aussi des éventuels biais qui peuvent être introduits. Pour accéder au focus sur six acteurs travaillant autour de l’IA cliquer ici La rédaction Essais cliniquesIntelligence ArtificielleLaboratoiresParcours de soinspharmacovigilanceRecherche Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Coup d’envoi pour OncoSNIPE, projet d’IA dans l’oncologie Oncodesign à l’affût d’acquisitions en bioinformatique Etudes en vie réelle : où accéder aux données ? Confidentiels Top départ pour la création d’une filière sur la médecine de précision Alexandre Templier (Quinten) : “Nous voulons nous renforcer sur nos deux marchés principaux de la santé/pharma et de la banque/assurance” Comment les laboratoires pharmaceutiques s’emparent de l’intelligence artificielle Essais cliniques : améliorer le recrutement des patients avec les outils numériques Intelligence artificielle : Guerbet et IBM Watson Health entreprennent ensemble un deuxième projet