Accueil > Industrie > R&D > L’IA va-t-elle vraiment révolutionner la recherche ? L’IA va-t-elle vraiment révolutionner la recherche ? Le monde de la recherche utilise désormais massivement l’intelligence artificielle (IA), même si le terme d’intelligence est, selon certains chercheurs, galvaudé. Aussi, ces derniers se heurtent souvent aux limites de ces technologies facilitatrices, mais dans des périmètres restreints. Lors d’une table ronde organisée le 21 septembre dernier dans le cadre de l’événement Pharma HealthTech, les échanges entre acteurs de la recherche clinique nous ont éclairés sur les véritables champs de compétence de l’IA. Par Romain Bonfillon. Publié le 11 octobre 2022 à 23h24 - Mis à jour le 20 juin 2023 à 14h48 Ressources La question liminaire de l’édition 2022 de Pharma HealthTech (“Impact de l’IA en santé : des promesses tenues ?”) aurait pu instiller un certain doute chez les participants quant à l’efficience de cette technologie. Comme pour doucher ces craintes, Alban Arrault, directeur du programme “data et intelligence artificielle” chez Servier, observe d’emblée que “l’IA est en train d’investir tous les points névralgiques de la R&D. Elle permet de proposer des produits de meilleure qualité, dans le sens où les cibles thérapeutiques sont de plus en plus corrélées avec les indications, vers lesquelles nous voulons aller”. Autre tendance de fond, permise par l’IA : “nous travaillions auparavant sur de petites molécules et l’on s’oriente de plus en plus sur des biologics” (des molécules porteuses, plus grosses – comme les protéines- et produites à partir de lignées cellulaires, ndlr). En recherche clinique, la valeur ajoutée de l’IA se mesure en temps passé pour mettre un médicament sur le marché. L’objectif final de l’application de cette technologie est de “diminuer l’attrition qui est gigantesque et qui fait que nous avons vocation à sortir une nouvelle entité moléculaire tous les 3 ans”, confie Alban Arrault. Ce biais d’attrition désigne les patients qui quittent une étude clinique (les “perdus de vue”) ou qui en sont exclus pour différents motifs (principalement la non-observance du protocole). La généralisation d’essais cliniques in silico, permettant grâce à des modèles mathématiques de constituer des cohortes virtuelles, est un moyen de limiter ce biais. “Ce n’est plus une option, chez nous, constate Alban Arrault. Avoir un full package in silico, qui ne se substitue jamais à l’humain, est devenu un must have”. Des limites indépassables François Henri Boissel, cofondateur et CEO de Novadiscovery (qui a développé une plateforme de simulation d’essais cliniques, pour permettre aux développeurs de nouvelles thérapies d’optimiser le design de futurs essais) se montre plus prudent sur la capacité de l’IA à révolutionner le monde de la recherche clinique. S’il reconnaît que l’IA a “un potentiel manifeste dans l’imagerie ou dans l’optimisation du parcours de soins du patient”, il rappelle que les processus physiologiques fonctionnent sur un paradigme causal (mécaniste) alors que les modèles d’IA, alimentés par de la donnée brute, sont dans un paradigme de corrélation. En somme, l’IA interprète l’évolution simultanée de deux variables comme une relation de cause à effet. “Cela pose de vrais problèmes de robustesse lorsqu’il s’agit de prédire la réponse d’un patient à un candidat médicament”, observe François Henri Boissel. Les ratés de l’IA en santé Autre limite : l’insuffisance de paramètres (une cinquantaine) qui décrivent, en données brutes, un patient dans le cadre d’une modélisation et qui n’en donnent qu’une représentation très parcellaire. “La biologie humaine est beaucoup plus complexe”, fait remarquer le CEO de Novadiscovery, qui voit encore un troisième biais ontologique dans l’utilisation de l’IA à la recherche clinique : “les données présentes dans les bases de données cliniques et de vie réelle traduisent un instantané. C’est une photo prise à un instant T, alors que les processus du vivant sont par définition dynamiques. Aussi, les modèles d’IA, lorsqu’il s’agit par exemple de calculer la réponse à un traitement, ne peuvent pas capturer cette dynamique”. Objectif : “générer de la donnée de qualité” Critiquant la notion d’intelligence artificielle, Amaury Martin note que nous sommes pour l’heure “plutôt dans une utilisation poussée du numérique, que l’on pourrait appeler de la médecine algorithmique” Avec le même esprit critique, Amaury Martin, directeur adjoint de l’Institut Curie et directeur de l’incubateur Carnot Curie Cancer, fait remarquer que l’expression-même d’”intelligence artificielle” pourrait être critiquée. “Pour l’heure, nous sommes plutôt dans une utilisation poussée du numérique, que l’on pourrait appeler de la médecine algorithmique. La biologie, rappelle-t-il, est fondamentalement darwinienne et il y a des évolutions que l’on ne peut pas prévoir, nous l’avons tous vu avec le Covid et ses mutations. Restons humble par rapport à la nature”, résume-t-il. Plus modestement, son travail avec l’IA consiste à “générer de la donnée de qualité”. Cela se traduit concrètement par la numérisation des prélèvements sur lame, pratiquée en routine à l’Institut Curie et qui a conduit ce CLCC à réduire considérablement son parc de microscopes. En plus de simplifier le travail de l’anatomopathologiste, ces nouvelles technologies permettent de faire de la médecine de précision. “Dans le cadre très spécifique d’une recherche menée sur peu de patients, nous allons faire du “single cell”, c’est-à-dire éclater la tumeur pour en regarder des milliers, les séquencer et faire de la protéomique (l’analyse des protéines d’une cellule, ndlr) profonde”, explique Amaury Martin. Les enjeux de la génération de données en anatomopathologie Une recherche d’excellence…et rentable ? Si l’apport de l’IA à la qualité de la recherche clinique semble unanimement reconnu, la question de sa capacité à générer de la valeur se pose encore. Certaines applications de l’IA et de l’utilisation massive des données de vie réelle, observe Amaury Martin, “vont conduire à revoir à la baisse le coût de développement d’un produit et son coût humain. Des éléments nous permettent de dire que l’on pourrait faire sur des essais cliniques des bras de contrôle synthétiques” (des groupes témoins issus d’essais randomisés déjà réalisés, ndlr). “En tant que centre de recherche et hôpital, fait toutefois remarquer le chercheur, l’Institut Curie n’a pas à proprement parler de modèle économique, nous dépendons de nos mécènes”. Si l’Institut essaye de couvrir les coûts de son activité de recherche au travers de projets partenariaux, “la vraie valeur pour nous est l’attractivité”, conclut-il, rappelant que l’Institut Curie, qui dispose d’une équipe de la direction des données de 20 personnes et d’environ 200 chercheurs (équipes Inserm/CNRS) en bio-informatique, parvient grâce à ce choix stratégique, à attirer des chercheurs du monde entier et à récolter chaque année environ 10 % des ERC françaises (des bourses décernées par le Conseil européen de la recherche) en santé. Amaury Martin (Institut Curie) : “Les start-up issues de l’Institut Curie ont levé 148 M€ en 2021” Romain Bonfillon base de donnéesBiotechsDonnées cliniquesdonnées de vie réelleDonnées synthétiquesEssais cliniquesIntelligence ArtificielleRecherche Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind