Accueil > Industrie > Organes sur puce : des preuves de concept attendues pour leur plein déploiement Organes sur puce : des preuves de concept attendues pour leur plein déploiement Systèmes miniaturisés imitant les fonctionnalités, l’environnement physico-chimique et les processus biologiques des organes humains, les organes sur puce, déjà utilisés en recherche, ont un bel avenir devant eux. À condition que les acteurs de la filière parviennent à faire valider les méthodes pour leur intégration pleine et entière en pré-clinique et clinique. Par . Publié le 03 décembre 2024 à 22h04 - Mis à jour le 04 décembre 2024 à 16h39 Ressources Lancé en début d’année 2024, le Programme et équipement prioritaire de recherche exploratoire (PEPR) MED-OoC (organoïdes et organes sur puce), co-dirigé par les équipes du CEA-Irig, du CNRS et de l’Inserm, a été labellisé par le Plan d’investissement d’avenir France 2030. Ce programme dispose d’une dotation de 48,4 millions d’euros sur six ans pour notamment réaliser des essais cliniques en médecine personnalisée intégrant des organes sur puce. Preuve que la filière nourrit des espoirs. Un environnement contrôlé miniaturisé Jean-Dominique Guitton, chargé de mission stratégique et scientifique au sein de BioValley France Les organes sur puces (ou OoC pour organ on a chip) représentent une nouvelle technologie permettant, à partir de cellules humaines, primaires ou dérivées de cellules souches, d’établir des modèles d’organes, conçus pour reproduire les caractéristiques et fonctions physiologiques des organes humains. À la croisée de l’ingénierie cellulaire et tissulaire (organoïdes, tapis cellulaires, etc.) et de la microfluidique, ces dispositifs, dont les écoulements sont miniaturisés, contiennent des structures cellulaires mimant des organes vivants dans un microenvironnement contrôlé. C’est en 2010 que le premier organe sur puce a été développé, reproduisant la respiration d’une alvéole pulmonaire. ″ Les organes sur puce peuvent aussi bien mimer des conditions physiologiques que pathologiques ce qui permettrait, à terme, de mieux prédire les réponses aux traitements attendues chez l’homme, y compris pour des maladies non modélisables à ce jour ″, résume Jean-Dominique Guitton, chargé de mission stratégique et scientifique au sein du pôle de compétitivité BioValley France, qui travaille à la mise en place d’une communauté regroupant concepteurs, fabricants et utilisateurs des organoïdes et organes sur puce. Ils ont été conceptualisés en réponse à un besoin de nouveaux modèles biologiques, ″ car les modèles en 2D ont montré leur limite, pointe Stéphanie Descroix, directrice de recherche au CNRS, cheffe d’équipe de recherche Macromolécules et microsystème en biologie et médecine à I’Institut Curie. Cultiver des cellules en monocouche sur du plastique ne permet pas de mimer certains mécanismes observés in vivo. ″ ″ Lorsqu’on extrait des cellules souches pour les placer dans des tubes, elles s’agglomèrent entre elles et s’auto-organisent, poursuit le Dr Xavier Gidrol, directeur de recherche au CEA, chef du laboratoire Biomics. L’absence de contrôle entraîne une hyper variabilité difficile à prendre en compte dans le cadre de la recherche”. L’intérêt des organes sur puce est donc d’introduire ce contrôle nécessaire, tout en mimant le modèle in vivo. Les organoïdes, une technologie phare pour la recherche et l’industrie pharmaceutique Recherche fondamentale, pharmacocinétique, médecine personnalisée Stéphanie Descroix, cheffe d’équipe de recherche Macromolécules et microsystème en biologie et médecine à I’Institut Curie Les enjeux concernant le déploiement des organes sur puce sont nombreux, notamment en recherche fondamentale, car ils permettent ″ de poser des questions biologiques et cliniques, pour lesquelles nous ne disposions pas de modèle auparavant, rapporte Stéphanie Descroix. Face à la complexité du vivant, cet aspect est important pour acquérir des connaissances sur le fonctionnement des organes ou des cellules. ″ Amélie Moreau, responsable scientifique en pharmacocinétique chez Servier Les organes sur puce visent aussi à répondre à des problématiques s’exprimant à des échelles variées, à commencer, dans le domaine pharmaceutique, par la mesure de l’efficacité des traitements et des toxicités. A terme, ils ont vocation à remplacer les essais pré-cliniques sur les animaux ou, a minima, à réduire leur usage (démarche des 3R pour replace, reduce, refine). ″ Ils vont aussi permettre de disposer de tests davantage prédictifs, les chercheurs pouvant, par leur intermédiaire, travailler sur du matériel humain donc au plus proche de la réalité ″, rappelle Jean-Dominique Guitton avant d’ajouter : ″ Aujourd’hui, 90 % des molécules qui entrent en clinique sont sélectionnées sur des modèles insuffisamment prédictifs car étudiés sur les animaux. Elles ne sont alors pas retenues post-essai clinique en raison d’une toxicité non découverte chez l’animal ou par manque d’efficacité. Or, 70 % des coûts de développement d’un médicament sont liés aux échecs. S’ils sont revus à la baisse, nous pouvons aussi imaginer une diminution des coûts des médicaments. ″ Le laboratoire Servier investit justement depuis une dizaine d’années dans ce domaine. ″ Entre acteurs de l’industrie pharmaceutique, nous échangeons au sein d’un groupe de travail dédié, sur le développement de l’utilisation des organes sur puce autour de problématiques communes telles que la toxicologie et la pharmacocinétique afin de définir des protocoles qui seront acceptés par les agences réglementaires ″, fait savoir Amélie Moreau, responsable scientifique en pharmacocinétique chez Servier. Un foie sur puce, qui a d’ailleurs récemment démontré son intérêt pour l’étude de la prédiction des lésions hépatiques d’origine médicamenteuse, a été reconnu par la Food and drug administration (FDA). ″ Avec cinq autres laboratoires et en concertation avec l’Agence européenne des médicaments (EMA), nous allons justement tester un protocole afin de démontrer la reproductibilité inter-laboratoire d’études effectuées avec un foie sur puce ″, précise-t-elle avant de poursuivre : ″ Nous collaborons également avec le CEA pour le développement d’une puce pour la barrière hématoencéphalique. ″ Dr Xavier Gidrol, co-pilote du PEPR MED-OoC pour le CEA Autre application possible : la médecine personnalisée, afin d’adapter les traitements aux maladies des patients et éviter la multiplication des lignes thérapeutiques. ″ L’objectif est d’avoir recours à des avatars ou des proxys du patient afin d’identifier le meilleur traitement ″, résume le Dr Gidrol. D’ailleurs, le PEPR MED-OoC – dont il est le co-pilote pour le CEA, avec Anne-Marie Gué pour le CNRS et Jean Rosenbaum pour l’Inserm -, s’applique en médecine personnalisée. Au CEA, le travail portera sur les maladies du pancréas tandis qu’à l’Institut Curie, le Dr Descroix lancera en 2025 un essai clinique sur le cancer du sein triple négatif afin de chercher à valider cliniquement des bons avatars de patients et déterminer si demain – dans cinq à dix ans – il sera possible d’utiliser l’organe sur puce dans un test fonctionnel. ″ Le but du PEPR est de valider les méthodes, d’effectuer une démonstration de preuve de concept afin aussi de démontrer les répercussions sur l’économie de la santé ″, indique le Dr Gidrol. Une évolution réglementaire à soutenir Aux États-Unis, la FDA a modernisé en 2022 son approche (modernization act 2.0) afin que les tests n’aient plus à être exclusivement réalisés sur des animaux, ouvrant ainsi la voie à la possibilité de recourir aux organes sur puce. Ce n’est pas encore le cas de la réglementation européenne, qui refuse les modèles alternatifs en remplacement des tests sur les animaux, pour les dossiers en précliniques. L’EMA organise toutefois des groupes de réflexion sur le sujet. De même que des sociétés savantes ont été créées à l’échelle européenne (EUROoCS) et à l’international (IMPSS pour Société internationale des Systèmes MicroPhysiologiques). En France plus précisément, la filière des organoïdes et des organes sur puce (F3OCI) a été créée fin novembre 2023, avec la signature du nouveau Contrat stratégique de filière (CSF) ″ Industries et Technologies de santé ″ et son projet n°14 ″ Dynamiser la recherche préclinique ″. Pilotée par BioValley France et France Biotech, cette démarche vise à mobiliser l’ensemble des acteurs français du secteur privé et académique, afin de faire de la France un leader européen en structurant la filière et en contribuant activement aux propositions des évolutions réglementaires nécessaires. ″ Il est essentiel que nous disposions d’une filière française pour des raisons de souveraineté, de sécurité et d’accès pour nos patients et nos médecins, estime Xavier Gidrol. Avec le PEPR, nous devrions renforcer et asseoir notre position. ″ L’Agence de l’innovation en santé a aussi identifié les organes sur puce comme une thématique « prioritaire » dans sa feuille de route 2023/2025. Des attentes vis-à-vis des biotech Thibault Honegger, CEO et cofondateur de NETRI Pour autant, si aujourd’hui les organes sur puce sont utilisés dans le domaine de la recherche académique, ″ ils ne sont pas encore prêts à être industrialisés ″, informe Thibault Honegger, CEO et cofondateur de NETRI, qui met au point des technologies de rupture d’organes sur puce pour les industries de la santé. Et d’ajouter : ″ Les industriels ont compris les enjeux mais les laboratoires pharmaceutiques craignent d’effectuer des choix technologiques qui ne seront pas porteurs pour demain. ″ ″ Il est vrai que nous restons prudents sur le sujet notamment pour des questions budgétaires, reconnaît Amélie Moreau. Nous nous engageons davantage dans des études avec des organes sur puce déjà bien caractérisés et prouvant leur valeur ajoutée par rapport aux modèles plus simples.” Dans le cas d’études de recherche pharmacologique, pour des prédictions d’efficacité, la maturité du système est moins recherchée, des collaborations peuvent donc facilement être initiées. ″En revanche, pour des études de médecine translationnelle concernant par exemple la pharmacocinétique et la toxicologie, étant donné que nous devons générer des paramètres précis, notre but est de disposer de données prédictives, donc de modèles humains mimant au mieux la physiologie de l’organe impliqué, détaille-t-elle. Nous attendons alors une caractérisation précise et une valeur ajoutée identifiée pour évaluer les systèmes.″ Jérémy Cramer, co-fondateur et CEO de Cherry Biotech Il relève donc aujourd’hui de la responsabilité des biotech d’effectuer ce chemin et de démontrer leur capacité à anticiper un échec en phase clinique via les organes sur puce. Actuellement, elles se déploient chacune dans leur spécialité. NETRI par exemple dispose de cinq modèles automatisables, correspondant à des configurations microfluidiques différentes autour de quatre programmes : les effets de la douleur, la neurotoxicité, les troubles neurologiques et la dermato-cosmétique. Cherry Biotech se concentre, pour sa part, sur le développement de médicaments (diabète de type 2, toxicité hépatique, poumon, modèle de peau et mélanome métastatique) et la médecine personnalisée en collaboration avec Gustave Roussy sur le cancer du sein exclusivement. ″ Notre rôle en tant qu’entrepreneur est de faire le pont entre la recherche et les industriels, afin que les organes sur puce ne soient plus uniquement des preuves de concept de laboratoire ″, considère Jérémy Cramer, co-fondateur et CEO de Cherry Biotech. Pour autant, ces étapes sont incompressibles : dans tous les développements de produits technologiques, les phases de maturation ont toujours existé. “Encore aujourd’hui nous sommes à ce croisement du droit et de la technologie, ajoute-t-il. Nous devons donc apporter la preuve de la supériorité scientifique de nos outils, une démarche d’autant plus longue que nous sommes dans le secteur de la santé.″ Une responsabilité à porter en parallèle des travaux menés par les chercheurs afin de démontrer l’efficacité des approches. Les acteurs de la filière ont d’ailleurs produit, grâce à un travail collaboratif regroupant plus de soixante chercheurs de différentes organisations, trois échelles d’évaluation pour la maturité technologique, biologique et d’usage, qu’ils cherchent à imposer pour la validation des dispositifs, leur méthode d’utilisation et les mesures produites. ″La filière assure le lobbying mais cela va prendre un peu de temps″, estime Thibault Honegger. ″L’ensemble de notre communauté doit encore produire des efforts pour amener nos produits à une maturité conforme aux attentes des utilisateurs, reconnaît Jérémy Cramer. Il s’agit d’un travail sur le long terme, car il y a autant de preuves de concept que de modèles à imaginer.″ BiomédicalbiotechBiotechscancerMarchémédicamentsPréventionRecherche Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind