Accueil > Industrie > R&D > Comment Dreem veut développer des parcours de soins Comment Dreem veut développer des parcours de soins Positionnée sur le domaine du sommeil, la start-up française a d'abord développé son bandeau pour le grand public. À partir des connaissances issues de l'usage de ses solutions, Dreem se tourne petit à petit vers les applications médicales et ambitionne aujourd'hui de construire des solutions de parcours de soins. mind Health revient sur ce positionnement et les évolutions stratégiques. Par Aurélie Dureuil. Publié le 25 mai 2021 à 17h50 - Mis à jour le 16 février 2023 à 21h24 Ressources La genèse En 2014, deux étudiants en 3e année de master entrepreneuriat, Quentin Soulet de Brugière et Hugo Mercier, rencontrent une équipe de neuroscientifiques (Stéphane Charpier et Michel le Van Quyen de l’Institut du Cerveau (ICM)) travaillant sur le sommeil. De cette rencontre est née en juillet la société Dreem, se remémore Quentin Soulet de Brugière, CEO de l’entreprise. Il précise : “Leurs travaux étaient très intéressants, les problèmes de sommeil touchent beaucoup de monde. Et nous voyions bien comment nos connaissances d’ingénieur pouvaient rendre disponibles les travaux nés en laboratoire, comment en mettant ensemble la médecine et la technologie, nous pouvions faire de la prise en charge dans ce domaine”. Les fondateurs, les dirigeants et les effectifs À la création, les deux cofondateurs, Quentin Soulet de Brugière et Hugo Mercier, occupaient les postes respectivement de CTO (chief technical officer) et CEO (chief executive officer). En mai 2019, Quentin Soulet de Brugière est devenu COO (chief operating officer) avant de prendre le poste de CEO en octobre 2020 au départ d’Hugo Mercier. “Avec la COVID-19, les parcours de soins deviennent numériques. Cela a rendu clair que le développement grand public qui nous a permis de valider nos solutions devenait moins attractif que le développement dans le monde médical. Hugo a beaucoup apporté sur le développement et la commercialisation grand public tandis que j’ai plus travaillé sur la partie médicale. Il avait par ailleurs la volonté de se concentrer sur d’autres projets grands publics”, confie l’actuel CEO. Aujourd’hui, Dreem emploie une cinquantaine de personnes, indique le dirigeant. La société dispose de bureaux principaux à Paris et New-York. Initialement à San Francisco, le bureau américain a été relocalisé pour faciliter la gestion, compte tenu du décalage horaire, signale Quentin Soulet de Brugière. Dreem compte également un bureau à Taiwan avec une personne. La technologie Depuis la création, Dreem développe un bandeau connecté mesurant plusieurs paramètres pour favoriser l’endormissement. Aujourd’hui, il mesure les activités cardiaque, cérébrale et de la respiration. Pour l’activité cérébrale, “les électrodes sont des capteurs complètement passifs qui mesurent le courant généré par l’activité électrique du cerveau. Elles sont composées de silicone et de polymères dopés aux particules de carbone, ce qui permet de les poser facilement sans intervention d’un technicien. Elles peuvent être utilisées plusieurs années”, détaille Quentin Soulet de Brugière. Pour la mesure de la respiration, le dirigeant explique : “un accéléromètre est placé dans le bandeau ainsi qu’un micro que l’utilisateur peut choisir d’activer ou pas. Nous n’entendons pas les sons mais la pression acoustique ce qui permet d’identifier les ronflements, arrêts de la respiration…”. Enfin pour l’activité cardiaque, le système utilise “deux rayonnements et nous voyons comment la lumière est absorbée et rediffusée par les vaisseaux sanguins. Cela nous donne des informations sur l’activité cardiaque et la saturation en oxygène”, indique le CEO. Il ajoute : “tous ces signaux sont analysés sur le bandeau via un processeur embarqué aussi puissant qu’un iPhone. L’analyse est faite par un algorithme de machine learning embarqué. Ces données sont utilisées pour adapter un certain nombre de conseils et exercices”. En effet, les utilisateurs ont accès à une application mobile, disponible sur l’AppStore et Google Play Store, qui fournit des conseils. “L’algorithme est mis à jour régulièrement et s’améliore en permanence. Des mises à jour sur nos serveurs permettent ensuite d’augmenter la précision, d’identifier des biomarqueurs…”, souligne Quentin Soulet de Brugière. Dreem revendique une base de données qui comprend des informations sur plus de 2,2 millions de nuits et plus de 30 000 personnes ayant utilisé le bandeau depuis la création de l’entreprise. Ces données sont aujourd’hui hébergées par Amazon Web Services. “Nous avons déjà une partie des données hébergées par un hébergeur de données de santé certifié. C’est un sujet sur lequel nous sommes en train de nous renforcer d’autant plus que nous allons sur une application plus médicale de notre technologie”, confie Quentin Soulet de Brugière. Les étapes de son développement Alors étudiants, les deux cofondateurs de Dreem ont poursuivi leurs études pendant encore plusieurs mois. “Il nous restait 1,5 an de cours dont une année à Berkeley. Nous nous sommes interrogés sur le fait de quitter notre cursus pour nous concentrer sur la société. Nous avons trouvé plus simple de poursuivre notre scolarité”, se remémore Quentin Soulet de Brugière. Il ajoute : “pendant les six premiers mois, nous étions à Paris dans nos chambres étudiantes. Nous avons réalisé notre première levée de fonds pendant l’été, avons recruté une équipe à Paris pendant que nous poursuivions nos cours à Berkeley. La mise en place de la société était assez alignée avec ce que nous faisions au quotidien”. Dans un premier temps, la société s’est concentrée sur le développement de produits destinés au grand public. “Nous voulions pouvoir mettre nos produits sur le marché le plus rapidement possible pour avoir le retour d’utilisateurs et développer un produit que les gens voulaient vraiment utiliser”, souligne le dirigeant. “Une stratégie qui a mis du temps à être comprise”, constate Quentin Soulet de Brugière. En 2016, l’entreprise a débuté son programme de bêta test. La commercialisation du bandeau Dreem a commencé en juin 2017 en Europe et aux États-Unis. “Puis il y a eu des versions successives”, indique le CEO. Avant d’ajouter : “Au début, nous faisions surtout du suivi du sommeil et du neurofeedback”. En parallèle, Dreem a développé son portefeuille de publications scientifiques. Elle revendique aujourd’hui 40 brevets et 12 publications scientifiques. Après le développement de la solution sur le marché grand public, Dreem a “commencé à faire de la thérapie comportementale cognitive, avec l’idée de vouloir mettre ensemble la médecine du sommeil et la technologie”, précise Quentin Soulet de Brugière. La société a ensuite obtenu en 2019 une autorisation de l’Agence américaine du médicament (Food and Drug Administration, FDA). À la question d’obtenir un marquage CE, le CEO souligne que “ça fait partie de nos plans, mais le changement de réglementation y a mis un coup d’arrêt”. Avant de citer l’obtention de la certification ISO 13 485 en août 2020. “En 2020, nous avons eu une belle publication dans la revue Sleep montrant que notre bandeau et nos algorithmes étaient équivalents à la polysomnographie et aux experts du sommeil pour les analyser. À la suite de cette publication, des laboratoires de recherche et des laboratoires pharmaceutiques ont utilisé nos solutions”, se félicite le dirigeant. La société a ainsi développé une activité autour de l’utilisation de sa technologie dans la recherche médicale. Et, Dreem aborde aujourd’hui une nouvelle étape afin de “construire un parcours de soins intégré où nous allons proposer des solutions allant de l’identification des patients aux solutions de traitement”, confie Quentin Soulet de Brugière. Il prévoit de “découpler la partie amélioration du sommeil de la partie analyse”. Pour la partie analyse, le dirigeant détaille : “nous aurons un produit qui fait purement de la mesure pour une utilisation dans la recherche. Cela nous servira pour faire le diagnostic du sommeil. Nous sommes en train d’aller chercher les autorisations pour faire du diagnostic. Un essai va démarrer pour le diagnostic de la narcolepsie”, La seconde partie portera sur l’amélioration du sommeil et le traitement de l’insomnie. Des travaux avec le centre du sommeil du CHU de Grenoble “Nous avons des projets avec Dreem sur l’optimisation du soin dans les apnées du sommeil. Nous allons redessiner des parcours de santé numérique dans les principales maladies”, confie le Pr Jean-Louis Pépin, directeur médical du centre du sommeil du CHU de Grenoble, qui rappelle avoir commencé à travailler avec la start-up dans le cadre de projets de recherche. Le professionnel de santé liste trois dimensions de l’usage des bandeaux Dreem. D’abord pour la recherche. Il cite notamment un article publié sur l’impact du confinement sur le sommeil. “Nous avons démontré de manière objective que les utilisateurs avaient un sommeil moins stable, de mauvaise qualité. On parle de COVID-somnie. Aujourd’hui, nous regardons si ils vont revenir à un sommeil comme avant”. La deuxième dimension porte sur l’utilisation de la solution pour la recherche médicale : “pour travailler sur des traitements du sommeil ou des traitements qui perturbent le sommeil”. Enfin, la troisième dimension concerne le parcours de soins : “Aujourd’hui, pour se renseigner sur le sommeil, il faut passer une nuit au laboratoire du sommeil. Il faut une année pour avoir un rendez-vous. Au sein du centre du sommeil, il y a plus de 1 000 personnes en attente. Et on ne caractérise pas le sommeil dans son environnement. Le bandeau se prête beaucoup à l’ambulatoire”. Au CHU de Grenoble, le centre du sommeil compte 10 lits d’hospitalisation et réalise environ 20 enregistrements cinq soirs par semaine, signale le directeur médical. Le business model Dreem a débuté avec un modèle de ventes de son bandeau vers le grand public. Ils étaient commercialisés “dans une cinquantaine de pays. Les plus significatifs sont la France, le Royaume-Uni, la Belgique, l’Allemagne, l’Australie, les États-Unis et le Canada”, détaille Quentin Soulet de Brugière. À des tarifs variant entre 399€ en France et 499$ aux États-Unis. Dans un deuxième temps, Dreem a développé une activité pour les laboratoires de recherche et l’industrie pharmaceutique. “Nous fournissons notre bandeau, effectuons l’analyse des données… Nous proposons des contrats pour des essais cliniques”, précise le CEO. Dreem travaille actuellement sur des modèles économiques autour des parcours de soins différents en fonction des pays. “Nous construisons un parcours de soin intégré, de l’identification de patient, au diagnostic et au traitement. Le fait d’intégrer des briques technologiques et de l’analyse de données, nous permet de montrer que nous sommes moins chers et que, sur la durée, les patients sont mieux traités. Nous négocions un prix par patient, pour le diagnostic ou pour le diagnostic et le traitement, c’est ce qu’on appelle des “bundle payment”. Nous ne prévoyons pas de facturation à l’acte justement. En revanche nous travaillons avec des partenaires leaders de leurs secteurs pour commercialiser nos briques technologiques d’analyse ou d’amélioration du sommeil. Ça nous permet de les valider à grande échelle tout en ayant l’effort commercial réalisé par un partenaire. Cette validation à grande échelle renforce la valeur et la crédibilité de notre parcours de soins”, détaille Quentin Soulet de Brugière. Il estime en outre que la crise liée à la COVID-19 a rendu beaucoup plus facile d’intégrer la technologie numérique à la santé. Pour ce nouveau positionnement, Dreem est notamment accompagné par Anne Reiser, ancienne CEO de ResMed Europe & Asie et membre de son board de Dreem. “Ils viennent du domaine du grand public et aujourd’hui on est dans une pathologie médicale. J’interviens au niveau du board et en leur faisant bénéficier de mes connexions, mes réseaux, ma connaissance du secteur”, confie-t-elle. Les financements Au total, Dreem a levé 57 M$ en trois tours de table depuis sa création (mars 2016, juin 2017 et juin 2018). Le dernier d’un montant de 35 M$ a été mené par J&J, via sa branche Innovation, aux côtés des investisseurs historiques Bpifrance, Maif Avenir et des entrepreneurs Xavier Niel et Laurent Alexandre. À la question d’une future levée de fonds, Quentin Soulet de Brugière confirme qu’ “il y aura un prochain tour de financement. Nous avons des ambitions de continuer à nous développer et grossir sur des applications plus médicales avec la construction de parcours de soins”. S’il ne communique pas le chiffre d’affaires, le dirigeant précise que la part des revenus venant de l’activité auprès de l’industrie est aujourd’hui supérieure à celle de l’activité de vente directe auprès du grand public. Les partenaires En février 2020, Dreem a signé un partenariat avec le groupe mutualiste français Ociane Matmut. La mutuelle proposait de prendre en charge une partie de l’achat d’un bandeau de la start-up. “Aujourd’hui, ce n’est pas ce modèle que nous cherchons”, confie Quentin Soulet de Brugière. Le dirigeant cite également “plus de 250 partenaires scientifiques dans le monde” dont l’université de Toronto, l’École Polytechnique, l’université Stanford ou encore la Harvard Medical School. Il se félicite par ailleurs de travailler “avec dix des plus gros laboratoires pharmaceutiques” avec des essais en cours dans les domaines de la narcolepsie, la dermatite atopique, l’asthme, la fibromyalgie, l’urticaire chronique et les maladies de Parkinson, Huntington et Alzheimer. La société travaille également “avec des entreprises de prestations de soin à domicile et des fabricants de dispositifs médicaux pour le déploiement de nos produits à l’international”. Dans le cadre de son nouveau modèle, Dreem discute actuellement à des partenariats sur le marché français, dévoile le dirigeant. Le marché Les troubles du sommeil et le manque de sommeil ont un impact négatif sur des centaines de millions de personnes à travers le monde et constituent une épidémie de santé publique croissante, avec de graves conséquences – du risque accru de maladies cardiovasculaires et neurodégénératives, aux troubles psychiatriques, cite Dreem. L’insomnie concerne 20 % de la population, indique le Pr Jean-Louis Pépin, directeur médical du centre du sommeil du CHU de Grenoble. Il cite également les estimations sur la prévalence de l’apnée du sommeil qui toucherait “un milliard d’individus dans le monde”. Mais malgré leur forte prévalence, les troubles du sommeil restent largement non identifiés et / ou non traités avec moins de 20 % des patients estimés être diagnostiqués et traités avec précision, note également Dreem. Dans une publication de 2017 sur l’insomnie, l’Inserm signale que “les chiffres diffèrent selon les critères choisis pour la définir : ainsi, 37 % des Français souffriraient régulièrement de troubles du sommeil ou de l’éveil. L’insomnie, elle, toucherait 15 à 20 % de la population selon les études, et 9 % souffriraient d’une forme sévère”. FICHE D’IDENTITÉ : DREEM Création : 2014Dirigeant : Quentin Soulet de BrugiereLevées de fonds : 57 M$ en trois toursEffectifs : Une cinquantaine de personnesProduits : Bandeau Dreem avec application mobileChiffre d’affaires : ConfidentielLocalisation : Paris, New-York et TaiwanCapital social : 76 285,85 €SIREN : 803359850 Aurélie Dureuil start-upStratégie Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Clarisse Pamies (Janssen EMEA) : “La philosophie du lab, c’est rendre les choses concrètes, palpables” Stéphane Hasselot (Ociane Matmut) : “Nous mettons en place une participation à l’achat du bandeau Dreem” Diabeloop, Lifen, Qare et DNA Script embarquées dans le programme French Tech 120 Quatre Françaises parmi les 150 start-up prometteuses dans le numérique en santé, selon CB Insights Start-up de la e-santé : plus de 200 M€ levés en 2018, en France Le français Dreem réalise un tour de table de 35 M$ mené par J&J Le suivi des levées de fonds des start-up de l'e-santé