[Étude exclusive mind Health] Les technologies connectées seront bientôt aussi importantes que la télémédecine dans les essais cliniques

Bien qu’il s’agisse d’un marché naissant, les essais cliniques décentralisés émergent de manière significative depuis la pandémie de COVID-19, à tel point que la FDA a publié, en janvier 2021, des directives destinées aux industriels, aux investigateurs et aux comités d’examen institutionnels pour faciliter la conduite des essais pendant la pandémie. Ces consignes encouragent notamment les promoteurs à évaluer la possibilité de conduire des visites virtuelles ou encore de récupérer les données à distance grâce aux technologies de saisie électronique. De quoi donner encore plus d’élan à l’innovation dans les essais cliniques. Où en sont ces technologies qui permettent par exemple de réduire les délais de recrutement des patients, de les fidéliser en facilitant les étapes de suivi, ou encore de faciliter la conduite des études ? 

Pour le savoir, nous avons collecté en juin 2022, pour la deuxième année consécutive, les données attachées aux 325 029 essais cliniques qui figuraient sur le site ClinicalTrials.gov, avec pour chacun une mine d’informations : sujet de l’étude, promoteur, objectif, type d’intervention, aire thérapeutique, pays où il est mené… Afin d’étudier encore plus précisément la montée en puissance de l’utilisation du numérique par le biais des technologies d’analyse, de télémédecine et de pilotage des essais, des technologies connectées et des thérapies numériques (DTx), nous avons affiné notre méthodologie et enrichi la liste des mots clés recherchés, c’est pourquoi certains chiffres varient par rapport à l’an dernier (voir méthodologie). Nous avons aussi poussé l’analyse plus loin, afin de nous intéresser aux objectifs et domaines médicaux les plus concernés par ces innovations.

Plus 28 % d’essais incluant une technologie numérique entre 2020 et 2021

Comme nous l’avions déjà montré en septembre 2021, le nombre d’essais cliniques dits innovants n’a cessé d’augmenter durant les vingt dernières années. Le nombre de ceux impliquant au moins une technologie d’analyse, de pilotage, de télémédecine ou encore des objets connectés et des DTx est ainsi passé de seulement 54 en 2001 à 1 180 en 2011 et 6 213 en 2021, soit un quart de tous les essais cliniques lancés cette année-là.

Alors que le nombre total des essais cliniques n’avait cessé d’augmenter depuis 2001, il a connu une légère baisse en 2020 (22 243 contre 22 928 en 2019), tandis que le nombre d’essais incluant au moins une technologie numérique continuait de croître, bien qu’à un rythme un peu moins soutenu (+ 5 %). Nous pouvons observer un effet rebond en 2021, puisque le nombre d’essais dits innovants est passé de 4 856 en 2020 à 6 213 l’année suivante ( + 28 %) contre une augmentation de 14 % pour tous les essais cliniques.

Trois familles de technologies se démarquent

Selon notre décompte, plus de 37 400 études incluant au moins une technologie numérique ont été lancées depuis 1990, soit 11,5 % de tous ceux recensés par ClinicalTrials. Nous avons distingué cinq grandes familles de technologies numériques : celles dites d’analyse (algorithms, machine learning, dossier médical partagé, neural networks…), celles de télémédecine (réalité virtuelle, télésoins, moniteurs de patients à distance…), celles dites de pilotage (formulaire de rapport de cas, e-consent, système de gestion des essais cliniques…), les technologies connectées (applications mobiles, traqueurs d’activité, activity watch, moniteur de fréquence cardiaque…) et les DTx (thérapies digitales, digital neurotherapeutics, thérapies par réalité virtuelle…).

Comme déjà observé l’année dernière, les technologies d’analyse sont les plus représentées : plus de 20 567 essais débutés depuis 1990 les ont fait intervenir, soit 46 % de ceux incluant du numérique. Après une légère baisse en 2020 (- 4 % ) elles ont connu une forte hausse en 2021 (+ 22 %) notamment du fait de l’utilisation de logiciels (1 212 essais en 2021), d’algorithmes (675) et des dossiers médicaux partagés (235). 

Une analyse plus fine des données relatives à ces derniers révèle un écart important entre la place qui leur est accordée aux États-Unis et en France. Ainsi, sur un total de 1 376 essais cliniques impliquant des dossiers médicaux partagés recensés dans la base ClinicalTrials, 1 107 ont été menés aux États-Unis, soit 5,9 % des 18 752 essais innovants qui y ont été menés, contre huit seulement de ce côté-ci de l’Atlantique, soit 0,3 % des 2 562 essais innovants menés dans l’Hexagone. Dans un entretien accordé à mind Health en mai 2022, Alexandre Malouvier, directeur de l’unité Partenariats et Innovation médical au sein du CRO ICON, pointait la faiblesse de l’interopérabilité dans le système français : “nous avons un éparpillement des différents types de dossiers électroniques, avec un empilement de solutions différentes (…). À l’inverse, les Etats-Unis ont imposé une méthode de codage (le FIHR) commune à l’ensemble des solutions de dossier électronique patient hospitalier et des médecins. Tant que l’on n’aura pas imposé un tel standard en France, recourir à l’e-sourcing ou au remote SVD sera compliqué. Je pense que cela va mettre une dizaine d’années à se mettre en place (…). La dernière solution proposée par le gouvernement est fortement critiquée.”

Notre étude a également permis d’identifier 442 essais citant le machine learning, dont celui mené en 2021 par la startup française Presage en collaboration avec l’AP-HP et l’Assistance Publique Hôpitaux de Marseille. L’étude analyse l’effet d’un système de gestion des alertes qui permet de prédire, grâce au machine learning donc, l’hospitalisation en urgence d’une personne âgée vivant à domicile, sept à 14 jours avant son hospitalisation effective

L’amélioration de notre méthodologie nous a permis de corriger une anomalie : contrairement à ce qui apparaissait l’an dernier, les technologies de télémédecine ne sont pas en retrait par rapport à celles d’analyse et connectées. Elles devancent même légèrement ces dernières, en ayant connu un essor particulièrement soutenu depuis 2019. Elles représentent 29 % des résultats, soit 12 987 essais. Citées dans 9 460 études, soit 11 % des essais innovants, les technologies connectées ont connu une évolution particulièrement forte en 2021, avec + 43 %. 360 d’entre elles font référence à des traqueurs d’activité. C’est notamment le cas de l’étude lancée en 2020 par Janssen en collaboration avec le centre lyonnais de lutte contre le cancer Léon Bérard, qui étudie l’efficacité d’un programme d’activité physique sur application mobile connectée à un traqueur d’activité, sur l’amélioration de la qualité de vie et la diminution de la fatigue chez les patientes atteintes d’un cancer du sein métastatique. 
Les technologies de pilotage des essais et les DTx semblent bien moins souvent utilisées. La première représente 3,1 % des essais (1 407), dont 852 utilisent un “cahier d’observation électronique”, et 242 recueillent le consentement de manière électronique grâce à “l’e-consent”. Seulement 0,5 % (259) des essais lancés et incluant du numérique font mention des “digital therapeutics”, dont l’étude lancée en 2021 par Urgotech, la startup du groupe Urgo, en collaboration avec l’université de Grenoble, qui teste l’efficacité et l’acceptabilité d’une solution digitale qui permet d’entraîner des fréquences EEG spécifiques afin d’améliorer le sommeil. Cet entraînement se fait grâce à un bandeau connecté développé par la startup permettant d’effectuer un neurofeedback en toute autonomie chez des participants insatisfaits de la qualité de leur sommeil.

Quels objectifs médicaux les essais incluant du numérique poursuivent-ils ?

Les promoteurs des essais cliniques renseignent également dans ClinicalTrials.gov l’objectif principal de l’intervention ou des interventions évaluées par l’essai. Si le traitement d’une maladie, d’un syndrome ou d’une condition est l’objectif principal de 65 % de ceux publiés dans la base de données, il ne l’est que pour 40 à 50 % de ceux incluant des technologies d’analyse, de télémédecine et des objets connectés. Les technologies de pilotage des essais sont légèrement au-dessus de la moyenne sur ce critère (66,8 %), et les DTx bien au-dessus (72,6 %).

15 % des essais qui utilisent des technologies connectées ont la prévention pour principal objectif, et 14 % les soins de support visant à maximiser le confort, minimiser les effets secondaires ou atténuer le déclin de la santé ou des fonctions du participant.

Les dispositifs médicaux en tête des interventions des essais incluant du numérique

Lors d’un essai clinique, les participants subissent des interventions médicales spécifiques déterminées par le plan de recherche ou le protocole mis en place par les investigateurs. Ces interventions peuvent porter sur des produits de santé (médicament, dispositif médical, thérapie cellulaire et génique), des procédures médicales (comme des interventions chirurgicales), ou encore des changements de comportement des participants (régime alimentaire, par exemple). 
Étudier cette information nous a ainsi permis de mettre en évidence que les technologies innovantes sont surreprésentées pour les dispositifs médicaux (6,5 % de l’ensemble des essais de la base, mais 11,6 % de ceux incluant du numérique) et les essais comportementaux (5,4 % contre 11,4 %), mais sous-représentées pour la prise de médicaments (15,3 % contre 5,4 %). Philippe Lamoureux, directeur général du Leem, a souligné auprès de mind Health en mai 2022 que “nous sommes en train de vivre une transformation profonde dans l’industrie des médicaments, avec une vague d’innovations colossales. Nous allons passer d’une approche centrée sur le médicament à une approche de solutions globales de santé dans laquelle on retrouvera des médicaments, mais aussi des dispositifs médicaux, de l’IA, etc. Nous nous dirigeons donc vers des solutions d’avenir qui sont des solutions de technologies mixtes.”

Endocrinologie, psychiatrie et neurologie

Pour aller plus loin, nous avons sélectionné les 200 conditions et pathologies les plus récurrentes dans les essais cliniques dits innovants, afin de qualifier les spécialités médicales correspondantes. Il ressort que l’endocrinologie (associée principalement aux différents types de diabètes) arrive en tête des spécialités avec plus de 4 500 essais cliniques distribués à parts presque égales entre les technologies d’analyse, les technologies connectées et les technologies de télémédecine.

Viennent ensuite les essais associés à la psychiatrie (3 519 essais) et la neurologie (3 289), où les technologies d’analyse et de télémédecine sont les plus utilisées.