Accueil > Industrie > Thomas Borel (Leem) : “Nous sommes le seul secteur industriel à avoir porté une démarche RSE à ce niveau de maturité” Thomas Borel (Leem) : “Nous sommes le seul secteur industriel à avoir porté une démarche RSE à ce niveau de maturité” Il y a un an, le Leem (Les entreprises du médicament) lançait son “Académie du Digital en Santé” (ADS), une plateforme de formations dédiée au numérique en santé. Parallèlement, le Leem poursuit le déploiement de son plan consacré à la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Thomas Borel, directeur des affaires scientifiques, est en charge de l’ADS et de la RSE au Leem. Il nous éclaire sur l’état d’avancée de ces deux projets stratégiques. Par Romain Bonfillon. Publié le 06 juin 2023 à 22h09 - Mis à jour le 02 juin 2023 à 15h10 Ressources Pouvez-vous nous rappeler la vocation de l’ADS, née il y a un an ? L’Académie du Digital est née d’un souhait des industries du médicament de renforcer le développement des compétences des collaborateurs des entreprises dans le domaine du digital. Cela passe par les formations et par l’acculturation aux grands enjeux de la transformation numérique des industries de santé, à tous les niveaux de l’entreprise. Nous avions également l’ambition de nous servir de cet espace virtuel pour créer un hub d’innovations qui rassemble des entreprises engagées dans le digital, des sphères académiques et des acteurs medtech qui voudraient monter des projets collaboratifs. Pour l’instant, ce hub reste au stade de projet car un certain nombre de dispositifs et d’acteurs similaires sont déjà présents sur le territoire français (Future4Care, AGORiA SANTĒ portée par Docaposte, la Filière Intelligence Artificielle et Cancers (FIAC), etc.)) et nous nous posons la question de la valeur ajoutée que nous pourrions apporter avec l’Académie du Digital en Santé. Philippe Lamoureux (Leem): “Nous sommes en train de vivre une transformation profonde de l’industrie des médicaments” Comment a évolué votre offre de formation depuis le lancement de l’ADS ? Il faut déjà rappeler que notre offre de développement de compétences et d’acculturation au digital en santé ne s’adresse pas aux seules entreprises du médicament, elle est ouverte plus largement à toutes les entreprises en santé. Notre positionnement est donc très indépendant des entreprises du médicament. Nous avons d’ailleurs créé une entité juridique indépendante du Leem au moment du lancement de l’ADS. Depuis un an, nous avons développé un catalogue de formations assez dense, avec 19 modules de formation. Ils peuvent être très spécialisés (comme le module “Intelligence artificielle et data science”) ou plus transverses (comme le module “Management de l’innovation en santé”). Pour le nouveau catalogue (sorti en avril 2023 et disponible en ligne, ndlr), nous avons élaboré de nouveaux contenus de formation et nous nous sommes adossés à d’autres partenaires. Nous déployons un nouveau module avec Science Po Executive Education et un autre avec Telecom Paris Executive Education. Quelles formations ont eu le plus de succès ? L’offre d’acculturation, qui permet de bénéficier d’un vernis d’informations sur le digital en santé, est celle qui fonctionne le mieux, en volume d’apprenants. Il faut ajouter qu’en plus de celle-ci et des modules spécifiques à certains sujets comme le management de l’innovation, nous avons un troisième paquet d’offres qui consiste à élaborer des parcours de formation en fonction des profils de responsabilité dans les entreprises (le directeur marketing, le directeur médical, le chef de produit). Tous modules confondus, nous avons eu plus de 700 participants à ce jour, principalement issus des entreprises du médicament. Quelles sont vos ambitions pour l’avenir de l’ADS ? Nos ambitions sont importantes en termes de nombre et de diversité de personnes formées. Il reste important pour nous que ce développement puisse se faire en dehors du domaine pharmaceutique. Nous sommes donc très ouverts à toute forme de collaboration avec d’autres secteurs entrepreneuriaux. In fine, notre objectif n’est pas de construire un business. Notre finalité est de faire mûrir le digital en santé et qu’il s’insère aussi bien dans les entreprises que dans les offres qu’elles mettent à disposition. Nous sommes persuadés que cet accompagnement est nécessaire et qu’il pourra les faire monter en compétences. On peut inventer mille systèmes d’IA exploitant de la donnée de santé et des dizaines de thérapies numériques, s’il n’y a pas derrière, en France, les compétences humaines pour les utiliser, elles ne seront pas adoptées. Vous êtes également en charge de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) au sein du Leem. Quel périmètre d’actions cela couvre-t-il ? Le terme de RSE peut parfois poser problème, puisqu’il englobe un champ d’action large des entreprises. La responsabilité sociétale d’une entreprise du médicament passe non seulement par les sujets environnementaux mais aussi par la sécurisation des approvisionnements en médicaments. Les défis, qui ont été pointés du doigt par les membres du Leem et plus généralement par l’ensemble des citoyens qui bénéficient du médicament, nous ont conduits à définir un plan en 6 axes, intitulé PACTES. Cette démarche RSE a pris plus de deux ans à être construite. À ma connaissance, nous sommes aujourd’hui le seul secteur industriel à avoir porté une démarche RSE à ce niveau de maturité, avec des engagements précis. Auriez-vous des exemples d’engagements contenus dans ce plan ? Pour chaque axe, il existe des objectifs qualitatifs et quantitatifs, qui servent de guide d’implémentation de cette stratégie pour les entreprises volontaires qui y adhèrent. Sur l’axe “patients”, par exemple, c’est la prise en compte des attentes des patients dans l’élaboration des protocoles d’essais cliniques ; pour la dimension “approvisionnement”, il s’agit de s’assurer de l’efficacité des mesures prises dans le cadre d’un plan de gestion des pénuries ; sur la dimension “environnement”, c’est l’objectif de mise en place d’études d’impact sur la santé environnementale ; sur la dimension inclusive, c’est l’exigence de parité dans les instances dirigeantes de l’entreprise. Comment le guide d’implémentation de la RSE a-t-il été accueilli par les entreprises du médicament ? Un premier bilan a été réalisé l’an dernier, après la phase pilote. Trente- quatre entreprises, représentant la moitié du chiffre d’affaires de la pharma, avaient adhéré au dispositif et documenté tous ces indicateurs. Le bilan a été fait par une agence de notation extra-financière, qui est venue analyser les données et interviewer les parties prenantes, pour dresser un état des lieux du niveau de maturité du secteur. S’agissant d’une phase pilote, nous avons peu communiqué sur ce document, il est néanmoins disponible sur le site du Leem. Il s’agissait surtout pour nous d’apprécier la façon dont les entreprises pouvaient s’engager sur ces différents sujets. Nous sommes en train de conduire la première année d’exercice plein et avons terminé le recueil des données d’une quarantaine d’entreprises. Nous les communiquerons à la rentrée, à partir de septembre 2023. Le Leem s’est-il engagé spécifiquement sur la dimension environnementale ? Depuis début 2023, nous avons mis à disposition des entreprises du secteur pharmaceutique un outil d’évaluation pour qu’elles réalisent leur propre bilan carbone. Pour rappel, ce bilan carbone est obligatoire pour les entreprises de plus de 500 collaborateurs. Toutes les entreprises, notamment les plus petites, ne le font donc pas et, par ailleurs, les bilans carbone sont techniquement assez complexes à réaliser. Nous avons donc essayé de construire des critères spécifiques au secteur pharmaceutique. CarbonEM a été développé par le Leem pour permettre à toutes et tous de faire un bilan carbone. A-t-on une idée précise du bilan carbone des industries pharmaceutiques ? Nous avons réalisé cette année une étude d’évaluation du bilan carbone du secteur pharmaceutique en France. Ce fut un exercice compliqué, mais nous avons des premiers chiffres des émissions du secteur industriel pharmaceutique. Cette étude a permis de distinguer la part des émissions associées au médicament produit en France (11,8 MtCO2e) de celle des émissions du médicament consommé sur le territoire (18,8 MtCO2e). Elle a, par ailleurs, permis de bien comprendre ce qui relève des différents scopes dans ces émissions (le scope 1 se rapporte aux émissions directes, liées à la fabrication du produit; le scope 2 aux émissions indirectes liées aux consommations énergétiques; le scope 3 aux autres émissions indirectes, ndlr). Sans surprise, 85% des émissions du bilan carbone relèvent des émissions du scope 3. Comment entendez-vous contribuer à réduire ces émissions ? Nous sommes en cours d’élaboration d’une trajectoire de décarbonation du secteur et de voir quels sont les leviers en France pour diminuer l’empreinte carbone des entreprises du médicament, qu’elles soient dans le domaine de la production ou pas, afin qu’elles puissent respecter au mieux l’Accord de Paris. Cela se traduira concrètement par l’élaboration d’une feuille de route que nous allons terminer pour la rentrée. J’ajoute que nous avons également complété la feuille de route décarbonation qui a été élaborée dans le cadre du comité stratégique de la filière Industries et technologies de santé (ITS). Nous avons beaucoup de fers aux feux dans le domaine environnemental puisque nous travaillons également sur les éco-conceptions, et notamment sur les stratégies de réduction et de remplacement des plastiques. Cela a été demandé par les autorités à toutes les filières (sous l’égide de l’ONU, un traité international est aussi actuellement en discussion pour imposer des mesures juridiquement contraignantes d’ici à 2024, ndlr). Cette “stratégie 3R” sera disponible à la rentrée. Le contexte inflationniste a-t-il sensibilisé les industries du médicament à l’urgence environnementale ? Même si les choses s’accélèrent fortement, notre travail a été engagé il y a deux ou trois ans, donc cela n’a pas été l’élément déclencheur. Concrètement, le contexte inflationniste a plutôt dégradé le modèle économique de certains médicaments. Aujourd’hui, nous sommes écartelés entre le souhait d’être dans une logique environnementale avec le moins d’empreinte possible (sur le carbone, l’aluminium, le plastique, l’eau) et de l’autre côté un enjeu industriel (développer la production sur le territoire) avec une préoccupation première qu’est l’ enjeu sanitaire (s’assurer de l’accès des médicaments aux patients français). Ce n’est pas évident de mener de front ces trois combats. Dans un monde idéal, nous parviendrions à réindustrialiser le pays avec le maximum de production sur le territoire français et avec des molécules à empreinte environnementale nulle… ce n’est pas possible ! Nous sommes donc face à un dilemme mais poursuivons cet effort pour servir au mieux les besoins des patients français. Comment limiter les émissions carbones de l’industrie pharma ? Le think tank “The Shift Project”, qui oeuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone, a publié fin 2021 un rapport dédié au secteur de la santé. Ce dernier représenterait 8 % des émissions de gaz à effet de serre dans l’Hexagone. L’achat de médicaments des émissions), dont la production est majoritairement localisée à l’étranger, serait le principal poste d’émission (33 %), devant les dispositifs médicaux (22 %) qui sont souvent à usage unique (blouses, compresses, seringues, gants, masques, etc.) et les transports (16 % des émissions). Parmi la quarantaine de mesures proposées à l’époque par The Shift Project, citons la relocalisation de certaines molécules essentielles en Europe, la décarbonation profonde des processus de fabrication et de distribution des médicaments et le développement de la télémédecine. Thomas Borel Depuis 2015 : Directeur des Affaires Scientifiques & Responsabilité Sociétale des Entreprises au Leem 2013-2015 : Directeur Affaires Publiques, Accès au Marché & Communication chez Boehringer Ingelheim 2013 : Vice Président associé Politique de santé & Stratégie payeurs Europe chez Sanofi 2004-2007 : Responsable Epidémiologie & Santé Publique chez AstraZeneca Romain Bonfillon FormationIndustrieMédicamentRSEStratégie Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Ruptures d’approvisionnement : le Leem fait de nouvelles propositions Marché du médicament : les grands renversements