Comment Medipath et Ibex Medical Analytics ont conçu une solution d’IA utilisée en routine pour le diagnostic du cancer de la prostate

L’anatomopathologie est une discipline-clé du parcours de soin. De l’analyse des coupes de tissus sur lames découle une multitude de données (diagnostic, pronostic, théranostique c’est-à-dire la “médecine personnalisée”) essentielles pour la prise en charge des patients atteints de cancers, ce qui en fait une discipline à la fois cruciale et exigeante.

Avec plus de 110 médecins et 580 collaborateurs répartis sur 29 sites, Medipath est un acteur majeur de l’anatomopathologie en France. Depuis quelques années, il a entamé sa transformation numérique, adoptant notamment un logiciel d’aide au diagnostic basé sur une IA, utilisé en routine dans les cas de cancers de la prostate : Galen Prostate, développé par la société israélienne Ibex Medical Analytics.

Genèse et objectifs de la collaboration

“Nous nous intéressons à la pathologie numérique et à l’usage de l’intelligence artificielle (IA) depuis 2013. Cela fait plusieurs années que nous avons mis en place une veille scientifique sur ces sujets parce que nous pensons qu’ils représentent un tournant dans notre spécialité, et plus globalement en médecine, explique le Dr Delphine Raoux, responsable de la commission Innovation & Technologies chez Medipath. Notre objectif était de pouvoir participer au développement de cette innovation et d’être actif dans le domaine et non simple utilisateur d’outils qui seraient arrivés sur le marché sans regard critique ou contrôle dans leur développement”.

Fin 2018, Medipath, qui a déjà entamé sa transformation numérique, rencontre Ibex Medical Analytics, un des pionniers de l’IA dans le domaine de la pathologie. “Ils nous ont proposé le premier outil qu’ils ont mis en place, qui était Galen Prostate. Déjà à l’époque, nous avons pu mesurer l’étendue de la performance de cet outil d’aide au diagnostic”, se souvient le Dr Raoux.

Partenariat avec Ibex

Ibex Medical Analytics propose à Medipath de tester Galen Prostate, sa solution logicielle de Second Read (seconde lecture), un outil de contrôle qualité qui permet au médecin de vérifier son diagnostic afin de s’assurer d’aucun oubli ou d’aucune erreur. Un outil jugé prometteur par Medipath. “Cet outil était déjà très performant et très complet. Il s’agissait d’une solution nous permettant non seulement de faire le diagnostic mais aussi d’avoir d’autres critères très importants dans la prise en charge du patient comme le score de Gleason, les lésions intermédiaires de type néoplasie intraépithéliales non graves, et d’autres lésions comme l’inflammation ou l’atrophie, que l’on décrit habituellement sur nos lames et qui là étaient déjà très bien décrits par cet outil”. Medipath décide alors de nouer un partenariat avec Ibex pour pousser Galen Prostate plus loin et en faire un outil de first read, robuste et fiable.

D’un outil de seconde lecture à un outil de première lecture

Medipath et Ibex réalisent alors une étude de validation clinique, une étude rétrospective sur Galen Prostate Second Read et développent ensemble le nouvel outil Galen Prostate First Read (première lecture), qui utilise le même algorithme que la version Second Read mais qui a été enrichie et adaptée pour une utilisation en première lecture diagnostique . “Pour développer cette IA, nous avons collecté beaucoup de lames issues de différents laboratoires, dont Medipath, explique le Dr Chaim Linhart. Ensuite, des pathologistes experts ont annoté ces lames pour identifier les zones de cancer, d’inflammation, etc… Concrètement, les pathologistes ont entraîné cette IA !” Les algorithmes d’IA et de Deep Learning d’Ibex sont “nourris” de milliers de lames et de leurs annotations jusqu’à être capables de reconnaître seuls ces signes cliniques. “L’idée est d’avoir un algorithme capable non seulement de reconnaître les lames et de situer ces signes cliniques, mais aussi d’aider les pathologistes dans leur diagnostic”, précise le Dr Chaim Linhart.

Les équipes mobilisées

L’équipe projet dédiée à la pathologie numérique et au développement de l’IA de Medipath est mobilisée sur le projet, soit un cadre scientifique et 3 techniciens (un informaticien, un data manager et un responsable médical). Dans un second temps, les équipes médicales participent également pour tester les solutions. “Au final, nous sommes une dizaine de personnes pour chaque projet”, précise le Dr Delphine Raoux. De son côté Ibex compte plus de 60 collaborateurs qui interviennent à différents stades du projet, selon leur profil (datascientists, ingénieurs informatiques, experts IA et pathologistes). “Pour ce projet avec Medipath, nous avons mobilisé notre équipe R&D, un manager de projet et l’équipe customer success pour être sûr que l’intégration de la solution avec l’environnement informatique existant de Medipath fonctionnerait, ainsi que sa prise en main par les utilisateurs”, explique le Dr Chaim Linhart.

L’étude de validation clinique dure plusieurs mois. Cette première étape franchie, l’algorithme est intégré dans les solutions logicielles de première et de seconde lectures Galen Prostate, puis les équipes d’Ibex et Medipath mènent une deuxième étude, en conditions réelles “afin de s’assurer que le pathologiste qui utilise la solution est meilleur avec l’IA que sans, note le Dr Chaim Linhart. En santé les choses prennent du temps, mais cela est nécessaire pour développer le produit le plus robuste et le plus fiable.”

Un site pilote à Fréjus

Cela fait désormais plus d’un an que Medipath utilise l’outil de première lecture de Galen Prostate. Le laboratoire a commencé avec un site pilote à Fréjus, avec six médecins. Puis, après des échanges avec Ibex pour perfectionner la solution, l’outil a été déployé sur les autres sites médicaux qui dépendent du plateau technique de Fréjus. En 2021, Medipath a également acquis deux scanners, l’un pour son site de Perpignan et l’autre pour son site de Bordeaux, permettant ensuite aux médecins de ces deux sites d’utiliser eux aussi Galen Prostate. “Aujourd’hui, presque 40 médecins utilisent Galen Prostate en routine chez Medipath”, souligne le Dr Raoux.

Et les médecins privilégient l’outil de première lecture. “Il nous apporte plus de fluidité dans notre travail. Au lieu d’utiliser notre microscope et d’avoir une IA qui vérifie après-coup, on utilise d’emblée l’IA pour lire la lame et faire le diagnostic sur des lames numérisées. Nous n’utilisons plus le microscope pour les cas de prostate”, témoigne le Dr Delphine Raoux. Un constat partagé par Ibex avec ses autres laboratoires partenaires. “Une fois que vous plongez un pathologiste dans ce nouvel environnement de travail, il l’adopte très facilement. Sa facilité d’usage et d’adoption en fait un véritable game changer.”

Bénéfices

Efficacité diagnostique

Sur la pratique médicale, Medipath a remarqué une efficacité diagnostique et une amélioration de la confiance dans le diagnostic. “Les médecins se sentent rassurés à 200% après avoir utilisé Galen Prostate, fait valoir le Dr Raoux, rappelant que le médecin est toujours maître du diagnostic final. Nous constatons une modification de diagnostic dans environ 3% des cas, ce qui peut paraître peu mais au final, la solution d’IA nous permet de nous approcher au maximum de la perfection diagnostique.”

Galen Prostate permet notamment d’améliorer l’efficacité diagnostique sur les toutes petites lésions tumorales, qui peuvent être très difficiles à détecter au microscope. “Un prélèvement de cartographie prostatique, c’est au minimum 12 biopsies de prostate qui font entre 10 et 15 millimètres chacune. Il faut donc être très attentifs, souligne encore le Dr Raoux. L’IA nous permet de screener de façon vraiment très précise et de ne rien louper. Le diagnostic est optimisé et la prise en charge est donc optimisée derrière.”

Un second regard

“La pathologie n’est pas un domaine binaire : il ne s’agit pas juste de dire “cancer ou pas cancer” avec une réponse très claire. Il existe des cas très difficiles. Lorsqu’un pathologiste analyse une lame, il peut commettre des erreurs. L’IA permet d’ajouter un second regard qui permet de conforter un diagnostic et d’écarter d’éventuelles erreurs. Elle permet également de réaliser un compte-rendu objectif, sur des critères précis (quantité de lésions…) et d’accélérer le délai d’exécution du diagnostic”, note le Dr Linhart. De quoi réduire l’attente, souvent anxiogène, des patients concernés par ces examens.

Homogénéisation diagnostique

Le Dr Delphine Raoux évoque un troisième bénéfice : l’homogénéisation diagnostique. “La pratique courante de la pathologie repose sur des réseaux de relecture et d’expertise. On voit souvent les cas complexes à plusieurs médecins, dès que l’on a un doute. Les solutions d’IA permettent d’augmenter l’efficacité de chaque pathologiste, quel que soit l’endroit où il travaille. Ce n’est pas toujours évident d’avoir un expert à proximité et d’avoir une homogénéité diagnostique partout. Ces outils d’intelligence artificielle permettent cette homogénéisation en améliorant la fiabilité diagnostique, ce qui est bon pour les médecins et pour les patients.”

Coût du projet

Passer à la pathologie numérique nécessite quelques investissements que Medipath avait anticipé ces dernières années, notamment via l’achat de matériel (scanners, graveurs de lame, cassettes adaptées, serveurs informatiques) et le développement de son réseau informatique. “Pour un plateau technique, l’implémentation de la pathologie numérique représente 400 000 euros, auxquels il faut ensuite ajouter le coût d’une solution d’IA, qui varie selon le type d’organe”, précise le Dr Raoux.

Prochaines étapes

Ibex continue d’améliorer la solution de première lecture de Galen Prostate, qui doit être déployée sur deux nouveaux sites de Medipath prochainement. “Comme nous voulions l’utiliser rapidement, la version que nous utilisons actuellement n’est pas la version définitive, même si elle est déjà très fiable pour une utilisation en routine, souligne le Dr Raoux. Nous attendons l’ajout de détails pour encore plus de fluidité dans notre utilisation de l’outil, dont l’utilisation sur différents sites soulève différents enjeux techniques, notamment en termes de réseaux et de connectiques.”

L’autre objectif d’Ibex est d’étendre la solution au cancer du sein et à d’autres types de tissus. Ibex a ainsi développé une solution dédiée au cancer du sein, qui a été validée par l’Institut Curie à Paris, et poursuit le développement d’un outil pour la biopsie gastrique. Dans cette optique, Ibex travaille déjà avec d’autres acteurs français comme l’Institut Curie et Unilabs.