Accueil > Parcours de soins > Jean-Claude Couffinhal (Académie Nationale de Chirurgie) : “En chirurgie robotique, il y a un déficit de formation gigantesque !” Jean-Claude Couffinhal (Académie Nationale de Chirurgie) : “En chirurgie robotique, il y a un déficit de formation gigantesque !” Robotique, réalité virtuelle ou augmentée, intelligence artificielle… Les nouvelles technologies investissent le bloc opératoire et développent une nouvelle manière de pratiquer la chirurgie. Du moins, sur le papier. Car au-delà des promesses, les défis restent nombreux. Quelle est la réalité de l’innovation au bloc aujourd’hui ? Le Dr Jean-Claude Couffinhal, Responsable Innovation, Robotique & Formation de l’Académie Nationale de Chirurgie, analyse la transformation en cours alors que se tient jeudi l’événement Chirurgie du futur, organisé par Medicen Region Paris. Par Sandrine Cochard. Publié le 18 octobre 2022 à 22h51 - Mis à jour le 03 janvier 2023 à 14h55 Ressources Quelles innovations observez-vous actuellement au bloc opératoire et que disent-elles de la médecine aujourd’hui ? La plus grande partie de la “révolution” est encore à venir. L’ensemble de la médecine va s’inscrire dans un circuit digital, depuis le diagnostic jusqu’à l’acte opératoire et le suivi des patients. Tout ce parcours sera, à terme, intégralement suivi par des datas, pour créer une boucle continue allant du pré-opératoire au post-opératoire . Nous n’en sommes pas encore à ce stade. Aujourd’hui, l’innovation est très présente en diagnostic, en imagerie, en génomique et sur les marqueurs de mutation en cancérologie, avec de nombreuses données générées. Demain, nos diagnostics ne reposeront plus uniquement sur ce que l’on sait des antécédents du patient ou des études publiées sur sa maladie, mais s’appuieront sur l’ensemble de ces données. Des fonds européens pour financer la recherche en robotique Le bloc opératoire a-t-il commencé à se digitaliser ? Oui, il intègre déjà une partie digitale. En orthopédie ou en chirurgie des tissus mous (digestive, thoracique, gynécologique), on crée en amont de l’intervention une représentation 3D des lésions des patients à partir des données Scanner et IRM. Cela permet de faire par exemple, une modélisation de la tumeur pour réaliser la planification, définir la meilleure stratégie opératoire. Ensuite, en salle d’opération, ces paramètres sont intégrés aux robots que l’on utilise pour opérer et vont nous guider et nous assister tout au long de l’intervention. Nous pouvons dans certains cas recourir à la réalité augmentée, en superposant en temps réel à notre vue opératoire les données préopératoires qui sont actualisées en fonction du stade de l’opération. Que peut aujourd’hui faire un robot de chirurgie ? Lorsque l’on parle de robotique chirurgicale, il faut bien comprendre qu’il s’agit de télémanipulation. Le chirurgien est assis à une console et réalise le geste chirurgical à partir des informations lues sur un écran. Actuellement, nous n’avons pas de robots qui réalisent nos gestes à notre place. Techniquement, certains robots pourraient déjà réaliser certains gestes. Mais sur les tissus mous par exemple, cela nécessite une intelligence artificielle puissante associée à beaucoup de données pour permettre au robot d’avoir une simulation et une compréhension du stade opératoire. Actuellement, l’intelligence artificielle embarquée sur nos robots reste limitée bien que le développement expérimental progresse très rapidement. Son utilisation à terme sera soumise comme pour la voiture autonome à la mise en place de cadres juridiques de responsabilité et éthiques concernant les utilisations et les responsabilités. Le robot tel qu’utilisé au bloc peut déjà nous guider, prédire le temps de durée de l’intervention, nous envoyer des alertes contextuelles (si on approche de structures vitales par exemple) et dire si l’on a bien travaillé ! 9 tendances d’innovation dans les filières medtech, santé numérique et biotech Comment sont formés les médecins à cette nouvelle chirurgie ? La formation pose un problème majeur : il n’existe pas de cadre réglementaire de formation ni aucune évaluation des aptitudes ! Une formation est réalisée par l’intermédiaire des industriels, mais seulement si vous achetez l’appareil, et ils ne forment qu’un nombre limité d’équipes. Il existe des diplômes universitaires de chirurgie robotique qui se déroulent sur une semaine mais qui ne sont pas très répandus. Pour les opérateurs confirmés, il existe des masterclass et des cours spécialisés dans des instituts comme l’IRCAD à Strasbourg ou ORSI en Belgique. En chirurgie robotique, il existe un déficit de formation initiale gigantesque qui pourrait être facilement comblé par une mise en place de centres de simulation adaptés permettant d’acquérir les “basic skills” et les fondamentaux donnant lieu à un certificat qui devrait être obligatoire pour tous les opérateurs, c’est un gage de sécurité et de qualité pour les patients. Comment mettre ce projet en pratique ? Nous avons sur chacun des 3 types de robots disponibles à ce jour des simulateurs qui permettent de s’entraîner pour acquérir ces compétences fondamentales. Une fois cela acquis, on peut commencer à travailler sur du “procédural” : faire une lobectomie pulmonaire, une résection colique ou rectale ou une intervention de gynécologie. Mais cela devrait être possible dans toutes les cliniques et tous les hôpitaux. Tous les internes devraient pouvoir aller se former sur leur lieu de travail, d’autant qu’il existe des appareils qui permettent de se loguer sur une plateforme de manière personnalisée et d’assurer ainsi un suivi et une traçabilité de la formation. Or, nous n’avons pas suffisamment de robots. Nous ne pouvons donc travailler sur un simulateur que lorsque le robot n’est pas en intervention chirurgicale. Il est nécessaire de développer des lieux dédiés à cet apprentissage. Ainsi, au lieu d’être 5-6 au-dessus de l’épaule d’un opérateur, ou attendre son tour pour s’installer à une double console, la simulation permettra à chaque chirurgien de disposer d’une expérience en amont de l’opération. Le coût d’un robot n’est-il pas dissuasif ? Le prix d’utilisation du robot au bloc opératoire n’est pas la donnée déterminante. C’est l’impact global de son utilisation sur la chaîne de soins que l’on doit apprécier. On doit prendre en compte l’augmentation du taux de chirurgie mini invasive, la diminution de la durée de séjour très significative lorsqu’elle est associée à la Réhabilitation précoce (RAC), moins de complications, moins de passages en soins intensifs, d’utilisation de médicaments… Le tout cumulé représente un gain important de dépenses de soins. L’utilisation généralisée du robot permet d’importantes économies en termes de santé publique, ce qui est aujourd’hui bien établi ! De plus, l’harmonisation des pratiques chirurgicales, leur traçabilité, la possibilité de leur évaluation sont un progrès important en termes de qualité des soins. La simulation permet en outre une formation cohérente et adaptée. Cette opinion du robot cher est celle qui prévalait il y a 3 ou 4 ans. Le vent a tourné depuis : tous les établissements se robotisent et nombreux sont ceux qui acquièrent plusieurs robots. Il est dommageable qu’il n’y ait eu en France aucune vision collective, politique ou académique sur la robotique. Résultat : aujourd’hui, nous n’avons ni régulation, ni tarification qui permettraient d’encourager le développement de la robotique et d’aider à équiper les établissements où subsistent des taux prohibitifs de chirurgie ouverte. La France est très en retard dans ce domaine, comparée à d’autres pays. Quels pays font figure de modèle ? Le Danemark a été très en avance et novateur en matière de chirurgie et de médecine. Il a inventé les centres de plaies et cicatrisation, la chirurgie ambulatoire… Ce pays a décidé de tout robotiser il y a plusieurs années. Aujourd’hui, le Pays de Galle lui emboîte le pas et a décidé de lancer un plan général de robotisation, sur le modèle danois. Pourtant, la France était en avance sur le sujet de la chirurgie coelioscopique et mini-invasive, dans les années 1980-90…. Oui, mais nous avons atteint un plafond de verre. A titre de comparaison, les États-Unis dans les années 1980-90 stagnaient à 5% de chirurgie cœlioscopique en gynécologie quand la France était en avance, à 45%. Depuis, les États-Unis se sont très largement robotisés et ils atteignent aujourd’hui 90% de chirurgie cœlioscopique quand nous sommes à 55%. Près de la moitié de nos interventions sont donc encore réalisées en chirurgie ouverte. Nous avons perdu énormément de terrain sur les autres pays. Pourtant, passer à la robotique permettrait d’avoir un taux maximum de chirurgie mini-invasive, avec plus de bénéfices pour le patient. Entre une chirurgie ouverte et une chirurgie fermée, la différence de la durée d’hospitalisation est de six jours. La chirurgie mini-invasive permet également de faire de la réadaptation précoce très rapidement, de diminuer les complications et le temps en post-opératoire, avec moins de transfusion… C’est une question de pertinence des soins et de santé publique. Si on robotisait l’ensemble des hôpitaux généraux d’Ile-de-France, on gagnerait une centaine de millions d’euros par an. Le parc robotique pourrait être amorti en moins de sept ans. L’un des paris du BOPA porte sur la captation des données du bloc opératoire. Y êtes-vous favorable ? Oui. Si on fait une pyramide de Maslow des besoins en robotique, le premier étage permet de diminuer le taux de chirurgie ouverte, donc de rendre service à la population. Le deuxième étage permet l’apprentissage par la simulation, avec une formation évaluée et tracée qui conduit à une homogénéisation des pratiques, avec la possibilité de demander aux chirurgiens une formation permanente etc. On se rapproche du modèle aéronautique pour la sécurité et la qualité de la formation. Enfin, le troisième étage consiste à permettre au robot de collecter énormément de données. Il devient alors la plateforme digitale du bloc opératoire, du parcours chirurgical. C’est avec l’ensemble de ces datas que l’on va réellement transformer la chirurgie, en ayant pour la première fois une vision complète de la réalité d’une intervention chirurgicale, sa planification, le suivi patients… Cette médecine digitale préfigure la médecine personnalisée et la médecine de précision de demain. BOPA : moderniser le bloc opératoire pour améliorer la chirurgie et la prise en charge des patients Cela suppose d’embarquer les chirurgiens. Adhèrent-ils à l’idée d’être filmés pendant leur intervention ? Le robot réalise une capture vidéo de toutes nos interventions. Les chirurgiens sont très demandeurs de technologies et les plus jeunes très proactifs dans les changements nécessaires à leur mise en œuvre! L’enjeu est surtout que notre collectivité chirurgicale progresse dans l’acquisition de la culture de l’évaluation, encore déficitaire dans le milieu aujourd’hui. On a réussi à acquérir collectivement la culture de la qualité et de la gestion du risque, mais pas encore la culture de l’évaluation. Les nouvelles technologies et les data vont permettre cette acculturation. Jean-Claude Couffinhal Depuis janvier 2020 : Membre du conseil d’administration de l’Académie Nationale de Chirurgie – Responsable robotique chirurgicale et formation Depuis novembre 2018 : Membre du groupe thématique chirurgie et membre du groupe robots au sein de l’Agence Régionale de Santé Ile-de-France Août 2016 – novembre 2018 : Président de l’association CIME Chirurgie Innovante Moderne Egalitaire) Depuis janvier 1992 : Chirurgien thoracique et vasculaire au Centre Hospitalier Victor Dupouy (Argenteuil) Chirurgie du futur mind Health est partenaire de l’événement “Chirurgie du futur” organisé par le pôle de compétitivité Medicen qui se déroule jeudi 20 octobre à l’Hôpital américain de Neuilly. Découvrez le programme ici. Sandrine Cochard chirurgieIntelligence ArtificielleRobotique Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Plus précisément, plus précocement : les nouvelles façons de combattre le cancer Entretien Tim Brienen (Anap) : “Regarder comment l'intelligence artificielle apporte de la valeur à l'établissement” Ganymed Robotics lève 21 M€ Moon Surgical lève 31,3 M$