Accueil > Parcours de soins > Jean-Marc Aubert (IQVIA) : “Si on n’investit pas dans la donnée, tout un pan de la santé ne se développera pas en France” Jean-Marc Aubert (IQVIA) : “Si on n’investit pas dans la donnée, tout un pan de la santé ne se développera pas en France” Les données de vie réelle sont en plein essor et représentent une nouvelle opportunité en recherche clinique. Mais quelle est la réalité du marché et de l’écosystème français ? Eléments de réponse avec Jean-Marc Aubert, président d’IQVIA France. Par Sandrine Cochard. Publié le 01 décembre 2021 à 6h40 - Mis à jour le 14 décembre 2021 à 15h12 Ressources Une partie de l’activité d’IQVIA est d’être une CRO et de mener des essais cliniques pour des laboratoires ou des entreprises de DM. Constatez-vous une hausse de la demande sur les données de vie réelle ? C’est une demande en forte croissance dans le monde entier. Chez nous, c’est l’activité qui croît le plus rapidement, avec une croissance annuelle à deux chiffres. Ce phénomène s’explique par deux éléments. D’abord, la capacité de collecter de plus en plus de données et de mieux évaluer des produits, des processus de soins ou des parcours patients. Aujourd’hui, il est aussi important de savoir quels produits existent que la manière dont ils sont prescrits par les médecins et utilisés par les patients. De plus en plus d’études nous sont demandées à ce sujet, notamment pour des questions de sécurité. Ensuite, l’utilisation des données en vie réelle est plus efficace que les études ad hoc. On les utilise de plus en plus dans la recherche clinique et dans les évaluations des produits, pour apporter des éléments de preuves aux autorités (HAS et ANSM). Cela permet également aux professionnels de santé de choisir entre différentes prises en charge. Aujourd’hui, grâce à ces données de vie réelle, on peut raccourcir des diagnostics de maladies rares. À partir des schémas d’errance des patients et avec l’appui de l’intelligence artificielle, il est possible de réduire de plusieurs années le délai que met le patient à obtenir un bon diagnostic. Quel est votre point de vue sur l’écosystème de la donnée de santé en France ? L’écosystème est en développement mais il est loin d’être encore mûr ! Nous avons pourtant un gros avantage en France : nous disposons de données de santé de qualité, que ce soit des données collectées par les autorités, par IQVIA ou nos concurrents, les données hospitalières, les données de registre… Mais une partie de ces données n’a jamais été utilisée. Or, plus on utilise la donnée, plus on améliore sa qualité et sa production. Plus on utilise la donnée, plus on améliore sa qualité et sa production. Avez-vous un exemple d’un bon usage et d’une bonne qualité de production de la donnée ? En Franche-Comté, les établissements de santé analysent depuis des années la prise en charge de ses patients. Pour cela, ils veillent à la qualité des données recueillies, améliorant ainsi le processus dans la durée. Outre ce travail d’amélioration du recueil des données, il y a aussi un travail à mener sur la connexion des données. Les entreprises et les établissements le font bien sûr, mais relativement lentement. Or, c’est indispensable car la plupart des données sont pauvres tant qu’elles ne sont pas connectées à d’autres. Croiser les données multiplie de manière exponentielle leur valeur. Par exemple, en croisant des données du SNDS à des données de registre hospitalier, nous avons pu faire la première étude démographique correcte en France sur une pathologie rare, avec le nombre de malades atteints, leur âge moyen et leur parcours de soins. On peut espérer que le Health Data Hub permette d’accélérer massivement ce rapprochement des données. Sans cela, nous devrons mener nos études avec des données suédoises, anglaises ou israéliennes par exemple. Comment la France peut-elle se positionner sur ce marché encore émergent de la donnée de vie réelle ? La France a la capacité d’avoir des données plus profondes en menant des études sur un nombre plus significatif de personnes. C’est un atout. A terme, des domaines entiers vont être révolutionnés par cette donnée. Traditionnellement on parle du soin et du diagnostic, mais cela concerne aussi la recherche clinique. C’est un enjeu important pour la France, qui a perdu sa place de n°1 en recherche clinique en Europe et est aujourd’hui n°4. Jusqu’à présent, la recherche clinique s’est massivement faite sans données de vie réelle. Mais demain, une part significative de la recherche clinique nécessitera d’avoir de la donnée de vie réelle. Pour deux raisons : trouver les bons patients et compléter les données recueillies en recherche clinique. Par exemple, si on pouvait utiliser les données du SNDS, on aurait beaucoup plus de richesse et on arriverait peut-être à comprendre pourquoi certains traitements posent problème ou au contraire transforment la prise en charge des malades. Mais ça, on ne le fait pas encore. Aux USA en revanche, où nous avons une forte activité, l’utilisation de données de vie réelle est exponentielle. Il y a 5 ans, nous ne l’utilisions dans aucune de nos études. Aujourd’hui, nous l’utilisons dans plusieurs dizaines d’études cliniques portant sur des médicaments dans différents aires thérapeutiques. Cette accélération est liée un peu au Covid mais surtout à la disponibilité de la donnée. Rendre la donnée disponible suppose-t-il que tous les établissements de santé français se dotent d’un entrepôt de données ? Cela suppose que les établissements de santé se dotent d’une politique d’utilisation de la donnée et l’intègrent dans leur réflexion sur la qualité de leur prise en charge, au quotidien. Tout le monde parle de la Mayo Clinic comme d’un standard international. Depuis des dizaines d’années, elle utilise sa donnée pour se poser en permanence la question de la qualité de la prise en charge de ses patients. En faisant ça, elle améliore la qualité de sa donnée. Un établissement doit d’abord utiliser sa donnée pour améliorer sa qualité propre. Cela contribue à avoir des données de qualité qui pourront ensuite intégrer des modèles de données commun avec d’autres établissements, dans le cadre d’études multicentriques. Aujourd’hui, on a besoin d’avoir des modèles de données communs, avec un niveau de qualité standardisé. Aujourd’hui, on a besoin d’avoir des modèles de données communs, avec un niveau de qualité standardisé. Cela suppose aussi des investissements de la part des établissements. Quel ROI, quelle valorisation de leur donnée peuvent-ils espérer ? Directement, pas tant que ça. Mais je pars toujours de l’idée que l’établissement doit d’abord avoir besoin des données pour lui-même. Il y a dans l’amélioration de la prise en charge des patients une valeur à créer avant de se poser la question de l’argent que l’on peut gagner avec la donnée. C’est une infrastructure collective. La donnée d’un établissement seul n’a pas de valeur importante, sauf cas particulier, s’il est un des seuls centres experts sur une pathologie très rare par exemple. C’est la donnée croisée de plusieurs établissements qui apporte la valeur. Constituer cette infrastructure collective est un enjeu fort des années à venir, car sans cela, les établissements qui n’auront pas la capacité de mobiliser correctement leur donnée interne ne feront plus de recherche. Or, la recherche représente des milliards d’euros en France, avec des financements importants de l’Etat et de l’industrie de santé ! Et si une part de la recherche est de plus en plus liée à la capacité d’avoir des données de vie réelle, on peut considérer que ces données ont une valeur de plusieurs milliards d’euros. En revanche, un établissement qui crée un bel entrepôt de santé ne va pas faire des millions d’euros de chiffre d’affaires supplémentaires à l’échéance. C’est plus compliqué que cela. Cela dépend non seulement de la qualité de sa donnée mais aussi de sa capacité à publier, à poursuivre la recherche et à créer des alliances avec d’autres établissements. Personne n’aurait entendu parlé de la Mayo Clinic, qui est plus petite que l’AP-HP, si elle n’avait pas mis en œuvre un vrai processus de travail autour de la donnée. Donc cela a une valeur immense. Mais j’insiste : la donnée est une infrastructure collective. Si on n’agit pas collectivement, si on ne met pas suffisamment de moyens dans son développement et tout un pan de la santé ne se développera pas en France. Récemment, le comité scientifique consultatif du HDH a signé une tribune dans Le Monde, dans laquelle il s’inquiétait du retard de déploiement pris… Comment favoriser l’accès à la donnée aujourd’hui ? Il y a un sujet de sécurité tout d’abord. C’est normal qu’il y ait une régulation de l’accès à la donnée et le rôle de la Cnil est essentiel. L’objectif est de pousser l’accès et l’usage de la donnée pour un intérêt public. Après, on peut en améliorer l’accès, notamment en accélérant la publication du catalogue du Health Data Hub et la mise à disposition des bases de données sur sa plateforme. Deuxième chose : c’est probablement autour de ces données de vie réelle qu’on pourra passer du processus actuel qui consiste à demander l’autorisation auprès de la Cnil, à un processus de déclaration. Mais il faut que le cadre soit sécurisé. Et mettre des moyens ! Car aujourd’hui, pour accéder au SNDS, le plus long n’est pas d’obtenir une autorisation de la Cnil, mais l’extraction. Le développement des usages doit s’accompagner de plus de moyens. Cela suppose également d’avoir plus de personnes capables d’utiliser ces données. La France manque aujourd’hui de datascientists ou d’épidémiologistes spécialisés sur la donnée de santé. L’écosystème français cherche à se structurer, avec la création de PariSanté Campus d’un côté, mais aussi de l’Alliance française des données de vie réelle. Allez-vous en faire partie ? IQVIA participe à plusieurs initiatives en cours. Nous sommes par exemple membre du Health Data Institute et nous participons à des projets au niveau européen. Nous pourrions être intéressé à rejoindre d’autres initiatives même si nous ne pouvons pas être membres de toutes. Jean-Marc Aubert Depuis décembre 2019 : Président d’IQVIA France Novembre 2017 – décembre 2019 : Directeur du département Recherche, études, évaluation et statistiques au ministère des Solidarités et de la Santé Avril 2016 – novembre 2017 : Directeur de QuintilesIMS Septembre 2013 – avril 2016 : Directeur IMS Health Sandrine Cochard données de vie réelleEssais cliniquesHôpitalMédicamentRecherche Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Données de vie réelle : un marché de 4 Mds$ selon IQVIA Croiser les données de santé pour mieux soigner Entretien Robert Chu (Embleema) : "Un essai clinique totalement virtuel est cent fois plus rapide qu'une étude classique" Dossier E-consentement : pour une meilleure information du patient