Accueil > Parcours de soins > Piloter l’hôpital par la donnée Piloter l’hôpital par la donnée Un type récent d’algorithme, dit de process mining (exploration de processus) permet de piloter des organisations sanitaires et médico-sociales de manière globale et par activité. L’expertise du Fonds FHF dans ce domaine a trouvé dans le Groupe hospitalier Rance Emeraude un terrain propice pour expérimenter les nombreuses applications de ce nouveau champ de l’intelligence artificielle, présentées le 18 mai dernier, dans le cadre du salon SANTEXPO. Par . Publié le 31 mai 2022 à 23h46 - Mis à jour le 31 mai 2022 à 10h19 Ressources Les données, qui permettent aux structures de santé de gérer la prise en charge des patients, deviennent rarement des outils de pilotage de l’activité. Bien souvent, les établissements se heurtent en effet au caractère non-structuré des données de soins. À cet égard, le PMSI (Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information, qui trace le parcours d’un patient au sein d’un établissement de santé, ndlr) représente un vivier de données normalisées, chaînées et complètes. En modélisant toutes les traces de parcours (leur nature, leur durée, etc.) grâce à un algorithme de process mining, il devient possible de les comparer à un “parcours idéal”. “Ce modèle optimisé, contrairement à d’autres standards, colle à une réalité de terrain, explique Enguerrand Habran, directeur du Fonds FHF. Il reflète la négociation possible entre mon souhait et ce que je fais avec mes ressources et mon organisation actuelle”. L’intelligence artificielle en santé De multiples domaines d’application “Le process mining est extrêmement intéressant pour le pilotage des organisations, résume Enguerrand Habran. Il permet de tracer et visualiser les différents parcours patients à l’hôpital, tous les flux de médicaments, les flux financiers, etc. Le fonctionnement de ces algorithmes est relativement simple : en entrée, nous prenons des traces de processus (nous avons travaillé sur les données PMSI mais nous pouvons utiliser d’autres données financières ou médico-administratives) qui correspondent à l’analyse d’un flux. Cette notion de “flux” est d’ailleurs très vaste et s’applique à tout enchaînement d’étapes. Le process mining peut donc également permettre d’analyser les différentes séquences d’une opération chirurgicale et d’établir ensuite des standards. Il devient par exemple possible de dire qu’une hépatectomie du segment IV se déroule en général de telle manière, avec telles ressources utiles, tel temps pour chaque séquence…pour permettre de mieux piloter l’organisation des blocs opératoires”. Source : Fonds FHF Recherche & Innovation “Dans une démarche inverse, il est également possible de définir dans un premier temps un flux idéal, puis de modéliser le flux actuel d’une activité, poursuit Enguerrand Habran. Cela permet de faire un diagnostic de conformité, pour voir la différence entre la pratique courante et les parcours idéaux et pouvoir dire, par exemple : concernant les patients ayant été hospitalisés pour un AVC, 70% de mes parcours respectent le modèle optimal que j’ai défini”. Les grandes familles d’analyses/algorithmes À partir de données structurées, un établissement de santé peut faire de la statistique descriptive monovariée (à une seule variable) qui permet d’analyser son activité moyenne, le nombre de patients minimum ou maximum qu’il a dans un service, etc. Mais ce niveau “basique” d’analyse exige l’intervention d’experts puisqu’il ne permet pas de dire si une corrélation est une coïncidence ou si elle témoigne d’un lien de causalité. À un autre niveau, la statistique inférentielle (qui permet de supposer les caractéristiques d’une population à partir d’un seul échantillon de ce même groupe) va permettre, au sein d’une organisation, de détecter des variables qui sont caractéristiques et inductrices d’un effet. Le parc d’imageries disponibles va, par exemple, avoir un impact sur l’ensemble des activités nécessitant l’imagerie. Il est donc possible de calculer l’activité d’imagerie idéale qui permet de ne pas avoir d’impact sur les parcours patients de tous les autres services. Des algorithmes plus complexes, dits de machine learning, permettent aujourd’hui de faire de l’apprentissage automatique : ce n’est plus le développeur qui code lui-même l’algorithme et ses règles. Il utilise des algorithmes statistiques qui vont soit détecter eux-mêmes les règles, soit déterminer le poids des différentes règles. À la croisée de la data science et de la science des processus, le process mining est un type d’algorithme relativement récent (les premiers travaux scientifiques datent de 2007) qui permet de travailler sur l’extraction des flux, leur optimisation et le suivi de conformité. Retour d’expérience du GH Rance Emeraude Responsable du lien “ville-hôpital et de l’amélioration des parcours patients” à la Direction innovation du GH Rance Emeraude (qui regroupe les centres hospitaliers de Cancale, Dinan et Saint-Malo) le Dr David Trevisan a très vite vu l’intérêt d’un tel outil pour son infrastructure : “De nombreux acteurs au sein de l’hôpital – soignants, administratifs, contrôleurs de gestion – manquaient de données, car un certain nombre de professions comme les kinés, les assistant(e)s sociales génèrent beaucoup d’éléments statistiques utilisables, mais malheureusement non tracés dans le PMSI. L’intérêt de cet outil était d’abord de répondre à un besoin de centralisation de toutes ces données pour pouvoir les analyser en même temps.” “Cet outil permet d’avoir une vision plus large et rapide que le focus que nous devons faire sur chaque service lorsque l’on fait une analyse d’impact classique.” DR DAVID TREVISAN, Responsable du lien ville-hôpital et de l’amélioration des parcours patients à la Direction innovation du GH Rance Emeraude “C’était aussi un souhait des professionnels, pour accompagner leurs projets, et des directions de service, pour avoir une visualisation globale de leur activité et connaître les impacts d’une modification organisationnelle sur les autres services, poursuit-il. Un projet peut, d’un point de vue médico-économique, paraître excellent, mais ne va-t-il pas dans quelques mois ou années avoir des conséquences lourdes pour l’ensemble de l’établissement ? Cet outil permet d’avoir une vision plus large et rapide que le focus que nous devons faire sur chaque service lorsque l’on fait une analyse d’impact classique”. D’autre part, ajoute le Dr Trevisan, dans le cadre du projet de futur hôpital territorial Rance Emeraude qui verra le jour à l’horizon 2027, les algorithmes de process mining représenteront “un intérêt considérable pour se projeter dans les nouvelles organisations, en termes d’architecture, de parcours de soins, de ressources humaines associées à ces parcours”. “Un hôpital met 5 à 10 ans à se construire et assez souvent, le temps qu’il sorte de terre, il ne répond déjà plus aux besoins de la population, fait remarquer Enguerrand Habran. L’avantage est ici de pouvoir faire une simulation de la future structure, avec des flux de populations virtuels, pour accompagner les équipes qui réfléchissent à ce projet.” Trois types de conformité analysables Les algorithmes de process mining permettent d’analyser trois types de conformité : la conformité séquentielle : est-ce que je respecte bien l’enchaînement d’étapes que j’ai défini comme étant optimales ? C’est ce type de conformité qui intéresse en priorité le GH Rance-Emeraude, et en particulier “l’entrée dans une phase interventionnelle et la sortie de cette phase avec les données de recette. Nous cherchons actuellement à y adjoindre les données de coûts”, affirme le Dr David Trevisan. la conformité temporelle : si je ne veux pas que les patients restent plus de huit heures dans un service d’urgence, l’algorithme va identifier ceux qui vont dépasser cette durée, afin que l’établissement puisse mettre une action corrective en place. la conformité de ressources : est-ce que mon parcours n’a pas “consommé” trop d’aides-soignants, de médecins, d’infirmiers ? A-t-il généré suffisamment de retours financiers par rapport au modèle de financement actuel ? Source : Fonds FHF Recherche & Innovation Les limites du process mining Le process mining peut permettre de faire du suivi de flux en temps réel. Il est alors possible de faire un contrôle qualité, qui permettrait par exemple d’intervenir si une personne est présente depuis trop longtemps aux urgences. Mais cela exige que l’on ait des “données chaudes”. Or, aujourd’hui, le PMSI représente de la “donnée froide”, il est codé après les parcours de soins. “Cet outil n’est pas pluggé en temps réel, confirme le Dr David Trevisan, donc nous pouvons nous en servir actuellement pour faire un état des lieux. Le DIM (Département d’Information Médicale, ndlr) l’utilisera en accompagnement de projets, pour une analyse rétrospective d’une modification d’organisation, faire évoluer le projet selon les résultats obtenus et réévaluer ensuite ses impacts, avec le même outil” L’exploration de processus permet de voir les conséquences d’une action à chaque étape du parcours de soins. Plus largement, il devient possible, grâce à cet outil, de piloter jusqu’aux parcours de santé, c’est-à-dire, dans une approche populationnelle, de mettre en relation ce qui se passe pendant l’hospitalisation (ce que reflètent les données du PMSI avec tout ce qui s’est produit avant et après). Mais cela pose la question du chaînage des données du PMSI (ce qui se passe à l’intérieur de l’hôpital) avec celles du SNIIRAM (ce qui se passe en amont et en aval de l’hospitalisation). “Nous avons tenté de chaîner les données du SNIIRAM avec celles du PMSI, rapporte Enguerrand Habran, mais l’ARS Bretagne n’avait pas les technologies pour faire tourner nos algorithmes. Nous gardons espoir et allons essayer de voir comment il est possible de piloter tous les parcours.” Sur la gériatrie en particulier, le fonds FHF et le GH Rance-Emeraude projettent d’anticiper à partir des données de ville, un futur recours aux urgences. Si l’on veut suivre les traces d’un parcours, il devient nécessaire de les enregistrer toutes. Le PMSI est à cet égard une excellente base. Cependant, des activités “manuelles”, et non codées de manière précise (c’est en particulier le cas des comptes-rendus médicaux) disparaissent et sont invisibilisées. Elles représentent pourtant une masse d’informations précieuses sur le patient. Les algorithmes de process mining aident à identifier des pistes d’optimisation, mais ne disent pas à ceux qui les utilisent ce qu’il faut faire. “Heureusement que cette limite existe, soutient Enguerrand Habran, car il est indispensable d’avoir des retours pertinents sur les visualisations que les flux génèrent.” Certaines représentations graphiques trop complètes deviennent illisibles (cf. le schéma ci-dessous qui ne représente que la modélisation de 500 traces de parcours… Le Fonds FHF et le GH Rance-Emeraude ont travaillé sur 50 000 traces de parcours). À partir de telles datavisualisations, les équipes DIM comprennent la nécessité de travailler en sous-population pour avoir des cartographies lisibles. Certains parcours, représentés par un trait très fin, sont des artefacts (une seule personne a effectué un tel parcours) et ne sont donc pas représentatifs. Source : Fonds FHF Recherche & Innovation En somme, les “limites” du process mining ne sont pas ontologiques et tiennent plus à la nature des données qui l’alimentent actuellement (froides, insuffisamment chaînées pour l’instant, perfectibles car invisibilisées pour certaines) qu’à l’outil lui-même. Peur ou enthousiasme chez les hospitaliers Intégrer un outil de pilotage par l’intelligence artificielle dans un hôpital bouscule les mentalités et, en la matière, “il existe autant de positions différentes que de personnes, observe David Trevisan. Certains chefs de pôles étaient extrêmement intéressés, d’autres considèrent cet outil comme l’œil de la direction sur leur épaule”. Parmi les plus enthousiastes, il y a ces binômes composés d’un médecin et d’un responsable de système d’information (RSI) que le GH Rance-Emeraude a mis en place pour conduire des projets. “Cet outil leur permet notamment de donner du poids à leurs arguments lorsqu’ils négocient une demande de fonds avec la direction”, analyse le Dr Trevisan. Il reste cependant conscient qu’il faudra du temps pour que les mentalités changent. “Le personnel hospitalier, pour une grande part, raisonne ‘service’ puisque c’est à cette échelle que se gèrent les projets, les dotations financières, les RH, etc. L’outil de process mining demande de se décentrer et de penser à une échelle plus globale, celle de la structure, voire celle du lien ville-hôpital et SSR”. La plateforme qui permettra de faire tourner les algorithmes de process mining à partir du PMSI, “devrait être disponible en open access pour tous les établissements de santé avant la fin de cette année”, a annoncé Enguerrand Habran. Le Fonds FHF est actuellement en négociation avec plusieurs éditeurs, notamment PMSIpilot, pour que ces nouveaux outils de pilotage médico-économique soient directement et gratuitement pluggés sur les logiciels que les établissements utilisent. Programmer des soins non-programmés, un défi “L’une des difficultés d’un hôpital est de devoir gérer deux flux entrants : le flux non programmé, provenant principalement des urgences et le flux programmé”, fait remarquer Stéphanie Quiguer, cheffe de projet au Groupe hospitalier Bretagne Sud (GHBS). Afin “d’optimiser la gestion de ces deux flux”, le GHBS mène actuellement un travail exploratoire de recherche en lien avec la thèse de Laura Uhl, intitulée “Anticipation du parcours patient et des difficultés de sortie dès l’admission aux urgences”. La doctorante explique : “Il s’agit de comprendre les parcours non-programmés et d’essayer de les anticiper. Lorsqu’un patient arrive aux urgences, il est reçu par un(e) infirmier(ère) d’accueil et d’orientation. Cela nous permet déjà de recueillir un certain nombre d’informations. Je m’intéresse également aux facteurs qui expliquent les difficultés que l’on peut avoir lors de la préparation de sortie des urgences. Il sera difficile de prédire la totalité du parcours avec les données existantes, mais si l’on arrive déjà à connaître l’unité dans laquelle le patient devrait aller, cela permet d’anticiper le besoin en lits”. “Le travail de Laura est aussi intéressant puisqu’elle travaille à partir de données issues directement de notre DPI, donc à partir de parcours réels, ajoute Stéphanie Quiguer. Elle identifie donc les aléas dans ces parcours, lorsque notamment le patient a été orienté vers une certaine unité, faute de lits suffisants. Ces données sont utiles pour les revues capacitaires qui pourront être faites dans le cadre du projet d’établissement que nous sommes en train de construire”. 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