Accueil > Médias & Audiovisuel > Transformation & Innovations > Réalité virtuelle : comment les médias doivent se positionner ? Réalité virtuelle : comment les médias doivent se positionner ? Par . Publié le 09 décembre 2016 à 10h13 - Mis à jour le 09 décembre 2016 à 10h13 Ressources D’abord utilisée dans l’univers des jeux vidéo, la réalité virtuelle intéresse de plus en plus les éditeurs médias. Mais comment adopter cette nouvelle technologie alors que les casques dédiés ne se sont pas encore démocratisés ? Est-il adapté au divertissement, à la fiction, au sport, ou à l’information pure ? Quels sont les investissements nécessaires et la monétisation entrevue ? mind a interrogé les éditeurs les plus actifs en France : Orange, Arte et France Télévisions, ainsi que le studio spécialisé Okio Studio, pour dresser un état des lieux du marché et des stratégies, et présenter les freins à dépasser. La réalité virtuelle (VR) sera-t-elle la prochaine étape de la révolution numérique ? Le format propose une expérience nouvelle à l’utilisateur, en immersion totale grâce à une vidéo 360° et un casque dédié. Selon Goldman Sachs, le marché pourrait représenter plus de 80 milliards de dollars en 2025. D’après TrendForce, les ventes d’appareils de réalité virtuelle atteindront 38 millions d’unités dans le monde en 2020. De quoi offrir de nouvelles possibilités à l’industrie des médias ? Fin 2015, le New York Times a été le premier grand éditeur à fournir à ses abonnés plus d’un million de Google Cardboard, un casque de réalité virtuelle simplifié et en carton qui s’adapte à un smartphone, pour qu’ils puissent visionner ses productions. Et le titre vient de recruter, en novembre 2016, une rédactrice dédiée aux contenus VR. Les groupes audiovisuels sont également actifs : pendant les Jeux Olympiques d’été 2016, le groupe britannique BBC et la chaîne américaine NBC ont retransmis des épreuves en réalité virtuelle via le Gear VR de Samsung. Quelques initiatives en France Du côté de l’Hexagone, quelques projets de réalité virtuelle plus ou moins ambitieux émergent. “Aujourd’hui, ces projets représentent à peu près un tiers des projets déposés, et j’ai la conviction qu’avant la fin de l’année 2016, plus de la moitié des projets présentés au Fonds Nouveaux Médias (du Centre national du cinéma et de l’image animée, le CNC, ndlr) seront très vraisemblablement des projets en réalité virtuelle”, estime dans une interview à Mediakwest Pauline Augrain, responsable du service de la création numérique au CNC. Les acteurs audiovisuels ont par nature plus de facilités que les médias écrits. Arte avait testé cette nouvelle technologie en 2014 avec le documentaire Polar Sea (produit par Deep Inc), visible à la télévision en 2D et en réalité virtuelle avec l’Oculus Rift ou un Cardboard. Depuis, la chaîne a développé ses ambitions, avec par exemple le court-métrage I Philip (produit avec Okio Studio), le jeu vidéo S.E.N.S. (produit avec Red Corner) et le documentaire Notes on Blindness : Into Darkness (produit avec Ex Nihilo). “La réalité virtuelle s’inscrit au croisement des écritures sur le numérique, car elle propose de l’interaction comme les jeux vidéo, tout en demeurant une production audiovisuelle”, observe Gilles Freissinier, directeur du développement numérique chez Arte France. En avril 2017, la chaîne sortira son deuxième court-métrage de réalité virtuelle : Altération (Okio Studio). Mais les éditeurs débutent timidement et préfèrent parfois s’orienter d’abord vers la vidéo à 360°, qui prend tout son sens sur mobile. “C’est la porte d’entrée de la réalité virtuelle, plus accessible, mais sans son côté interactif et immersif”, explique Eric Scherer, directeur de l’innovation et du Media Lab de France Télévisions. Le groupe audiovisuel public a sorti plusieurs programmes en 360° : lors du dernier tournoi de Roland Garros, certains matchs étaient filmés en 360° et retransmis via l’application RG 360, puis en replay sur FranceTV Sport. Arte propose elle aussi des vidéos en 360°, visibles sans casque mais avec le système Magic Window (via l’application Arte 360°). France Télévisions veut maintenant avoir plus d’ambitions. Le groupe lancera début 2017 le documentaire The Enemy, produit par Camera Lucida. Il s’agira d’une expérience immersive dans des zones de guerre, où le spectateur muni d’un casque Oculus Rift, sera invité à se déplacer au milieu de combattants. Ce projet a nécessité un budget d’1,6 million d’euros, selon Challenges. Si le secteur public bénéficie de moins de contraintes budgétaires et a davantage de libertés pour expérimenter la réalité virtuelle, quelques chaînes privées utilisent cette nouvelle technologie autour de contenus spécifiques. D8 l’a utilisé par exemple autour de programmes de divertissement, comme La Nouvelle Star, produit par Freemantle Media. A l’aide d’un Cardboard à commander sur le site de l’émission, les spectateurs ont pu regarder l’émission du 12 avril 2016 de chez eux, en ayant l’impression d’être dans la salle. De son côté, le groupe Canal+, via l’application MyCanal, propose des expériences en 360° pour le sport, le cinéma et la fiction. Sa chaîne d’information iTélé propose également sur Facebook des vidéos 360° en lien avec l’actualité. Disposant de moins de bases que les acteurs audiovisuels, la presse écrite tente malgré tout d’appréhender le format. Début 2016, Paris Match (avec Google et son Cardboard) a imaginé une opération immersive à ses lecteurs en les conviant à une ascension du Mont Blanc. Le Monde, L’Obs, Le Figaro, BFMTV ont également proposé quelques vidéos à 360. Plus récemment, L’Equipe a également mis en place une expérience interactive de sport à 360° avec Google. Démocratiser les usages Mais si les médias ont une vraie appétence, plusieurs freins subsistent et les contraintes sont multiples. D’abord au niveau de la connaissance du grand public. Pour communiquer autour des possibilités offertes par la réalité virtuelle, VR Connection , nouvelle association de 20 professionnels de la VR, lancera mi-décembre 2016 Eydolon, un réseau d’espaces de jeux et d’expériences en réalité virtuelle. Mais ce sont surtout les équipements qui manquent : très peu de personnes parmi le grand public disposent de casques dédiés leur permettant de vivre l’expérience en VR. Les tarifs des casques actuellement disponibles sont effectivement prohibitifs : de 949 euros pour le HTC Vive à 99 euros pour le Gear VR (Samsung) en passant par l’Oculus Rift à 699 euros et le Playstation VR (Sony) à 399 euros. Des acteurs lancent donc leur propre casque à prix plus accessibles, comme Orange et son VR1, commercialisé à 49,99 euros, en attendant le premier produit de Google, Daydream, soit commercialisé en France (début 2017 ?), sans doute autour de 70 euros. “L’autre élément nécessaire à la démocratisation du marché réside en la production de contenus de qualité pour que les premières expériences des consommateurs soient bonnes et donnent envie de poursuivre l’usage”, explique Morgan Bouchet, director digital content & innovation et head of VR chez Orange Content division, et par ailleurs vice-président du think-tank Uni-VR. Depuis début décembre, le groupe télécom français propose Orange VR Experience, un catalogue gratuit d’une vingtaine de contenus (documentaires, jeux, fictions…) produits par des studios hollywoodiens, comme la Warner ou la Fox, et par des studios indépendants comme le Suisse Apelab, le Canadien Félix & Paul Studios, l’Américain Wevr (dans lequel Orange a investi) ou les Français Okio Studio et Innerspace. Lancé en version bêta, ce catalogue doit permettre à Orange de comprendre les usages et les types de comportements des consommateurs, mais aussi d’expérimenter et se confronter aux contraintes inhérentes à toute nouvelle technologie : il n’y a pas encore d’outils adaptés pour créer de manière industrielle, rapide et à coûts réduits en réalité virtuelle. “Nous devons donc beaucoup innover et tester avant de pouvoir entrer en production sur un film. Il y a une grosse phase de préparation et de R&D, car le “bon” dispositif ne sera pas le même selon les films. Et c’est vrai autant au tournage qu’en post-production”, précise Antoine Cayrol, cofondateur d’Okio Studio et secrétaire général d’Uni-VR. De plus, les fichiers sont de plus en plus lourds, faisant progresser les coûts en post production. Des investissements réels Outre ces contraintes, la réalité virtuelle interroge aussi les pratiques narratives actuelles. “Il s’agit d’une nouvelle grammaire, il faut par exemple penser en amont où on veut amener le spectateur”, selon Gilles Freissinier (Arte). “La réalité virtuelle crée aussi des défis éthiques pour des programmes journalistiques. Une réflexion est nécessaire pour savoir où poser la caméra et ce qu’on veut montrer”, souligne Eric Scherer (France Télévisions). Par ailleurs, de nouveaux profils devront être intégrés : il faudra “recruter des auteurs de storytelling transmédia, car c’est différent de créer un contenu en 2D et d’être au cœur du contenu avec des actions pouvant venir tout autour de soi. Les métiers du sound design ne devront pas être oubliés car le son reste primordial en réalité virtuelle”, indique Olivier Missir, consultant chez Ginger Group, société spécialisée en transformation digitale, stratégie de production brand content et réalité virtuelle. Les budgets nécessaires à des dispositifs de VR sont donc conséquents – de l’ordre de quelques centaines de milliers d’euros au minimum pour les projets ambitieu et varient selon leur durée, l’expérience créée et son niveau d’excellence. Selon un rapport du CSA paru en juillet 2016, I Philip d’Arte (10 minutes de fiction) a coûté 500 000 euros au total, et S.E.N.S. (3×10 minutes) 260 000 euros. Quant à The Enemy (50 minutes), il a nécessité un budget de plus d’un million d’euros. “Pour certains de ses projets, les aides ont pu représenter près de la moitié du budget de la production. Selon les données fournies par les services du CNC, en 2015, l’ensemble des aides allouées à des créations en réalité virtuelle a représenté près d’1,5 million d’euros”, précise le rapport du CSA. L’enjeu de la monétisation Les éditeurs français appliquent avec la VR une politique de tests et d’innovation et n’ont pas encore mûri, ou très peu, la monétisation et la distribution des dispositifs. En parallèle aux défis liés à la production, ce seront très rapidement l’un des enjeux majeurs de ce marché, qui détermineront sa pérennité et de leur distribution et de leur monétisation. “Parmi les plus puissants acteurs, tous américains, certains sont déjà présents sur toute la chaîne de valeur : production, édition, distribution”, relève le rapport du CSA, qui souligne que certaines plateformes de référence pourraient rapidement émerger, comme Jaunt ou Wevr. Mais qui doit assurer la distribution des contenus en VR ? “Le défi pour les médias sera de conserver leur rôle et de déployer des contenus de qualité dans leurs propres écosystèmes, ce qui pourra notamment leur permettre d’adapter leurs stratégies commerciales et les modèles économiques”, estime Morgan Boucher (Orange). Par exemple en arbitrant leurs stratégies selon les dispositifs et les environnements, comme le jeu vidéo S.E.N.S d’Arte, gratuit en 360° sans casque sur IOS et Android, mais payant avec le Gear VR de Samsung. La réalité virtuelle peut-elle aussi (seulement ?) constituer un outil de marketing de l’innovation ? “Nous ne pensons pas que ce soit le cas. Nous faisons plus que des démos en VR. Nous investissons de façon importante dans le sujet. Notre plan stratégique Essentiels 2020 place l’expérience client au cœur de nos offres, pour qu’ils puissent bénéficier pleinement du monde numérique et de la puissance de ses réseaux très haut débit. La VR fait partie du futur de l’entertainement”, glisse Morgan Bouchet (Orange et Uni-VR). “La VR fait partie des priorités de la direction de l’innovation, pas de celle de la communication”, confirme Eric Scherer (France Télévisions), mais il faut avancer dès maintenant, pas à pas.” La VR représente donc aujourd’hui un pari. “Nous investissons d’abord et nous essayons ensuite de trouver les bons modèles qui réduiront les investissements futurs”, explique Gilles Freissinier (Arte). “Les médias ne doivent pas penser à monétiser leurs programmes à court terme, mais investir, confirme Antoine Cayrol (Okio Studio) D’ici un an, ils seront identifiés comme des acteurs majeurs de ce secteur.” Un levier de monétisation, plus immédiat, pourrait être d’inclure les dispositifs de VR dans les abonnements numériques des éditeurs, ou dans le cadre de services premium supplémentaires. Quant à la publicité dans la réalité virtuelle, elle en est à ses prémices. Certains acteurs imaginent des placements de produits à l’intérieur des projets ou des publicités filmées à 360° en pré-roll… Mais là encore, pour convaincre les annonceurs, il faut d’abord que les usages, donc les casques, se démocratisent. Les studios spécialisés en VR en France Okio Studio Créé en 2015 par Pierre Zandrowicz et Antoine Cayrol (Première Heure) et Lorenzo Benedetti (Canal+), il a réalisé les court-métrages “I Philip” et “Altération” mais aussi la publicité “Be The Bottle” pour Jean Paul Gaultier et des campagnes pour Renault Koleos et P84 de Peugeot. Spécialisé dans le storytelling et l’émotion, le studio ne filme pas le réel (pas de captation de spectacles vivant, de visite immobilière, de match de football…). Innerspace Créé en 2014 par Hadrien Lanvin, Hayoun Kwon et Balthazar Auxietre, il réalise des expériences oniriques, à la croisée entre le jeu vidéo et le film. Le studio s’est notamment fait connaître pour “La Peri”, un conte en réalité virtuelle visible sur l’HTC Vive. Camera Lucida Créé en 1995, ce studio de production est positionné dans le transmédia avant de se lancer dans la réalité virtuelle. Le studio est derrière le projet journalistique “The Enemy” de France Télévisions. Agat Films & Cie et Ex Nihilo Ce collectif de huit producteurs a signé de nombreux projets en 2D et en réalité virtuelle, comme “Notes on Blindness : Into Darkness”. C’est “un des meilleurs producteurs de fiction en réalité virtuelle”, selon Antoine Cayrol (Okio Studio et Uni-VR). Réalité virtuelle Besoin d’informations complémentaires ? 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