Comment L’Express transforme son modèle

SFR annonçait depuis deux ans vouloir développer ses marques Libération et L’Express vers le numérique. Une première concrétisation est effective au sein de L’Express depuis mercredi 4 avril, avec une évolution radicale de son offre et de son organisation.

“C’est une réinvention totale du modèle issue de la prise de conscience d’une évolution indispensable pour changer de concept et innover”, souligne Guillaume Dubois, directeur de L’Express, interrogé par mind Media. Un double constat a été fait : d’un côté le modèle du papier est structurellement déclinant – c’est vrai pour les newsmags comme pour la majorité de la presse -, de l’autre, le modèle appliqué jusque-là sur L’Express.fr comme sur les autres sites, c’est-à-dire reposant essentiellement sur un flux continu et un traitement sommaire de l’actualité chaude, est voué à l’échec.

Tendre vers des contenus majoritairement payants

“Le marché publicitaire est préempté par Google et Facebook. Sauf à de très rares exceptions, dans quelques titres qui disposent de très gros moyens – que nous n’avons pas – la progression des audiences ne suffit plus à générer du chiffre d’affaires publicitaire”, admet Guillaume Dubois. En effet, si L’Express a fait progresser son lectorat en ligne ces dernières années, ses revenus numériques ont diminué en 2017 – malgré une année électorale – pour s’établir à près de 15 millions d’euros (des revenus essentiellement composés de revenus publicitaires et de business développement de type liens de recommandation). De nouveaux formats publicitaires, notamment du native advertising, seront proposés, mais le principal levier de développement visé porte sur les revenus payants.

Après avoir tenté ces cinq dernières années de développer le nombre d’abonnés purs numériques, leur nombre reste limité à 3000, selon l’ACPM, avec un tarif affiché hors promotion à 7,99 euros par mois. L’ambition, avec ce nouveau projet, est de développer massivement ce levier. La direction du titre, qui ne croit pas au modèle freemium – en raison d’une transformation de l’audience jugée laborieuse et longue – va progressivement intensifier son soft paywall, avec sans doute 4 articles gratuit sur une période de 30 jours avant de devoir s’abonner.

Moins de contenus, plus de qualité ?

Pour convaincre de nouveaux abonnés, L’Express quitte le terrain de l’information chaude et rapide. “Nous repartons sur le modèle historique de la presse basé sur l’abonnement et le choix de nos sujets, en priorisant le numérique, notamment le mobile. L’hebdomadaire va perdurer mais devient secondaire, il offrira une sélection d’articles”, indique Guillaume Dubois. Concrètement, en ligne, L’Express stoppe avec le flux d’information pour se concentrer sur des contenus moins nombreux, mais annoncés à plus forte valeur ajoutée.

A la manière du Times ou de Mediapart, ils seront principalement distribués via des éditions en ligne, au nombre de deux par jour pour commencer : la première à 8h, la seconde à 18h, sur site et application mobile. Les contenus seront soit très courts, soit longs, voire très longs quand le sujet s’y prête. Il y aura davantage de contenus dits “magazine”, mieux sélectionnés, plus illustrés, mais aussi plus d’enquêtes et plus d’approfondissement. Un long récit de 30 000 signes sera publié chaque semaine sous la forme d’un feuilleton, ainsi que des portraits.

Il y aura aussi une offre vidéo et dans un second temps de nouveaux formats audio. Si elle n’est plus traitée sous la forme d’articles, l’actualité chaude n’est pas totalement délaissée : certains sujets sélectionnés sont maintenant traités sous la forme d’une messagerie conversationnelle : une petite équipe répond aux questions adressées par les internautes dans un espace en ligne dédié.

Fusion totale des rédactions

Là où deux produits (papier et numérique) et deux rédactions cohabitaient, le nouveau modèle a impliqué la fusion des équipes rédactionnelles dans une rédaction unique de 130 cartes de presse (dont 30 aux pôles techniques : photo, édition, maquettage), toujours organisée en services, mais chacun au service indifféremment du numérique et du papier et dans un CMS unique : Politique, Investigation, Epoque (ex-société), Monde, Economie, Entreprises, Culture (Lire et Arts et spectacles), Idées, pöle conversation (actualité chaude sélectionnée et interaction lecteurs), Découvertes (ex-Sciences).

L’objectif de ce nouveau projet est de parvenir à stabiliser la diffusion : les ventes numériques doivent se substituer au déclin de la diffusion papier. Selon l’ACPM, L’Express affichait en 2017 une diffusion France payée de 288 000 exemplaires chaque semaine (198 000 individuels), dont 42 000 sur les kiosques en ligne, en nette accélération (plus de la moitié via SFR Presse, soit 25 000). Les ventes en kiosque étaient en baisse de près de 9 % et les abonnements papier d’environ 10 %.