Accueil > Marques & Agences > Achat média > Marc Feuillée (Groupe Figaro – CCM Benchmark) : “Pour l’instant, le label Digital AdTrust n’a eu aucun effet sur les choix d’investissement des annonceurs” Marc Feuillée (Groupe Figaro – CCM Benchmark) : “Pour l’instant, le label Digital AdTrust n’a eu aucun effet sur les choix d’investissement des annonceurs” Résultats économiques attendus en 2018, impact du label de qualité publicitaire Digital Ad Trust, ouverture de l'alliance Skyline à un autre éditeur, intégration au dispositif Google AMP, installation d'une CMP... le directeur général du Groupe Figaro - CCM Benchmark répond aux questions de mind Media. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 10 octobre 2018 à 14h29 - Mis à jour le 10 octobre 2018 à 14h29 Ressources Quels sont les résultats économiques attendus pour 2018 ? Nos prévisions portent sur un chiffre d’affaires groupe supérieur à 600 millions d’euros, avec un EBIDTA d’environ 45 millions d’euros et un résultat d’exploitation sans doute compris entre 33 et 34 millions d’euros. Le résultat net – que je ne dévoilerai pas – sera une nouvelle fois positif : le groupe est structurellement bénéficiaire depuis longtemps. On s’adapte, on se diversifie, on se digitalise (voir notre graphique sur les résultats du groupe depuis dix ans plus bas, ndlr). Le pôle média – c’est-à-dire le quotidien et les magazines, les activités de médias digitaux, la publicité et nos sociétés à la performance – représente environ 60 % des revenus. Les activités de services et de e-commerce représentent environ 40 %. La proportion est la même pour la contribution au résultat d’exploitation. Notre stratégie est toujours la même, autour de trois piliers : des médias performants, un processus de digitalisation et des diversifications qui apportent revenus, complémentarités et synergies (le groupe a notamment acquis ces trois dernières années CCM Benchmark, les agences de voyages Maisons du voyage et Marco Vasco, et Viadeo, ndlr). Et évidemment être performant dans la publicité. Le marché publicitaire est de plus en plus difficile pour les éditeurs médias. Quelle analyse en faites-vous ? Nous constatons toujours un recul des supports médias historiques et la montée en puissance des plateformes. Le marché publicitaire est profondément et durablement déséquilibré au profit de Google et Facebook. La réalité des chiffres montre qu’il n’y a pas de ralentissement à cette domination. Au contraire. Le mobile, qui tire les usages numériques, illustre cette situation : 93 % des investissements publicitaires y sont captés par Google et Facebook. Il reste 7 % pour tous les autres acteurs, et cela s’aggrave d’année en année. Cela laisse songeur. Ce qui est en train de se passer, c’est l’éviction des médias du marché de la publicité en ligne, particulièrement les éditeurs de presse. Comment stabiliser cette tendance ? Je ne dis pas inverser, car nous n’en sommes même pas là. L’enjeu est de réorienter les investissements publicitaires. Les éditeurs ont fait des efforts pour mettre en place des normes qualitatives avec le label Digital Ad Trust, attribué depuis mars. Sept mois plus tard, a-t-il eu des effets ? J’applaudis cette initiative, mais je m’interroge sur son efficacité. Une initiative est bonne si elle donne des résultats ; pour l’instant, le label Digital AdTrust n’a eu aucun effet sur les choix d’investissement des annonceurs. Je n’en constate pas d’impact sur les chiffres d’affaires publicitaires des éditeurs de presse. Cela signifie que la communauté des annonceurs ne lui attribue pas encore de valeur. L’engagement de l’UDA et de son directeur général Jean-Luc Chetrit pour rééquilibrer et responsabiliser le marché est réel et je salue sa démarche très volontariste, mais l’association est visiblement très à l’avant-garde. Il n’y a pas de réelle prise de conscience des acheteurs et une réorientations des budgets. Pire que ça : les annonceurs pointent de plus en plus les manques des plateformes : les fuites de données, les fakes news, l’auto-mesure, parfois l’efficacité, etc – et évoquent un problème de confiance envers ces acteurs, et ils ont raison. Mais c’est aux médias traditionnels qu’on demande de faire le plus d’efforts, et tout de suite. Cette dissonance entre le constat et la conclusion tirée est pour le moins paradoxale. Il y a une vraie inertie de la part des annonceurs au niveau opérationnel ; et les agences ont du mal a inverser ce déséquilibre. “Le Figaro va basculer sur le dispositif Google AMP au cours du dernier trimestre” Les éditeurs sont peut-être également responsables en nouant des accords technologiques avec les plateformes, notamment Google. Les médias sont obligés de s’adapter au marché. D’autant que les produits et services des plateformes sont souvent de grande qualité – nous ne remettons pas en cause ce fait. Les outils d’analyse, l’adserver de Google, les équipes opérationnelles, etc., sont efficaces. Un boycott des plateformes n’aurait aucun sens. La question est plutôt de faire en sorte que médias et plateformes puissent cohabiter au bénéfice de tous. Les GAFA ont leur place, mais il faut rééquilibrer le marché publicitaire et mettre fin aux positions hégémoniques. Je pense notamment au problème que pose le fait d’occuper plusieurs rôles sur la chaîne pour proposer des offres globales associant solutions technologiques, imbrication des bases de données, mesure des dispositifs et conseil. Cela ne permet plus la liberté de choix. Il y a des enquêtes des autorités sur ces points mais elles sont beaucoup trop longues à aboutir. Une trentaine d’éditeurs français sont présents sur le dispositif mobile Google AMP, déployé depuis le premier trimestre 2016. Le Figaro était resté en retrait, mais discute maintenant d’une entrée, tout comme Le Monde. Pourquoi cette évolution ? Effectivement, Le Figaro va basculer sur le dispositif Google AMP au cours du dernier trimestre. Notre réticence initiale (partagée par Le Monde, ndlr) portait sur la limite technique des offres déportées que représentent Facebook Instant Articles et Google AMP, avec des formats limités, des restrictions pour la publicités et les contenus payants, qui rendaient les éditeurs dépendants. Notre refus était beaucoup plus fort pour Facebook Instant Articles, qui transformait les médias en agences de presse pour Facebook – je constate d’ailleurs que ce dispositif a progressivement été abandonné par quasiment tous les éditeurs qui l’avaient testé, la position du Figaro et du Monde était donc la bonne. Depuis, le format AMP a évolué et s’est ouvert. Ajouté au fait qu’AMP est devenu un standard et que Google pénalise le référencement sur mobile des médias qui ne sont pas compatibles, cela nous a convaincu d’y être présent. “L’audio ? Il faut éviter l’effet moutonnier que peuvent parfois avoir les médias et qui découlent d’une mauvaise perception de la réalité du marché ou de ce qui est réellement fait chez les confrères” Confirmez-vous des discussions avec Team Media pour rejoindre Skyline, votre alliance publicitaire nouée depuis l’été 2017 avec Le Monde ? Rappelons qu’en lançant cette offre, notre objectif initial était de donner plus de transparence aux acheteurs et de se passer de sous-régies dont nous estimons qu’elles n’apportaient pas assez de valeur. Nous offrons aux marques un accès simple à des contextes médias de qualité, exclusif, en gré-à-gré ou en programmatique direct. L’intégration de nouveaux partenaires correspond à cette ambition et les inventaires de Team Media répondent à ces critères. Nous discutons donc avec Les Echos et Le Parisien pour qu’ils rejoignent l’alliance Skyline ces tout prochains mois. Je crois beaucoup plus dans cette alliance d’intérêts communs que dans une plateforme comme Gravity, dont je ne comprends pas l’utilité : c’est de la vente de data ? Un trading desk ? Notre métier à beaucoup souffert de coalitions qui ressemblent à des usines à gaz, lourdes et difficiles à comprendre par les annonceurs, d’autant que la collecte, l’utilisation et le partage des données personnelles sont de plus en plus sensibles. Louis Dreyfus, président du Monde, mentionnait un chiffre d’affaires d’environ 5 millions d’euros attendu en 2018 pour Skyline. Quelle est la proportion de revenus additionnels à ce que vous réalisiez déjà chacun de votre côté ? C’est compliqué de le déterminer avec précision, mais le gain est réel : nous avons éliminé une partie de la commercialisation externe de nos inventaires et donc les marges d’intermédiaires, et cette offre commune est très peu négociée, ce qui était aussi l’un des axes fort du projet : les tarifs sont souvent tirés vers le bas par le marché. Recréer un accès direct exclusif à nos supports permet de stopper cette spirale. Je note au passage que le marché de la publicité en ligne français pratique des tarifs les plus bas parmi les marchés comparables en Europe, comme si les Français ne croyaient pas au marketing et à la publicité ; les CPM sont plus faibles parfois du simple au double, voire au triple. Je ne me l’explique pas, c’est une mauvaise habitude de marché qui est anormale et sans raison objective. Combien Le Figaro a-t-il d’abonnés numériques et comment optimiser une stratégie numérique payante ? Nous devrions atteindre les 100 000 abonnés en ligne d’ici la fin de l’année. Notre courbe d’expérience progresse : la variété des sujets éditoriaux est importante pour transformer le lectorat en abonnés : santé, idée, international, sujets de société… Les synthèses d’actualité que nous adressons quotidiennement sont par ailleurs des contenus fidélisant fidélisants. 40 et 45 % du recrutement d’abonnés provient de l’univers applicatif, très majoritairement d’iOS, même si Android progresse vite ; la contre partie est que la relation avec cette partie là est intermédiée. L’engouement du marché pour l’audio, y compris par les acteurs de la presse écrite, est-il un nouvel effet de mode, qui passera, ou une évolution incontournable pour la distribution de contenus et services ? Il faut éviter l’effet moutonnier que peuvent parfois avoir les médias et qui découlent d’une mauvaise perception de la réalité du marché ou de ce qui est réellement fait chez les confrères. Il y a beaucoup de projets et d’innovations – ou de dispositifs présentés comme tels – qui s’avèrent de simples petites expérimentations mais qui sont montés en épingle, ce qui entraine un emballement du marché. D’autres initiatives sont de vrais échecs ou des impasses. C’est particulièrement vrai chez les GAFA : l’abandon de certains produits et services fait souvent bien moins de bruit que leur lancement. Le groupe va donc rester en retrait de l’audio ? Non, pas nécessairement. L’audio est un vrai vecteur de communication, qui existe depuis longtemps, mais il faut rester mesuré. Cela revient à la mode dans le sillage du développement des enceintes connectées, des assistants vocaux et des expérimentations dans les véhicules. C’est une nouvelle opportunité de distribution et on en voit l’usage possible : le replay et les podcasts natifs, les assistants vocaux, la mobilité en voiture, etc., mais je m’interroge sur la monétisation de ces offres. Pour l’instant, on ne distingue pas leur modèle économique via les plateformes et nous n’avons pas de certitude sur la pérennité des écosystèmes qui se créeent. Le sponsoring audio se développe, mais c’est une monétisation souvent temporaire, dont la demande s’estompe passé l’effet de mode. “On va appliquer le RGPD avec l’installation d’ici la fin de l’année d’une CMP via la société Chandago” Comment le groupe Figaro va-t-il se mettre en conformité avec le RGPD ? On va évidemment appliquer le RGPD, avec l’installation d’ici la fin de l’année d’une CMP via la société Chandago (société française fondée par d’anciens cadres de Weborama, ndlr). Nous avons toujours expliqué à la Cnil que des contraintes générales supplémentaires autour des données et notamment celles liées au RGPD allaient affaiblir les médias traditionnels et renforcer la domination des plateformes, tout particulièrement Google. Nos pires craintes se sont réalisées : ce texte a déséquilibré un peu plus encore les rapports de force sur le marché. On le voit avec la position très fermée de Google sur la façon de recueillir le consentement des internautes et sur la question d’intégrer le dispositif de l’IAB (sa tentative de standardisation des CMP via un framework, ndlr). Tout le monde est suspendu à sa décision : l’application du RGPD et son interprétation est de fait entre les mains de Google. Ce n’est pas normal. Pas par volonté de nuire – je ne le crois pas – mais de par la place prise par cet acteur sur le marché publicitaire. Il y a un problème de régulation. Quels seront les projets du groupe en 2019 ? 2018 est une année d’intégration et de structuration des acquisitions réalisées ces deux dernières années. On restera attentifs à des opportunités de croissance externe, mais la priorité est de terminer la mise en place de synergies à l’intérieur du groupe, de développer les activités de performance publicitaire – qui deviennent génératrices de marge -, et les nouvelles offres publicitaires Social & Stories (agence de brand contentn ndlr) et 14 Haussman (agence de contenu d’influence, ndlr). Nous passons par ailleurs les activités immobilières sous la marque ombrelle Le Figaro et nous accentuons la différenciation de Viadeo par rapport à LinkedIn, par exemple avec la notation d’entreprise par les utilisateurs. La disparition de Serge Dassault change-t-elle quelque chose pour l’actionnariat ou la stratégie du groupe ? Absolument pas. Serge Dassault a été un grand patron pour le groupe. Il y était très attentif, mais la transition a été préparée et organisée depuis longtemps avec la famille Dassault. Dans la continuité et avec une grande sérénité, c’est aujourd’hui Charles Edelstenne (le président opérationnel du groupe Dassault, ndlr) qui supervise le groupe Figaro. Nos axes de développement restent les mêmes : défendre un journalisme de qualité, ce qui passe par la confiance des internautes et des clients, ensuite être capable de maîtriser notre destin avec une vision de moyen terme, enfin construire un projet de groupe, pas de holding. Marc Feuillée 2011 Directeur général du Groupe Figaro 2006 Président du directoire du Groupe L’Express-Roularta 1998 Directeur général du Groupe L’Express-Roularta 1996 Directeur adjoint du magazine LSA Jean-Michel De Marchi Achat médiaAudio digitalDigital Ad TrustDistribution des contenusDuopoleFacebookGoogleGoogle AMP Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Entretiens Louis Dreyfus (Groupe Le Monde) : "Skyline rapportera près de cinq millions d'euros au total en 2018" Dossiers Le poids de Google AMP dans le trafic web mobile des éditeurs de presse a reculé en 2018 Consentement au recueil des données personnelles : le marché français déjà dans la zone grise essentiels Nos synthèses et chiffres sur les principales thématiques du marché Les mutations du search à l'ère de l'IA générative L'application inaboutie de la loi sur les droits voisins Google vs DOJ : tout ce qu'il faut savoir sur le procès qui pourrait redéfinir l'adtech L’essentiel sur les identifiants publicitaires La transformation du marché publicitaire en 2024 2023 : le marché publicitaire doit se préparer à la fin du tracking utilisateur Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Les enjeux réglementaires des médias en 2023 analyses Les articles d'approfondissement réalisés par la rédaction Adtech : pourquoi la Commission européenne sanctionne Google de près de 3 milliards d’euros Retail media : une consolidation indispensable des régies pour répondre aux attentes des acheteurs publicitaires IA et monétisation des contenus : comment l’IAB Tech Lab veut contrôler les robots crawlers Droits voisins : l’Apig veut introduire une plainte contre Meta devant l'Autorité de la concurrence Paul Boulangé (Starcom France) : "Nous sommes en train de déployer Captiv8 en France, notre solution d'automatisation du marketing d'influence" Claire Léost devient DG de CMA Média, WPP Media promeut Stéphanie Robelus… Comment les SSP généralistes investissent le secteur du retail media Bénédicte Wautelet (Le Figaro) : “Toute solution qui utilise de l’IA en rapport avec nos contenus doit y être autorisée et nous rémunérer” Aides à la presse : combien les éditeurs ont-ils perçu en 2024 ? 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